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Blake, Mortimer et Lawrence d’Arabie

Par Morgan Di Salvia le 16 novembre 2012                      Lien  
Le flegmatique duo créé par Edgar P. Jacobs est de retour pour une intrigue purement policière et très britannique, où le seul sel exotique est incarné par l’évocation de Thomas Edward Lawrence, alias Lawrence d’Arabie. Un album au parfum hitchcockien, le plus réussi depuis longtemps.

On approche un cap symbolique. Au prochain album, il existera plus d’albums des « Aventures de Blake et Mortimer, d’après les personnages de Edgar P. Jacobs » que d’albums du créateur. C’est un corollaire au succès phénoménal généré par la relance de la série au milieu des années 1990. Blake et Mortimer sont devenus un best-seller et donc un enjeu économique de premier ordre pour les Éditions Dargaud, qui publient leurs aventures sous la marque ombrelle Les Éditions Blake et Mortimer. Plus question de laisser les héros en jachère, il faut produire.

Blake, Mortimer et Lawrence d'Arabie
"L’Affaire Francis Blake"
Paru en 1996

A l’origine, un tandem : Ted Benoit & Jean Van Hamme. A leur crédit, deux albums de grande qualité : « L’Affaire Francis Blake », puis « L’Étrange Rendez-Vous ». Problème, cinq ans et demi s’écoulent entre les deux parutions. Un rythme très jacobsien, certes, mais qui ne satisfait pas à la demande de régularité de l’éditeur. Pour « L’Étrange Rendez-Vous », Ted Benoit est pris au piège de son perfectionnisme. Le dessinateur français est tétanisé et recommence sans cesse des planches pourtant extrêmement convaincantes. Pour le sortir de l’impasse, Yves Schlirf, directeur éditorial de Dargaud Benelux, a une idée. Il lui adjoint les services d’un dessinateur qui restera dans l’ombre (pour cette fois [1]) : Étienne Schréder. La réflexion de Schlirf est logique, l’homme qui a réussi à débloquer Bernard Yslaire en plein doute sur « Sambre » est capable de jouer le passe-partout sur « Blake et Mortimer ».

"L’Etrange Rendez-Vous"
Paru en 2001

Cependant, le ver est dans le fruit. Ted Benoit ne pouvant suivre la cadence exigée, l’éditeur a composé une autre équipe, qui travaillera en alternance. C’est ainsi qu’entre en jeu la paire composée d’André Juillard, que l’on n’associait pas forcément à la Ligne Claire, et d’Yves Sente, directeur éditorial des Editions du Lombard qui débute ainsi son chemin dans les pas de Jean Van Hamme.

Depuis, le duo Juillard - Sente s’est révélé le plus régulier et le plus assidu avec « La Machination Voronov », « Les Sarcophages du Sixième Continent » et « Le Sanctuaire du Gondwana », soit trois histoires en quatre albums parus entre 2000 et 2008. Avec application et un certain savoir-faire, ils ont fait du Blake et Mortimer tel qu’on leur demandait, avec les passages obligés de la série, assortis de quelques clins d’œils parfois un peu patauds [2], recueillant un beau succès populaire. Mais jamais on ne les avait senti libres d’essayer autre chose, dans le cadre il est vrai très balisé de ces reprises où l’album étalon reste « La Marque Jaune ».

Un extrait du "Serment des Cinq Lords"
© Juillard- Sente - Jacobs - Editions Blake et Mortimer

Avec « Le Serment des Cinq Lords », pour la première fois, on voit André Juillard et Yves Sente s’éloigner légèrement de l’ombre tutélaire de Jacobs. Exit la science-fiction, les souterrains claustrophobes et l’adversaire récurrent. Le moteur de l’album n’est autre qu’une véritable enquête policière, un whodunit où cinq notables liés par un serment de jeunesse, sont assassinés les uns après les autres, à moins qu’ils ne soient victimes d’une malédiction. On pense aux « Dix petits nègres » d’Agatha Christie ou à l’expédition Sanders-Hartmut des « Sept boules de cristal ». A cela, Sente et Juillard ajoutent des touches hitchcockiennes : tension dramatique lors de poursuites automobiles, agents doubles, ... Ce n’est certainement pas un hasard, si l’on se souvient que « L’Affaire Francis Blake », considéré comme le meilleur Blake et Mortimer de l’après-Jacobs s’inspirait largement du scénario des « Trente-neuf marches », film référence de la période anglaise d’Alfred Hitchcock.

