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« Bizarre », le précurseur

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 25 février 2009                      Lien  
Les commémorations ont du bon : elles permettent de rétablir des perspectives historiques que les nouvelles vagues successives ont un peu tendance à vouloir submerger de façon stérile.
« Bizarre », le précurseur
1964 : Spécial Littérature illettrée
DR. Le dessin est de Excoffon.

Il va bien falloir écrire un jour une histoire du graphisme, de ces lignes subtiles qui plongent leurs racines chez Roubille et chez Bofa, que l’on retrouve chez Chas-Laborde et chez Jean Bruller, et puis qui ressortent chez Tardi, Dupuy et Berberian, François Avril ou Blutch… Qui a jamais fait le lien entre Willem et Galantara ? Entre Trondheim et Alfred Jarry ? Entre Philippe Geluck et Chaval ? Ce ne serait pourtant que justice.

L’Anthologie Bizarre 1953-1968 (Ed. Berg International), établie et commentée par Jean-Marie Lhôte qui en fut l’un des collaborateurs, fait partie de ces sauvetages salutaires. En la feuilletant, on comprend bien combien cette revue consacrée aux cultures « vulgaires » : roman policier, fantastique, dessin d’humour, cinéma d’horreur, littérature de Fantasy… a joué un rôle dans la diffusion de cette « sous-culture » qui deviendra la « contre-culture ».

1965 : Les oiseaux sont des cons de Chaval
DR

Sept ans avant Hara Kiri, elle s’affirme par son ton libertaire, anti-militariste, « anti-intellectualiste » comme dirait le très intellectuel (?) Harry Morgan, et surtout comment, en précurseur, elle publie les premiers dessins de Wolinski, Copi, Cabu, Siné, Reiser… aux côtés de Chaval, Mose, Bellus, oui Bellus…

1961 : Spécial Siné et les cabinets
DR

Elle a Jean-Paul Sartre et le culte hypocrite de la Résistance en horreur. On y retrouve les dynamiteurs d’hier (Philippe Soupault, Magritte…) comme ceux de demain (Raymond Queneau, Topor, Cavanna…) aux côtés de véritables intellectuels (ceux-là…) comme Francis Lacassin qui y livre son premier texte sur Tarzan ou François Caradec déjà en train de défendre La Famille Fenouillard et Christophe. Quand on apprend que le gérant de la revue n’est autre qu’Éric Losfeld, le futur éditeur de Barbarella et de Jodelle, on comprend mieux à qui on a affaire.

La filiation du Dadaïsme et du Surréalisme à la Pataphysique y est évidente. La culture de la subversion est la norme. Elle a toujours été le vrai ferment des avant-gardes.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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13 Messages :
  • « Bizarre », le précurseur
    25 février 2009 09:39

    Quand on écrira une histoire du graphisme, j’espère qu’on n’oubliera pas de parler des influences des artistes du New Yorker.

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  • De l’histoire de la bande dessinée et du graphisme...
    25 février 2009 14:46, par Manu temj

    Je rêve moi aussi d’une histoire "artistique" de la bande dessinée, qui aborde influences, filiations et écoles, identifie les précurseurs et les atypiques, la mette en perspective avec l’histoire de l’art...
    Jusqu’à présent à l’exception de l’éternelle mise en avant des écoles "de Bruxelles" et "de Marcinelle" ou des travaux sur le renouveau de la ligne claire dans les années 80, l’histoire de la bande dessinée est systématiquement abordée comme un recensement chronologique des succès populaires, des succès critiques et des politiques éditoriales.

    Ce travail a été très bien fait et se poursuit, mais qui attaquera sérieusement un autre angle ?

    Maintenant que plusieurs auteurs ont su décortiquer les mécanismes narratifs de la bande dessinée, le temps est peut-être enfin venu.

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    • Répondu le 26 février 2009 à  09:20 :

      Une analyse entre "précurseurs et atypiques", d’un côté, et "nouvelles vagues et écoles", de l’autre, serait très pertinente.
      Ensuite, il faudrait bien discerner pourquoi certains sont précurseurs et d’autres atypiques.

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      • Répondu par Manu temj le 26 février 2009 à  20:35 :

        De la nécessité d’aborder le thème avec une véritable connaissance de l’histoire de l’art, de sorte à dresser des perspectives entre ces "précurseur et atypiques" de la bande dessinée et d’autres artistes du graphisme, de la peinture...

