1940, comme beaucoup d’enfants juifs, Rachel doit changer de prénom pour Catherine. Elle doit fuir et finit d’abord par trouver refuge dans la Maison d’enfants de Sèvres, puis un établissement géré par des bonnes sœurs dans le Massif Central avant ensuite d’être hébergée par une famille de paysans.
Lors de son périple en pleine France occupée, puis en « zone libre », la fillette va de rencontres plus ou moins agréables, en situations dangereuses ou inattendues jusqu’à la libération du pays. Malgré tout, elle s’efforce de toujours conserver son appareil photo. Cet amour de la photo accompagne notre héroïne pour les bons et mauvais côtés, c’est aussi une manière de résister. Cette passion est au cœur de ce récit lumineux, poétique, tout en nuance.
De l’horreur d’une situation tragique, naissent aussi des moments de beauté et de poésie. Le dessin rond, presque sensuel, nourri de tons pastels contribuent à rendre ce récit attachant, loin du pathos ou de bons sentiments. Ce voyage au cœur de l’Histoire a d’autant plus valeur de témoignage qu’il est complété des véritables photographies prises à l’époque par la mère de l’auteur. Adapté du roman de Julia Billet, inspiré de la vie de sa mère, La Guerre de Catherine, fut publiée à L’École des loisirs en 2012.
Bonne pioche puisque son adaptation en BD décroche ce mois-ci à la fois Prix Artemisia de la Fiction Historique et le Fauve Jeunesse 2018 au Festival de la Bande Dessinée à Angoulême.
Un fonds littéraire
En puisant dans le fond de la maison d’édition spécialisée en littérature jeunesse, Rue de Sèvres propose ainsi une série de grands textes tout en assumant une filiation qui prolonge son catalogue.
Trois ans après son arrivée sur le marché, l’éditeur germano-pratin pratique une politique éditoriale inventive et éclectique. Une initiative qui a fourni l’opportunité à certaines grandes signatures littéraires de se lancer, avec plus ou moins de bonheur, dans le scénario de bande dessinée. Ainsi Marie Desplechin avec Verte, Christian Donner dont la reprise de Tempête au haras est illustrée par Jérémie Moreau, Fauve d’or à Angoulême cette année, ou encore la série Quatre sœursde Malika Ferdjoukh illustrée par Cati Baur...
Des grands noms de la BD
La présence de Rue de Sèvres dans le paysage éditorial ne se limite pas aux adaptations littéraires et s’est considérablement affirmée avec l’arrivée de grandes signatures. Après les best-seller Zep, on voit arriver Joann Sfar, François Schuiten et Benoît Sokal, Alex Alice qui côtoient Tiburce Oger ou plus récemment Christian de Metter et Franck Biancarelli dans un catalogue qui affiche de plus en plus une belle diversité et qui fait de Rue de Sèvres un éditeur qui compte.
Réalisateur et désormais auteurs de romans, le créateur de Petit Vampire remet en selle l’un de ses personnages les plus célèbres dans de nouvelles aventures. Certes il y recycle les grands thèmes qui ont fait le succès de la série et l’esprit initial est toujours là. Toutefois, le format adopté, l’histoire doit se décliner sous forme de triptyque. Cependant, la complexité et le développement de l’intrigue ne risque-t-elle pas d’éloigner le jeune public ? Peut-être ce choix narratif vise-t-il à élargir le public d’une série déjà très largement populaire auprès des jeunes...
On le verra aussi dans le même registre avec le personnage d’Aspirine également présente dans ces séries.
Des raconteurs d’histoires chevronnés
Côté scénario, l’éclectisme est également de mise avec des auteurs aux parcours différents comme Matz (Le Tueur...), Christian Perrissin (Barbe-Rouge, Les Munroe...), Richard Marazano (Cuervos, Les Trois Fantômes de Tesla...) et même François Schuiten (Les Cités obscures...).
En ce mois de janvier, on retrouve Matz, qui s’intéresse à un aspect peu ou mal connu de l’histoire de l’Argentine. Sous la dictature, plusieurs centaines de bébés furent volés à des opposants pour être ensuite confiés à des familles proches du régime, en recherche d’adoption. En nous entraînant à la suite de ces jeunes adultes partis à la recherche de leurs origines, le scénariste de l’inoubliable Corps et âmes et Mayalen Goust (Dessinatrice de Kamarades, chez le même éditeur) reviennent avec sensibilité et sincérité sur une des pages les plus douloureuses de l’Argentine moderne.
Christian de Metter, après la réussite de l’adaptation du Prix Goncourt (Au revoir là-haut) nous offre une version africaine d’une sorte de western avec un curieux personnage surgi du désert . Le nouveau venu va cristalliser bien des tensions, soulever des questions et des rancœurs. Le scénario de Marguerite Abouet et Charli Beleteau installe un climat propice à l’expression du dessinateur.
D’autres nouveautés se consacrent à des sujets plus difficiles pour ne pas dire polémiques. Ainsi l’écrivain Sorj Chalandon fait son entrée en BD avec l’adaptation par Pierre Alary de son roman éponyme Mon traître. Un récit sensible ayant pour cadre le drame irlandais.
De leur côté, Patrice Perna et Fabien Bedouel s’engagent dans la biographie de Joseph Darnand. Comment un héros des tranchées, décoré par la République deviendra un salaud, le représentant le plus emblématique de la politique raciste et répressive de l’état de Vichy ? Une entreprise à haut risque, tant du point de vue éditorial et que celui de la vérité historique. On sait qu’ en ces temps de révisionnisme rampant, le sujet suscite encore bien des controverses.
Comment passer outre enfin la présence du juge antiterroriste Marc Trevidic qui, avec l’aide de l’incontournable Matz scénarise en mars prochain Compte à rebours. Volume 1, Es-shahid, dessiné par Giuseppe Liotti ? Il s’agit d’un thriller où un juge antiterroriste est sur la trace d’un djihadiste déclaré mort... Présent à Angoulême pour présenter le livre, le juge Trévidic en parle avec passion, mettant toute son expérience au service de cette fiction qui en apprendra beaucoup aux lecteurs.
Trois albums sur lesquels nous aurons l’occasion de revenir mais qui confirment, chacun dans leur genre, la largeur du spectre explorée par une maison définitivement installée dans un paysage éditorial déjà bien submergé.
(par Patrice Gentilhomme)
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Illustrations : © Rue de Sèvres
Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD)