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Blake & Mortimer : L’Affaire des trente deniers

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 18 novembre 2010                      Lien  
Au cœur du dernier diptyque de Blake et Mortimer signé Jean Van Hamme, La Malédiction des trente deniers, un sujet qui turlupine autant la Chrétienté que Largo Winch : l’argent.

Rien ne ressemble plus à Jean Van Hamme que ce dernier album de Blake et Mortimer. On sait que le premier tome avait été frappé par un drame : la disparition brutale de son dessinateur René Sterne. L’album avait dû être achevé par sa compagne Chantal De Spiegeleer. Impossible d’imaginer un plus terrible travail de deuil.

On sait aussi que notre diagnostic sur cet album était réservé. Si le dessin, dans sa globalité, tenait les promesses, le scénario semait quant à lui de nombreux indices sans vraiment convaincre, d’autant que le thème principal –les trente deniers de Judas l’Iscariote- traînait une vieille antienne de l’antijudaïsme chrétien destinée à alimenter l’image de cupidité des Juifs. Un thème qui, mêlé à une histoire d’anciens nazis revanchards qui avaient fait alliance avec les « Jaunes », renforçait encore davantage le côté borderline. À cela s’ajoutait un ton de comédie plus accentué que d’habitude dans les aventures des deux gentlemen britanniques.

Un rappel de La Grande Pyramide

Disons-le d’entrée, ces réserves sont levées avec ce second tome. Sur la question du ton de la comédie d’abord. Il est inspiré aux meilleurs sources : une relecture de la Grande Pyramide montre un récit plus primesautier que celui, théâtral et pathétique, de L’Espadon. Mortimer y apparaît comme un joyeux drille victime de quelques gags savoureux. Des personnages comme Grossgrabenstein avaient un contour burlesque digne des aventures de Tintin que Jacob devait avoir en ligne de mire en ce temps là.

Le graphisme d’Antoine Aubin et d’Etienne Schreder dans cet ouvrage est plus qu’honnête. On atteint une maîtrise certes inférieure mais néanmoins comparable à celle d’un Ted Benoît qui est sans aucun doute le meilleur repreneur graphique de la série.

Sur la question des trente deniers ensuite. Là aussi, nous sommes dans le canon jacobsien. Dans chacun des albums du créateur du Bois des Pauvres, il y avait une thèse : L’avion-amphibie dans L’Espadon, la chambre secrète de la Grande Pyramide, etc. Une thèse que Jacobs essayait de valider auprès de scientifiques patentés lesquels devaient y trouver un amusement qui a servi de modèle au savant écossais de la série.

Une habile relecture des mythes

Dans cet album, Mortimer part sur les traces du mythe chrétien de Judas dont il apparaît dans le manuscrit de Nicodemus, réminiscence du Papyrus de Manéthon, qu’il ne serait pas mort pendu comme on le stipule dans les Évangiles : une thèse dont on peut trouver des traces dans la littérature scientifique et qui se trouve ici extrapolée par l’auteur. Là-aussi, nous sommes dans la voie jacobsienne, jusqu’au pastiche, car toute la scène inaugurale de l’arrivée de Mortimer au Musée archéologique d‘Athènes est décalquée, à la Lincoln noire près, de celle de la Grande Pyramide.

Blake & Mortimer : L'Affaire des trente deniers

Van Hamme se nourrit dans cette histoire d’un autre mythe biblique, celui du Juif errant, ce passant qui avait insulté le Christ sur le chemin du Calvaire en l’invitant à marcher plus vite et qui s’était vu recevoir cette divine réplique : « Moi je vais y aller, et toi tu m’attendras jusqu’à ce que je revienne. » La légende en avait fait une âme en peine attendant la fin des temps, immortelle, omnisciente, visible ou invisible à volonté, capable même de voler dans les airs et qui détenait toujours dans sa bourse les cinq piécettes qui faisaient en sorte qu’il ne souffrait jamais de la faim. Dans les représentations plus tardives comme dans les images d’Épinal, le malheureux ne peut rester sur place et doit pérégriner de par le monde sans répit.