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        • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 26 février 2009 à  22:41 :

          Cher Manu,

          Il n’y a pas que la culture graphique.

          Quand je fais le lien entre Trondheim et Jarry, je ne parle pas de dessin. Entre Chaval et Geluck, la filiation n’est pas (seulement) graphique. On peut parler d’un état d’esprit comparable.

          De même entre Joann Sfar et Romain Gary.

          Il y a une nouvelle façon de parler de la bande dessinée à inventer.

          Il y a une lecture de la bande dessinée faite par des graphistes qui se désintéressent du propos. Il y a d’ailleurs une bande dessinée qui se contrefout du discours (et qui a peut-être de bonnes raisons pour le faire).

          Il y a aussi des raconteurs d’histoires puissants qui se contrefoutent du graphisme. Alan Moore, par exemple, qui arrive très bien à transcender n’importe quel dessin.

          Il y a ceux qui arrivent à ménager un graphisme virtuose avec un propos puissant.

          Là seule chose que je demande, c’est qu’on ne colle pas ses mépris sur une œuvre comme le font trop souvent les critiques actuels (vous voyez bien de qui je parle).

          On est prompt, ici et ailleurs, de fustiger tel ou tel éditeur sur des principes de bon goût. De bon goût !

          Je pense sur ce point comme Christian Dotremont de Cobra : "Je ne tombe jamais dans la gueule du goût et je ne vais dans les musées que pour enlever les muselières".

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          • Répondu par Manu temj le 27 février 2009 à  16:21 :

            Cher Didier,

            Je vous rejoins totalement et je sais – pour vous lire régulièrement – votre plaidoirie pour une nouvelle approche du l’analyse du « propos » de la bande dessinée, qui reste encore à faire.

            Je ne suis pas certain de vous suivre dans l’opposition que vous faite entre ce travail à mener et les analyses purement « graphiques » de la bande dessinée qui ont cours depuis quelque temps (certains les opposent peut-être implicitement - oui, je vois bien de qui vous parlez - mais progresser en parallèle sur les deux approches tout en les opposant me semble inopportun, tant la bande dessinée sait justement faire l’intime amalgame entre le récité et le dessiné pour construire un propos original). Si je n’ai parlé que de graphisme dans mes messages précédents c’était simplement parce que vous-même évoquiez une histoire du « graphisme » dans votre article.

            A mon sens, il s’agirait de mettre en évidence la place exacte de la bande dessinée dans le mouvement général de l’histoire des arts (les arts graphiques évidemment, mais également les arts littéraires, voire – pourquoi pas – les arts du geste, ou du rythme, comme la danse ou la musique, vers lesquels lorgne ouvertement un auteur comme Blutch, pour ne citer que lui).

            Jusqu’à présent on lui propose trop souvent un strapontin de fille illégitime du dessin et du roman, batard de passage à but de vulgarisation à l’usage des incultes. Guère plus qu’un phénomène de mode décoratif en somme. Peut-être est-ce ma passion pour le genre qui m’aveugle mais il me semble que la démarche de certains auteurs de bande dessinée – au-delà des spécificités de ce mode d’expression - va bien au-delà de ça et mériterait de se voir accorder une tout autre place.

            Je persiste à croire que ce type d’analyse demanderait de solides notions d’histoire de l’art, d’histoire des courants créatifs et des courants de pensée.

            Ensuite, que ce travail se fasse d’un bloc ou se construise progressivement dans des approches complémentaires, contradictoires, voire militantes, c’est autre chose. Encore faudrait-il que quelqu’un commence… ou que ceux qui ont commencé aient plus de visibilité !

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            • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 28 février 2009 à  14:10 :

              Je ne suis pas certain de vous suivre dans l’opposition que vous faite entre ce travail à mener et les analyses purement « graphiques » de la bande dessinée qui ont cours depuis quelque temps

              Il n’y a pas d’opposition. Comprenez-moi bien : toute réflexion sur la bande dessinée est bonne à prendre. Je suis juste étonné de voir que certaines plumes jettent le discrédit sur des pans entiers de la production et que ceci ne soit contesté par personne.

              Cela m’énerve de lire la ixième nouvelle réflexion sur la définition de la BD par des gens infiniment moins brillants que Scott McCloud. Surtout que les interrogations légitimes sur ce médium n’en sont plus là (et Scott a de nouveau pris de l’avance sur ces sujets). Pas d’interrogation historique, pas d’interrogation politique, pas de réflexion de fond sur des sujets basiques (la pertinence de l’école francophone par rapport aux grands courants mondiaux) et une attitude souvent dégueulasse qui consiste à détruire, non pas seulement le travail, mais les gens qui ont travaillé sur la connaissance de la BD avant eux, ceci sans souci de contextualisation, sans même dresser un diagnostic sur les éléments positifs et négatifs d’une analyse.

              Les écrits de Lacassin sur Bécassine ou Tarzan, les tentatives donquichotesques de Moliterni pour établir une connaissance "mondiale" de la bande dessinée en créant un réseau de connaisseurs du monde entier, les essais historiques de Filippini sur l’école française des années cinquante, les lectures pionnières de François Rivière, de Numa Sadoul ou d’Edouard François sur les classiques belges, le talent de découvreur de Jean-Pierre Dionnet (éditeur de Wrightson, Corben, Francis Masse, etc), le travail d’un éditeur comme Jacques Glénat dans ces matières (éditeur de Perramus de Breccia en 1984) me semblent injustement malmenés et oui, Harry Morgan (je ne le connais pas personnellement), mais il n’est pas le seul, gardera de ma part une éternelle rancune pour cela.

              A mon sens, il s’agirait de mettre en évidence la place exacte de la bande dessinée dans le mouvement général de l’histoire des arts (les arts graphiques évidemment, mais également les arts littéraires, voire – pourquoi pas – les arts du geste, ou du rythme, comme la danse ou la musique, vers lesquels lorgne ouvertement un auteur comme Blutch, pour ne citer que lui).

              L’inter-disciplinarité doit être la règle, en effet. Il est vain d’envisager le travail de Winschluss sans évoquer ses installations-expos, son travail cinématographique (avant et après Persépolis), son talent d’animateur du journal Ferraille. Mais ne croyez-vous pas qu’il faut d’abord essayer de dégager les grandes tendances de fond de ce médium ? L’impact de l’Underground sur Menu ou Blanquet, celui du peintre Stéphane Mandelbaum sur Goblet. Les gens qui s’intéressent à la BD mais qui ne sont pas des fans sont en attente de ces propositions structurantes.

              Jusqu’à présent on lui propose trop souvent un strapontin de fille illégitime du dessin et du roman, batard de passage à but de vulgarisation à l’usage des incultes. Guère plus qu’un phénomène de mode décoratif en somme. Peut-être est-ce ma passion pour le genre qui m’aveugle mais il me semble que la démarche de certains auteurs de bande dessinée – au-delà des spécificités de ce mode d’expression - va bien au-delà de ça et mériterait de se voir accorder une tout autre place.

              Excusez-moi, Manu. Mais c’est du rabâchage stérile. La place, il faut la prendre. Le Net, c’est un peu de temps et de la bonne volonté. Nous réunissons ici quarante collaborateurs (une dizaine de réguliers). Nous sommes conscients de nos limites (nous sommes tous bénévoles) et nous partageons volontiers nos enthousiasmes. Ils valent ce qu’ils valent. Mais vous ne pourrez pas enlever le fait que beaucoup de gens nous lisent et découvrent des auteurs et des œuvres dont ils n’ont jamais entendu parler ailleurs qu’ici. Je le redis d’aillleurs : si vous pensez, chers lecteurs, qu’un aspect de la BD manque à ce site, prenez votre plume et venez nous rejoindre. Si votre démarche plaît à notre équipe, nous saurons lui faire une place.

              Je persiste à croire que ce type d’analyse demanderait de solides notions d’histoire de l’art, d’histoire des courants créatifs et des courants de pensée.

              Déjà un peu de curiosité, c’est pas mal.

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              • Répondu par Manu temj le 1er mars 2009 à  10:17 :

                Cher Didier,

                "La place il faut la prendre !". Ben... oui !

                Croyez bien que si j’avais même la moitié des connaissances artistiques/littéraires nécessaires pour prendre cette place, je tenterais de le faire.

                Je n’exprime ici qu’une envie ou un besoin auquel je ne suis hélas pas en mesure de répondre, ma vie professionnelle m’appelle à des préoccupations bien trop éloignées de celles-ci. Quant à ma "curiosité" - je le crains - elle ne suffira pas à m’en donner les moyens avant de nombreuses années.