Un mystérieux personnage encagoulé. Réminiscence de Masquerouge ?
© Juillard- Sente - Jacobs - Editions Blake et Mortimer

Enfin, l’ancrage dans la réalité se fait par le biais de l’admiration sincère de Francis Blake pour Lawrence d’Arabie, « un modèle » dit-il même au cours de l’album. Le capitaine Blake, amené à croiser son idole, est soumis à des états d’âmes liés à sa fonction au MI-5. Ce qui étonne dans « Le Serment des Cinq Lords », c’est que Mortimer et Blake arpentent les environs d’Oxford et autres lieux de l’intrigue, sans véritablement donner l’impression d’avoir un coup d’avance. Plus vulnérables, les héros sont aussi plus intéressants et gagnent en substance, une qualité qui avait trop souvent fait défaut aux albums précédents.

Prépublié en strip dans certains quotidiens, l’album sort également au format italien.
© Juillard- Sente - Jacobs - Editions Blake et Mortimer

Pour préserver la sève de cette série mythique, il apparaît essentiel de donner un peu de latitude aux auteurs-repreneurs, quitte à s’éloigner parfois des canons jacobsien. Sous peine de finir par tourner la série en pastiche d’elle-même. Ce que « Le Serment des Cinq Lords » évite bien heureusement.

(par Morgan Di Salvia)

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Code EAN :

« Le Serment des Cinq Lords ».
Par André Juillard & Yves Sente, d’après les personnages d’Edgar P. Jacobs. Editions Blake et Mortimer.

A paraître le 16 novembre 2012.

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A propos des aventures de Blake et Mortimer, sur ActuaBD :

> L’affaire des Trente Deniers

> La Malédiction des Trente Deniers, l’album maudit

> La malédiction de Blake et Mortimer

> Un mythe sanctuarisé

> Les Sarcophages du 6ème Continent : Un « huis clos international » passionnant.

[1Seule une discrète dédicace en début d’album accréditera son intervention sur l’album. Appelé une seconde fois à la rescousse pour le tome 2 de « La Malédiction des Trente Deniers », il sera crédité en bonne et due forme.

[2Le concert des Quarrymen dans « La Machination Voronov » ou l’envolée patriotique du Roi Baudoin dans le final des « Sarcophages du Sixième Continent »

 
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12 Messages :
  • Blake, Mortimer et Lawrence d’Arabie
    16 novembre 2012 01:05

    dans le cadre il est vrai très balisé de ces reprises où l’album étalon reste « La Marque Jaune ».

    C’est d’ailleurs ceci qui m’a toujours ennuyé dans ces reprises -mais à chacun ses goûts- que la "Marque Jaune" soit l’album référence alors que dans le parcours de Jacobs l’apex est à mon avis "L’énigme de l’Atlantide". Il abandonnera ensuite graduellement ce style pour se diriger vers un dessin aux proportions plus naturalistes. En tout cas bonne nouvelle si ce nouvel album est une réussite, car le style "Marque Jaune" doit être très dur à porter techniquement et forcément un peu forcé.

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  • Blake, Mortimer et Lawrence d’Arabie
    16 novembre 2012 02:32, par Eric B.

    quelques clins d’œils parfois un peu padauds [2]

    Un peu patauds, j’imagine...

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    • Répondu par Charles-Louis Detournay le 16 novembre 2012 à  06:11 :

      Merci, c’est corrigé.