Plaçant son récit enfin en Grèce, où se trouverait le tombeau de Judas, Van Hamme évoque le drachme dont les morts doivent s’acquitter en traversant l’Achéron. Une allusion qui rappelle que la mythologie grecque n’est pas inconnue de l’auteur de XIII, depuis Epoxy qu’il signa avec Paul Cuvelier (Le Lombard).

Tout cela est habilement emmanché, éclaire d’un jour nouveau la proximité entre les mythes antiques et sert de toile de fond crédible à une aventure qui se termine mieux qu’elle n’avait commencé.

On peut juste regretter le caractère passif d‘un Olrik que l’on fait ressortir à grands frais de sa prison américaine pour finalement n’exécuter qu’un second rôle derrière un potentat nazi assez peu crédible.

Il reste en sous-texte que, décidément, l’argent ne fait pas le bonheur, comme dans Largo Winch finalement.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

La Malédiction des trente deniers T2 par Jean Van Hamme, Antoine Aubin et Etienne Schréder. (C) Editions Blake & Mortimer.

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14 Messages :
  • Blake & Mortimer : L’Affaire des trente deniers
    18 novembre 2010 15:55, par Denis

    Pour avoir lu le deuxième tome en ligne lors de sa prépublication, je peux dire que j’ai vraiment détesté cet album. Certes le dessin d’Aubin est globalement bon mais le scénario est totalement insipide. JVH nous mène en bateau au sens propre comme au figuré car l’action se passe souvent en mer, dans d’interminables scènes d’un ennuie mortel. Il pompe allégrement quelques séquences de l’Atlandide ou et du Mystère de la Pyramide et termine pour un final grotesque et téléphoné. Cet album est un pur produit marketing qui devrait bien se vendre mais qui prouve que Blake & Mortimer sont malheureusement, bel et bien morts.

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    • Répondu par Patrick le 20 novembre 2010 à  03:35 :

      Je partage entièrement l’avis de Denis, c’est un très mauvais cru.

      Jean van Hamme n’hésite pas à avoir recours aux facilités scénaristiques les plus éculées des romans et bédés bon marché : la conspiration nazie. Olrik ne sert à rien, les filles sont des potiches, le tout sur un fond d’adulation mal placée et sans aucune originalité à Steven Spielberg et Indiana Jones. Les scènes à l’eau sont d’un ennui mortel et tirées en longueur.

      Le dessin est tout à fait satisfaisant, sauf peut-être à la fin où l’on ressent une certaine précipitation dans le graphisme.

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    • Répondu par Alain Perfide le 26 novembre 2010 à  14:33 :

      Le dessin d’Antoine Aubin est fabuleusement bon, vous voulez dire ! C’est le meilleur repreneur de la série, après Sterne. Même Ted Benoit n’avait pas pu s’empêcher de laisser son style revenir à la surface... comme Taymans dans ses Lefranc. On est largement au-dessus de Juillard, graphiquement parlant, qui fait des Blake et Mortimer étranges, loin de Jacobs, de quelque période que ce soit.

      Le scénario de Van Hamme, par contre, est pathétique. C’est très faible, trop inspiré : les séquences de "L’Enigme de L’Atlantide" et du "Mystère de la Grande Pyramide" sont évidentes, jusque dans leur traitement graphique. Quelques inspirations de "L’Espadon", également. On croirait un scénario de dessin animé dérivé de ces histoires mélangées... Le final est trop rapide, et rappelle de manière (im)pitoyable "Les aventuriers de l’Arche Perdue".

      Ces reprises mériteraient que des auteurs de romans, à l’instar de Pennac et Benacquista pour Lucky Luke, viennent sortir nos héros du marasme scénaristique dans lequel ils sont empêtrés depuis que Van Hamme et surtout Sente ont précipité leur fin.