                J’ai juste le souhait de voir un jour pas trop lointain ceux qui par leur formation, leur exercice professionnel et leur intérêt pour la bande dessinée auraient déjà les moyens d’aborder ces thèmes, le faire et bien le faire...

                Pour le reste, je regrette comme vous le rejet en bloc de certains travaux "historiques" au motif qu’ils comportent apparemment quelques erreurs, fussent-elles d’appréciation. Inversement, je reconnais aussi des qualités à ces "plumes" que vous citez... et d’énormes défauts ; c’est évident.
                Néanmoins, qu’il existe des courants de pensées excessifs et que ceux-ci se construisent les uns contre les autres ne me dérange pas autant que vous si d’autres parviennent à en faire la synthèse et établissent des réflexions intermédiaires ou différentes.

                Vous vous étonnez que "personne" ne conteste les travaux d’Harry Morgan... N’est-ce pas ce que vous faites vous-même ?

                Alors acceptez que je vous remercie pour ce travail, que je vous encourage à aller un peu plus loin et que je regrette qu’apparemment vous n’ayez pas le temps de le faire.
                Quelqu’un d’autre peut-être alors ?...

                Répondre à ce message

                • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 1er mars 2009 à  11:12 :

                  Néanmoins, qu’il existe des courants de pensées excessifs et que ceux-ci se construisent les uns contre les autres ne me dérange pas autant que vous si d’autres parviennent à en faire la synthèse et établissent des réflexions intermédiaires ou différentes.

                  Je ne crois pas trop aux valeurs structurantes des pensées excessives. Des spécialistes de bande dessinée comme Patrick Gaumer ("Le Larousse de la BD"), l’équipe du Collectionneur de bande dessinée (hélas à la retraite) ou encore les auteurs du BDM apportent depuis des années des outils de cognition fiables, sans esbroufe. Mais ce sont d’affreux "collectionneurs" "faniques". La chronique sur le Larousse de la BD du Petit critique illustré de Harry Morgan et Manuel Hirtz, par exemple, est une critique à charge qui ne relève pas les points positifs de l’ouvrage et surtout qui ne s’intéresse ni à la fiabilité, ni à la méthode. Il s’emploie surtout à dire qu’il est dépendant des traductions (sous-entendu, cet ouvrage est une resucée d’ouvrages étrangers, ce qui est faux) et se perd dans des anecdotes (à savoir que l’ouvrage a changé de titre et que Moliterni disparaît du générique). Ce type d’approche superficielle, pénétrée de suffisance, a le don de m’énerver car il exécute en moins de cinq phrases un travail d’une honnêteté irréprochable, en dépit de quelques erreurs que ne manquent d’ailleurs pas de relever les spécialistes les plus pointus et qui sont corrigées d’une édition à l’autre.

                  Vous vous étonnez que "personne" ne conteste les travaux d’Harry Morgan... N’est-ce pas ce que vous faites vous-même ?

                  Même pas. Tout au plus ai-je exprimé mon agacement. Je m’en occuperai un jour car il faudra bien le faire. J’appelle simplement les lecteurs à un peu plus d’esprit critique et à ne pas prendre cette littérature très renfermée pour parole d’Évangile.

                  D’une manière générale, c’est le financement de cette réflexion sur la bande dessinée qui manque à son développement. En attendant, un bon nombre d’observateurs, à commencer par les éditeurs et les auteurs eux-mêmes, préfèrent prendre la pause pour déplorer "l’état de la critique BD", une façon de se dédouaner par avance des mauvaises critiques qu’ils pourraient essuyer.

                  Alors acceptez que je vous remercie pour ce travail, que je vous encourage à aller un peu plus loin et que je regrette qu’apparemment vous n’ayez pas le temps de le faire. Quelqu’un d’autre peut-être alors ?...

                  Merci pour vos encouragements. Sur ActuaBD, nous sommes toute une équipe qui s’y essaie, chacun avec ses moyens. Elle s’aguerrit. Avec le temps, on aura peut-être des surprises.

                  Au passage, vous remarquerez que les esprits forts qui me servent habituellement de punching-ball sont d’une discrétion exemplaire en ce qui concerne le discours sur la BD que l’on peut lire sur la toile. On commence pourtant à y lire d’excellents textes qui ont l’avantage d’être accessibles gratuitement et que l’on peut facilement référencer par un lien hypertexte. Je ne connais pas l’équipe de Wikipedia, mais le travail qui y est fait est en général de bonne qualité.

