Rien ne ressemble plus à Jean Van Hamme que ce dernier album de Blake et Mortimer. On sait que le premier tome avait été frappé par un drame : la disparition brutale de son dessinateur René Sterne. L’album avait dû être achevé par sa compagne Chantal De Spiegeleer. Impossible d’imaginer un plus terrible travail de deuil.
On sait aussi que notre diagnostic sur cet album était réservé. Si le dessin, dans sa globalité, tenait les promesses, le scénario semait quant à lui de nombreux indices sans vraiment convaincre, d’autant que le thème principal –les trente deniers de Judas l’Iscariote- traînait une vieille antienne de l’antijudaïsme chrétien destinée à alimenter l’image de cupidité des Juifs. Un thème qui, mêlé à une histoire d’anciens nazis revanchards qui avaient fait alliance avec les « Jaunes », renforçait encore davantage le côté borderline. À cela s’ajoutait un ton de comédie plus accentué que d’habitude dans les aventures des deux gentlemen britanniques.
Un rappel de La Grande Pyramide
Disons-le d’entrée, ces réserves sont levées avec ce second tome. Sur la question du ton de la comédie d’abord. Il est inspiré aux meilleurs sources : une relecture de la Grande Pyramide montre un récit plus primesautier que celui, théâtral et pathétique, de L’Espadon. Mortimer y apparaît comme un joyeux drille victime de quelques gags savoureux. Des personnages comme Grossgrabenstein avaient un contour burlesque digne des aventures de Tintin que Jacob devait avoir en ligne de mire en ce temps là.
Le graphisme d’Antoine Aubin et d’Etienne Schreder dans cet ouvrage est plus qu’honnête. On atteint une maîtrise certes inférieure mais néanmoins comparable à celle d’un Ted Benoît qui est sans aucun doute le meilleur repreneur graphique de la série.
Sur la question des trente deniers ensuite. Là aussi, nous sommes dans le canon jacobsien. Dans chacun des albums du créateur du Bois des Pauvres, il y avait une thèse : L’avion-amphibie dans L’Espadon, la chambre secrète de la Grande Pyramide, etc. Une thèse que Jacobs essayait de valider auprès de scientifiques patentés lesquels devaient y trouver un amusement qui a servi de modèle au savant écossais de la série.
Une habile relecture des mythes
Dans cet album, Mortimer part sur les traces du mythe chrétien de Judas dont il apparaît dans le manuscrit de Nicodemus, réminiscence du Papyrus de Manéthon, qu’il ne serait pas mort pendu comme on le stipule dans les Évangiles : une thèse dont on peut trouver des traces dans la littérature scientifique et qui se trouve ici extrapolée par l’auteur. Là-aussi, nous sommes dans la voie jacobsienne, jusqu’au pastiche, car toute la scène inaugurale de l’arrivée de Mortimer au Musée archéologique d‘Athènes est décalquée, à la Lincoln noire près, de celle de la Grande Pyramide.
Van Hamme se nourrit dans cette histoire d’un autre mythe biblique, celui du Juif errant, ce passant qui avait insulté le Christ sur le chemin du Calvaire en l’invitant à marcher plus vite et qui s’était vu recevoir cette divine réplique : « Moi je vais y aller, et toi tu m’attendras jusqu’à ce que je revienne. » La légende en avait fait une âme en peine attendant la fin des temps, immortelle, omnisciente, visible ou invisible à volonté, capable même de voler dans les airs et qui détenait toujours dans sa bourse les cinq piécettes qui faisaient en sorte qu’il ne souffrait jamais de la faim. Dans les représentations plus tardives comme dans les images d’Épinal, le malheureux ne peut rester sur place et doit pérégriner de par le monde sans répit.
Plaçant son récit enfin en Grèce, où se trouverait le tombeau de Judas, Van Hamme évoque le drachme dont les morts doivent s’acquitter en traversant l’Achéron. Une allusion qui rappelle que la mythologie grecque n’est pas inconnue de l’auteur de XIII, depuis Epoxy qu’il signa avec Paul Cuvelier (Le Lombard).
Tout cela est habilement emmanché, éclaire d’un jour nouveau la proximité entre les mythes antiques et sert de toile de fond crédible à une aventure qui se termine mieux qu’elle n’avait commencé.
On peut juste regretter le caractère passif d‘un Olrik que l’on fait ressortir à grands frais de sa prison américaine pour finalement n’exécuter qu’un second rôle derrière un potentat nazi assez peu crédible.
Il reste en sous-texte que, décidément, l’argent ne fait pas le bonheur, comme dans Largo Winch finalement.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
La Malédiction des trente deniers T2 par Jean Van Hamme, Antoine Aubin et Etienne Schréder. (C) Editions Blake & Mortimer.
Lire les premières pages du diptyque
Commander Le Tome 1 chez Amazon
Commander le Tome 2 à la FNAC
Commander Le Tome 1 chez Amazon
Participez à la discussion