      A croire que ces deux scénaristes font un concours pour déterminer lequel d’entre eux fournira le scénario le plus médiocre pour cette série autrefois prestigieuse. Pourquoi personne ne songe à faire appel à un auteur comme Fabrice Colin ? Ou à l’un des auteurs de fantasy et de science-fiction, ou clairement d’uchronies, de la même génération d’auteurs, remarquablement inventifs ?

      Les noms ne manquent pas, les idées non plus... pourquoi toujours faire appel aux mêmes vieilles lunes et pathétiques resucées de vieux poincifs ?... LEs têtes pensantes de DDL n’ouvriraient donc jamais "Livres Hebdo" ?

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      • Répondu par Reval Zelantius le 28 novembre 2010 à  17:47 :

        « Même Ted Benoit n’avait pas pu s’empêcher de laisser son style revenir à la surface... » ????

        Pourquoi ? La reprise des Blake & Mortimer consiste-t-elle à être copiste de Jacobs ? Il est plus intéressant de voir un dessinateur donner son style aux personnages que d’essayer de faire du Jacobs, voire du sous-Jacobs. D’ailleurs si l’on veut faire du Jacobs, de quel Jacobs parle-t-on ? Il a tellement fait évoluer son style dans les albums de B&M qu’il est difficile de dire ce qu’est le style Jacobs à reprendre. C’est sans doute pour cela que cet album me semble un peu fade au niveau du dessin, sans grande personnalité, et puis ces planches où il redessine fois le même dessin à peu de choses près, c’est navrant. Alors que le travail de Ted Benoit qui a su honorer l’esprit de Jacobs était bien plus intéressant à mes yeux.

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      • Répondu par Denis le 28 novembre 2010 à  17:49 :

        Le dessin d’Antoine Aubin est fabuleusement bon, vous voulez dire ! C’est le meilleur repreneur de la série, après Sterne. Même Ted Benoit n’avait pas pu s’empêcher de laisser son style revenir à la surface... comme Taymans dans ses Lefranc. On est largement au-dessus de Juillard, graphiquement parlant, qui fait des Blake et Mortimer étranges, loin de Jacobs, de quelque période que ce soit.

        Mais ce n’est pas un défaut d’avoir du style, au contraire ! Ted Benoit est pour moi le meilleur repreneur car il respecte Jacobs tout en ayant son style. Même remarque pour Sterne dont la reprise était une réussite. Le dessin d’Aubin est effectivement bon mais je le trouve assez impersonnel pour l’instant. Par contre, je suis tout à fait d’accord avec toi pour le dessin de Juillard

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        • Répondu par Alain Perfide le 30 novembre 2010 à  15:27 :

          Ah, je suis d’accord avec vous, cher Reval : le style personnel est de toute importance, mais les éditeurs cherchent, pour cette reprise, une fidélité au Jacobs de 1954. C’est dit dans l’ouvrage "Histoire d’un retour", je crois, de Cambier et Verhoest.
          J’aime énormément le travail de Benoit. J’ai beaucoup d’admiration pour ses albums personnels et j’ai hâte de voir son prochain Ray Banana.

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  • Blake & Mortimer : L’Affaire des trente deniers
    18 novembre 2010 20:13, par Frenchoïd

    "(...) dans sa bourse les cinq piécettes qui faisaient en sorte qu’il ne souffrait jamais de la fin."

    Disons plutôt qu’il souffrira à la fin, mais pas de la faim ?

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    • Répondu par Frenchoïd le 19 novembre 2010 à  10:48 :

      Dites, Didier, il ne s’agissait pas d’une boutade mais d’une invitation à corriger une phrase fautive...