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  • « Bizarre », le précurseur
    26 février 2009 17:38, par lezilus

    Très bon article sur un sujet peu traité.
    Allez voir le site consacré à Gus Bofa, qui retrace des parentés entre les illustrateurs et les éditeurs souvent oubliés de l’entre-deux-guerres (on y parle aussi de Chas Laborde, de Roubille ou de Jean Bruller)et les auteurs de Bande dessinée qui y puisent leur inspiration.Emmanuel Pollaud Dulian (le biographe de Bofa)est le responsable de ce travail passionnant.

    Voir en ligne : Les précurseurs

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    • Répondu par Sergio Salma le 2 mars 2009 à  18:41 :

      Evidemment qu’il faut tout mêler et entremêler !
      D’urgence. Et cesser d’opposer des écoles. On a vite fait de monter l’un contre l’autre des genres aussi différents que Largo Winch et Monsieur Jean. Ou le réalisme contre l’humoristique alors qu’un simple regard sur certaines revues historiques comme Charlie mensuel ou (à suivre)peuvent nous apprendre (et ces revues n’étaient pas publiées distraitement, leur sommaire était soigneusement réfléchi)quels écueils éviter. Dans ces revues se côtoyaient les Peanuts et Guido Buzzelli, De le Fuente et Sokal, Schuiten et Manara. Quino et Corben. Il ne s’agit pas d’envisager la bande dessinée sous l’angle de la parenté graphique . Tout le hiatus est malheureusement là, et uniquement là.

      Et c’est encore là que certains voudraient intervenir pour croiser, faire interagir, se répondre la bande dessinée et le reste de la production graphique dessinée.

      Je préfère de loin la tendance qui vise à mêler le neuvième art à TOUTES les autres activités . Car enfin, on ne va pas encore revenir sur la dette de certains auteurs actuels envers des graphistes anciens, l’antienne ”Bofa-Tardi-Blain”. On est d’accord que certains traits se retrouvent mais enfin, puisqu’il s’agit ici de mettre en avant la spécificité du média BD en quoi ces comparaisons sont-elles pertinentes ? Blain a toujours raconté des histoires originales qui n’ont aucun rapport avec Bofa (puisque Bofa n’a jamais fait de bd !) . Tardi, dans son rythme, dans ses intentions, n’a jamais fait que créer et créer encore de nouvelles formes de récit, des mises en scène qui n’ont jamais été vues chez Bofa (puisque Bofa ne faisait pas de bd !)

      Et si Blutch a dans son trait des traces d’illustres ancêtres( Goya ou Daumier par exemple) , j’imagine mal le grand prix 2009 travailler avec les gravures et dessins de ces messieurs sur son bureau d’autant que ces vestiges ne se retrouvent que dans quelques traits, une masse de noir mais Blutch , même s’il est aussi un adepte du dessin isolé ,est avant tout un narrateur.

      On peut très bien retrouver chez certains cinéastes l’angle de vue graphique initié par des photographes 20 ans auparavant sans pour autant les associer. On peut le faire évidemment mais c’est complètement anecdotique. Comme de rapprocher Baudelaire et Gainsbourg.

      Il y a deux axes à mon avis pour envisager l’histoire de l’art .
      Ou bien on lie chaque artiste (quels que soient son appartenance, son lieu de vie, ses ambitions, son époque) à tous les autres artistes et ce, dans le temps et dans l’espace ou bien on décide que chaque individu créateur est unique et ne doit que très peu à tous ces prédécesseurs ou contemporains.

      Si on opte pour la première option, alors oui on peut lier et relier des centaines, des milliers d’auteurs tous genres confondus pour arriver à la conclusion qu’évidemment l’auteur n’est pas amnésique et qu’il connaît ce qui se fait et ce qui s’est fait. Il a ingurgité, écouté, regardé, emmagasiné et sa vision du monde s’enrichit de la vision des autres artistes. Il y a un amalgame, un précipité, un mélange dont la teneur dépend de mille facteurs.