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  • Blake, Mortimer et Lawrence d’Arabie
    16 novembre 2012 10:05

    La planche 4 reproduite ici est moins un rappel de "Masquerouge" qu’un clin d’oeil (pataud ?) à la planche 23 de "La marque jaune", avec la même descente d’escalier dans la case centrale. Ceci dit, cette planche est très réussie, bien plus que la couverture de l’album.

    Cela semble devenir une habitude, d’ailleurs, le ratage des couvertures de "Blake et Mortimer". Avec son pilier qui occupe les deux tiers de l’image et le personnage de droite coupé, celle-ci est aussi mal composée que celle du tome 1 de "La malédiction des trente deniers".

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    • Répondu le 16 novembre 2012 à  15:17 :

      C’est vrai, quel gâchis d’espace sur la couverture, comme pour celle d’"il était une fois en France" ! Ce serait tellement mieux avec b&m centrés, l’un avec un gros flingue, l’autre avec une bimbo à gros seins sur les genoux :-)) !! Blague à part, je trouve cette couv très élégante.

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      • Répondu le 19 novembre 2012 à  00:09 :

        Vous faîtes semblant de ne pas comprendre : je parle de composition, pas de thématique. Il ne s’agit pas de dessiner une couverture racoleuse mais juste de la composer correctement. pour cela, il aurait juste suffit de réduire l’énorme et inutile masse noire du pilier et de déplacer le personnage masqué vers la gauche. Nul besoin d’un "flingue" ou d’une "bimbo" !

        Quant à toutes les couvertures de la remarquable série "Il était une fois en France", elles sont admirablement composées.

        Et pour finir, un erratum : ce n’est pas la couverture du tome 1 de "La malédiction des trente deniers" qui est mal composée, mais bien évidemment celle du tome 2 !

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    • Répondu le 16 novembre 2012 à  23:32 :

      Et les 3 personnages sont de dos, faut le faire quand même !

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  • Blake, Mortimer et Lawrence d’Arabie
    16 novembre 2012 10:24, par Norbert

    J’ai quand même un peu de mal avec les profils de Blake et Mortimer dessinés par Juillard... Et l’ambiance graphique un peu trop Masquerouge à mon goût me pousse à demander : pourquoi dans ce cas ne pas faire un vrai album de Juillard et Sente, mais sans B&M ? Ce serait plus honnête. (Je connais la réponse à la question...)

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    • Répondu le 16 novembre 2012 à  13:37 :

      Moi, j’ai quand même un peu de mal avec les sourcils de Blake et Mortimer dessinés par Juillard. Quelqu’un d’autre a-t-il un problème avec ses 3/4 ou la façon qu’il a des dessiner le pli d’un vêtement ou une fesse gauche ? Ce serait bien que le monde entier sache ce que pensent les lecteurs sans qui les auteurs ne vivraient pas.

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      • Répondu par Jérôme le 16 novembre 2012 à  14:56 :

        J’avais personnellement un problème avec l’écartement des yeux des deux personnages, dessinés par Sterne. Ce problème s’est arrangé avec l’arrivée d’Antoine Aubin, qui a parfaitement su analyser et rendre la stylistique hergéo-jacobsienne des visages de ces deux personnages - un travers dans lequel n’est pas tombé Louis Alloing dans sa bio dessinée de Jacobs, lorsqu’il dessine les modèles de nos deux héros.

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        • Répondu par Maïkeule le 19 novembre 2012 à  14:58 :

          Allez regarder les reprises d’Alix et Lefranc, du coup vous aller trouver celles de B&M super bien !!!!

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    • Répondu le 20 novembre 2012 à  18:51 :

      Je suis totalement d’accord avec vous.
      Les personnages du cycle des 7 vies de l’épervier et de Blake et Mortimer par Julliard sont très ressemblant.
      En particulier dans "Plume au vent", Samuel de Champlain est la copie conforme d’Olrik.

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