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  • Blake & Mortimer : L’Affaire des trente deniers
    28 novembre 2010 10:31, par alain

    Faudrai peut-être changer de scénariste et ne pas vouloir à tout prix mettre un nom célèbre... du scénario-zapping comme JVH ! Je m’explique : 1 page de nazi dans un château... un épisode sur un bateau... un missile sur un bateau pour tuer tout le monde et ne rien leur faire quand ils sont à la merci des nazi... et j’en passe et des meilleurs...
    Le dessin est superbe, mais osez un changement de scénariste(s) par pitier...

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  • Blake & Mortimer : L’Affaire des trente deniers
    28 novembre 2010 15:12, par Patrick

    Le dessin est moins catastrophique que sur la premiere partie (on peut pas faire pire), mais ça reste raide, plat et sans vie. Quant au scénario, c’est clairement du foutage de g... Avant JVH plagiait Hitchcock, là il plagie carrément Jacobs. N’importe quoi.

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    • Répondu par Dominique Petitfaux le 28 novembre 2010 à  22:42 :

      Je m’étonne que la planche 50 n’ait pas suscité de commentaires, ni sur Actua BD, ni ailleurs : ainsi, selon Van Hamme, Judas était encore en vie, près de vingt siècles après sa trahison (depuis cette époque il a manifestement vieilli, mais semble quand même en assez bonne forme) et - surtout - Dieu existe, et c’est le Dieu des chrétiens.

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      • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 29 novembre 2010 à  13:07 :

        Je ne vois pas, cher Dominique, quel autre commentaire nécessite ce point sinon celui évoqué dans l’article, à savoir un joyeux remix de mythes juifs, chrétiens et grecs.

        Quand au Dieu tout puissant évoqué page 50 (les "Malédiction" et autres "Damned" ne manquant pas dans l’œuvre...), il n’est pas moins puissant que le Horus de la Grande pyramide et rien n’indique qu’il soit exclusif aux Chrétiens (il est commun au Judaïsme, au Christianisme et à l’Islam). Au reste, La Pyramide apparaît comme une apologie du monothéisme. Rien de nouveau sous le soleil, dès lors... Sauf la parfaite orthodoxie avec le corpus jacobsien.

        Le mythe du Juif errant date du Xe S. mais rien n’empêche JVH de supposer qu’il est le résidu d’un mythe plus ancien fondé sur une "réalité" contemporaine au Christ...

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        • Répondu par Dominique Petitfaux le 29 novembre 2010 à  16:11 :

          Certes, cher Didier, à la différence quand même - et cette différence ne me paraît pas mince - que plus personne (sauf Bilal ?!) ne croit en Horus, que la religion de l’Égypte ancienne est morte (elle fait donc effectivement partie de la mythologie mondiale), alors que la réalité historique de Judas, de sa trahison, de son rôle dans la mort de Jésus, ne sont pas, pour des millions de gens, de la mythologie, mais font partie de leur foi religieuse. Et même si je suis bien conscient des points communs entre les trois grands monothéismes, "l’affaire Judas" a un arrière-plan chrétien, beaucoup plus que "monothéiste en général". Jacobs, dans ses mémoires, appelle Dieu "le Grand Scénariste", mais je ne pense pas qu’il aurait osé faire intervenir le Dieu des monothéismes dans ses récits, même pour se sortir d’un scénario en forme d’impasse. Mais les dieux dans lesquels plus personne ne croit, oui, bien sûr, et cela fait partie du fantastique jacobsien.

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  • Blake & Mortimer : L’Affaire des trente deniers
    30 novembre 2010 13:00, par PPV

    diable, les commentaires ici confirment ce que je pensais en ce qui concerne le en lisant des extraits dans Le Monde l’été dernier. Ce sera sans moi pour l’album, toutefois il serait bon de rappeller que Antoine Aubin (Frechon) est un illustre inconnu, ses précédentes publications sont passées complétement inaperçues et ont du se vendre à quelques centaines d’exemplaires. Là, il reprend une série mythique sur base d’un cv quasi vide : je salue sa performance d’à peu près égaler Sterne, cela force le respect.

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