      On peut voir l’ombre de tel artiste pop des années 60 dans les textes ou dans les images de quantité d’artistes d’aujourd’hui comme on pouvait voir dans le cubisme de Picasso une digestion (entre autres choses) des arts primitifs. Dans les dessins de certains impressionnistes l’influence de l’estampe japonaise etc… Tout cela est bien évident. Moins évident d’aller déceler chez Sempé une vision à la Pagnol, cette humanité, cette compassion.

      L’affaire des artistes n’est pas seulement une histoire de correspondance graphique ou d’identité visuelle. Il y a bien d’autres choses . Une humeur . Un regard. Une approche. Qui peuvent rapprocher des auteurs( des chorégraphes, des vidéastes, des auteurs de bandes dessinées, des réalisateurs de films 3D, des caricaturistes, des chanteurs etc…) sans que le lien ne soit d’une évidence flagrante.

      Certains auteurs de bandes dessinées politiques doivent autant à Jean Gabin qu’à Reiser. Le dessin de presse n’est pas seulement un genre qui se développe en ayant ses modèles dans le dessin de presse ou les satiristes( de Cabu à Plantu) , ses adeptes doivent autant à Steinbeck et à Zola quand ils leur empruntent leurs accents sociaux . Il y a du Dylan et du Springsteen dans Davodeau autant que du Sautet et du Prévert( je m’avance sans doute un peu, j’y mêle ce que j’y décèle et que j’apprécie). Comme on peut voir du Woody Allen chez bien des dessinateurs humoristiques (mais pas que chez des humoristiques)...l’entrecroisement de tous ces talents aboutit à ce que l’on qualifie de bâtardisation mais qui n’est qu’un carrefour d’influences, une richesse.

      Geluck va autant puiser( a-t-il seulement besoin de le faire ?) chez Chaval ou Siné que chez les Monty Python , Ettore Scola ou La Fontaine.

      Nous vivons en société et on se nourrit de tout et tout le temps. On peut être autant impressionné par les silhouettes noires des vases grecs que par les lignes d’une architecture . L’esthétique d’un avion, d’une voiture peut autant “inspirer” un dessinateur qu’un maître de la gravure du XVIIIè siècle.

      On peut trouver chez une multitude d’auteurs actuels ( qui vont du style blog très économe à la surenchère picturale) des vestiges d’un nombre incalculable de personnalités superposées. Quand certains influencent d’autres qui à leur tour impressionnent de nouveaux venus, les filiations, le métissage, les cousinages sont très diffus. Mais perceptibles.

      L’art n’est pas constitué d’un réseau de tuyaux d’où s’écoulent indépendamment les différentes courants, peinture, cinéma, arts graphiques, danse, musique…tout cela est imbriqué dans un formidable désordre. D’autant qu’on retrouve parfois les mêmes individus s’adonner aux différentes pratiques( Lynch musicien, plasticien, cinéaste…), Tronchet écrivain, auteur de bandes dessinées, Cocteau, Frank Tashlin auteur de bd et cinéaste etc…

      Pour ce qui est de la spécificité de la bande dessinée ( pitié , revoyons les principes de base de Scott Mac Cloud dans tous les versets de tous ses chapitres ! ) on ne peut définitivement plus, quand on a un peu compris ce qui est écrit dans cette bible, encore et toujours réduire les infuences des auteurs à une parenté graphique et immédiatement visuelle. L’image seule et isolée n’est RIEN dans la bande dessinée.

      On peut voir dans les pastels de Vivès des réminiscences certainement bien involontaires des images acidulées des publicités des revues familiales des années 60. En quoi l’univers de Vivès a-t-il un quelconque rapport avec les pâtes Soubry ? Si on peut s’amuser à comparer ce qui n’est pas comparable, on doit se garder de mettre tout et tous dans le même panier.

      Les créateurs sont dans le monde et ce monde est une confluence d’esthétiques, le beau et le laid sont partout. . Un cerveau peut autant être marqué par une visite d’exposition que par un traumatisme .Il considère comme des expériences égales l’écoute d’une symphonie autant qu’un divorce .

      L’intérêt serait d’aller fouiller pourquoi certaines personnalités influencent certains esprits. Pourquoi des auteurs se raccrochent-ils à un ou plusieurs auteurs ? A ceux-là et pas à d’autres… J’évoque ici la possibilité pour un auteur, un artiste de prendre pour modèle un autre artiste. Il le définit comme père spirituel, comme maître à penser. Pourquoi ? Elle sera son influence majeure. Revendiquée souvent, inconsciente parfois. La notion de précurseurs ou de suiveurs est elle aussi anecdotique. il y a chez certaines suiveurs une humanité désarmante. Que ce soit dans le monde de la bande dessinée ou tout autre chose. Je ne vois dans cette volonté d’à tout prix définir tel ou tel auteur comme un chef de file, un génie ou un novateur, une terrible volonté de déifier une démarche. De rendre un culte . Passons-nous des cultes et jouissons au contraire des moindres qualités de chacun des auteurs qui se présentent à nous. On risquerait de tomber dans une espèce d’eugénisme, dans la discrimination.

      Il y a eu dans Métal Hurlant une quantité d’individus qui mêlaient esprit rock et punk. Ils empruntaient donc autant à une certaine littérature, un certain cinéma, un certain esprit musical trans-genre qui nourrissaient autant leurs pages que leurs lectures d’enfant ou leurs passions d’adolescent. On ne peut pas parler d’une culture graphique en oubliant que les yeux fonctionnent en même temps que les oreilles et tout le reste du corps. On s’habille, on pense, on se déplace d’une certaine manière. On baigne dans une culture (riche ou très limitée peu importe).On dessine , on écrit , on met en scène avec sa personnalité sans que l’on sache très bien pourquoi on emprunte un chemin et pas un autre. Nos défauts, nos failles et nos qualités( à tous) font partie de ce mix improbable.

      Les auteurs de bande dessinée sont souvent taxés de cette presque honteuse mixité. On y voit un collage de cinéma, de photographie, de littérature, de théâtre alors qu’il n’y a dans ce médium qu’une infime proportion de ces autres disciplines . La bande dessinée se suffit à elle-même. Elle a inventé ses codes en même temps que le cinéma d’ailleurs et sa présence dans les journaux au début du XXème siècle était bien plus pure que ne veulent aujourd’hui le prétendre les contempteurs , laudateurs et autres observateurs.

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      • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 2 mars 2009 à  21:35 :

        Cher Sergio,
        Je lis toujours avec plaisir tes longs posts car ils sont souvent intelligents et marqués au coin du bon sens.

        Sauf que là, je ne vois pas la finalité de ton argumentation.

        Il serait vain de déceler chez Picasso son tribut aux Arts Premiers, ou un air de famille "bofesque" chez Tardi ou chez Blutch ? Et pourquoi donc ?

        Et s’il ne s’agissait que d’une pédagogie qui consiste à éveiller le goût des lecteurs pour quelques vieux traits qui peuvent servir d’émulation à des créateurs d’aujourd’hui ? C’est le but de ce genre d’anthologie, en général.

        Et s’il s’agissait d’offrir à une génération si volontiers amnésique l’opportunité de comprendre que toute création a une histoire, et pas n’importe laquelle ?

        Et s’il s’agissait d’apporter au graphiste d’aujourd’hui un patrimoine qui lui éviterait de réinventer l’eau tiède ?

        Je te connais assez pour savoir que là n’est pas habituellement ton propos.

        Dès lors, je veux bien que tu nous expliques le fond de ta pensée, car je n’ai pas compris ta démarche.

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        • Répondu par Sergio Salma le 2 mars 2009 à  22:52 :

          Mais parce que ces comparaisons sont réductrices et ne s’intéressent qu’à la surface des choses. Si on veut bien se focaliser sur ces rapprochements que tu évoques, on oublie de nouveau qu’il ne s’agit là que de l’aspect immédiat et visuel.

          Et parce qu’il ne prend définitivement pas en compte ce qui est le moteur même de la création en bande dessinée. Trouver un air de ressemblance entre Satrapi et Keith Haring oui. Même trait simple, contour, anti-virtuosité du trait. Trouver une corrélation entre Hockney et Loustal par exemple est un peu plus pertinent. Parce que ces auteurs n’ont pas seulement en commun le goût du bleu profond , des piscines et une ressemblance de traits , de certains traits, ils distillent un peu le même mood, le même spleen. Je veux exprimer l’idée que l’auteur de bande dessinée peut être comparé à un autre artiste ( ancien ou contemporain) au travers de ce qu’il raconte et non par le biais de son trait et de chacune de ses images.

          Puisqu’on parle de pédagogie, méfions-nous d’indiquer des chemins un tantinet primaires pour expliquer des choses très complexes.
          Pour reprendre l’exemple de Picasso et des arts primitifs, il faudrait aussi contextualiser. L’Afrique ne revêt pas la même connotation aujourd’hui. La culture colonialiste , la géographie ,les recherches scientifiques et les avancées technologiques font éclore dans les années 10 ou 20 des artistes peintres qui concurrencent l’objectif photographique. Les peintres les plus cotés , les peintres officiels ne sont pas ceux que l’on croit, l’académisme est de rigueur. Quand Picasso casse tout ça , il ne fait pas qu’aller piocher des formes dans l’art africain.

          On n’est donc pas seulement dans la similarité. Oui, les gueules peintes de Picasso présentent les mêmes angles, les mêmes déformations que les masques congolais ou sud-africains. Mais indiquer cela est à mon avis la toute première leçon. Il faut vite passer à autre chose sinon on risque de réduire à des emprunts successifs les activités artistiques !

          Je ne réagis pas négativement contre ces rapprochements ( notamment à propos de Gus Bofa qu’on retrouve partout) mais je veux juste indiquer que la bande dessinée est affaire de narration. Et donc on doit rechercher dans ce que les auteurs racontent les vestiges ou les réminiscences plutôt que dans la ligne, le trait.

          Et je ne réagis pas non plus contre ces familles , ces liens entre artistes de différentes époques ; après tout , on peut difficilement nier l’évidence. Mais en tant que lecteur de bandes dessinées , je me suis toujours régalé de rapprochements moins évidents parfois cachés, sous-entendus, en filigrane.

          Des exemples plutôt qu’une théorie confuse :
          Ted Benoît et sa berceuse électrique (désolé pour les moins de 30 ans sauf s’ils fouinent un peu). On plaquera évidemment son trait à celui de Hergé, Bob Demoor...alors que la référence ultime est bien Hollywood et une certaine littérature. C’est dans la peinture , la photographie américaine que je vois le plus de parenté. Dans l’illustration (américaine elle aussi), le rock, le blues, le polar.
          Non parce que ces sujets et ces domaines sont explicitement présentés, mais parce que c’est dans ces domaines que l’auteur a (je crois) puisé l’essentiel de son goût ,ses attirances et qu’en définitive, il raconte une histoire qui est avant tout sa vision des USA des années 50, son goût du glamour, les belles voitures , le design architectural, le moblilier etc... plus que ses références purement bandes dessinées. L’histoire en elle-même est le vecteur de toutes ses références. Ted Benoît avec cet album transcrit en bande dessinée le regard qu’il a sur le monde et le regard qu’ont porté tous ces artistes ( photographes , designers...) est digéré.

          Un autre exemple : quand Cosey nous incitait en 4 de couv de ses Jonathan à écouter tel ou tel musicien, tel ou tel groupe. Il expose là ses goûts ou simplement des oeuvres qui peuvent être associées à celle que l’on tient en main. Cosey , en ce qui me concerne , a été un des premiers auteurs à me donner envie et le goût du voyage. Sa façon de présenter les cultures des pays et régions traversées par son personnage est à elle seule un digest de sa culture à lui, l’auteur. Et ses livres sont autant de musiques douces, des petits tableaux plein de sagesse.

          Et il ne se prive pas de nous montrer son amour du road movie et des romanciers de la génération Kérouac, des groupes de rock, de la musique planante. Il a dessiné John Huston comme personnage principal d’un de ses albums. On est dans l’errance, dans Wim Wenders...il a fait référence à Frank Loyd Wright. Je veux dire que l’instinct narratif de Cosey se nourrit autant de ces références-là, bien éloignées de l’apparence graphique et visuelle de ses pages. c’est dans l’humeur distillée qu’on peut retrouver une admiration de certains photographes ou certains illustrateurs.

          Excusez les raccourcis trop grossiers : Tardi et Céline, Margerin et Renaud. Tillieux et Janson(+ Carné, Duvivier...) Dupuy&Berbérian et Truffaut, Jean-Claude Denis et Rohmer, Delaf & Dubuc ( les nombrils) et Desperate Housewives ou Seinfeld !
          Je n’imagine pas un seul instant que ces auteurs dont je suis fervent lecteur ne se sont nourri que de ces seules références. Mais ces liens de parenté existent .

          Involontaires ou conscients , ces airs de famille, cet esprit m’importent plus que la ressemblance primaire.

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PAR Didier Pasamonik (L’Agence BD)  
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