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Bosse : « L’idée de départ était de faire de Kogaratsu une légende »

Par Charles-Louis Detournay le 17 juillet 2014                      Lien  
Un album de Kogaratsu est toujours un événement, surtout s'il apporte un peu de positif pour le fameux samouraï. En effet, ce treizième tome revient sur son amour pour la princesse Ishi, mais lui apporte aussi un enfant à protéger. Rencontre avec le scénariste Bosse qui évoque également sa collaboration avec Michetz, longue de plus de trente ans. Une interview empreinte de sérénité...

D’emblée, le lecteur s’étonne que Kogaratsu accepte la mission d’enlever un enfant. Même si votre héros est un rônin, on voit mal comment, faisant cela, il peut tomber plus bas dans l’échelle du déshonneur. Est-ce que, comme dans Le Protocole du Mal, il est prêt aux dernières extrémités ?

Bosse : « L'idée de départ était de faire de Kogaratsu une légende »Le “Protocole” était pour moi le fond de la descente en enfer pour notre samouraï réfractaire à l’idée de n’être qu’un outil dans la main des puissants (je fais ici le lien avec la thématique de Sous le regard de la lune et particulièrement la conclusion de cet album). L’idée de départ de ce nouvel album était précisément de faire sortir Koga de l’ornière, de le faire rebondir vers un avenir moins enténébré.

Vous expliquiez préférer écrire des histoires de 200 pages, plutôt que de 46. Pourtant, depuis pas mal d’albums, vous tournez vos récits en one-shots camouflés, comme autant de touches successives d’un tableau plus vaste ?

Dans notre beau métier, l’auteur a de moins en moins le choix. Les éditeurs sont de plus en plus frileux et tout ce qui pourrait être un frein à la vente est donc impitoyablement écarté. Les albums “à suivre” sont du lot. One-shot oblige, donc ! Ça ne m’empêche pas de discrètement d’établir des ponts entre les histoires et de construire ainsi une continuité tentant de satisfaire mon envie (besoin ?) de formats plus longs. 46 pages sont une mise en bouche, une introduction comme la promesse d’un voyage, mais en définitive jamais plus qu’une historiette.

Le titre le dit bien, Taro met en avant cet enfant qui pourrait/aurait pu être le fils de Kogaratsu. Cette ouverture à la paternité, par le biais d’Ishi, marque une nouvelle ère, porteuse d’espoir ?

Déchiré entre son amour pour Ishi (qui n’est quand même rien moins qu’une princesse shogunale) et la fidélité qu’il doit en tant que samouraï à son seigneur (Bando), Koga a choisi l’errance, le statut de rônin, de “chevalier errant”. Son univers s’effondrant avec ses valeurs, il est assez normal qu’il cherche en quelque sorte à tourner la page. Il ne passe d’ailleurs pas très loin de se donner la mort dans L’Homme sur la vague. Le retour de la princesse dans son univers et la présence de cet enfant sont effectivement des signes positifs dans sa vie. De même, au niveau de la dramaturgie, ils symbolisent le retour (Ishi) et l’espoir (Taro). Métaphoriquement, Koga sauve en quelque sorte son futur en aidant son passé.

Pourquoi avoir modifié votre titre plus énigmatique Là où les dunes sont blanches par le plus direct Taro ?

Le sens de l’histoire me semblait suffisamment parlant. Taro était le titre de travail. Ensuite, j’ai voulu le modifier car Marc avait réalisé deux albums avec Yann dont le titre générique était Taco (le poulpe). La proximité entre les deux noms me semblait beaucoup trop grande. J’ai donc proposé un autre titre avec effectivement une valeur plus poétique, voire même une pointe de nostalgie. Au moment de la réalisation de la maquette, Marc en est revenu au titre de travail sans trop en débattre avec moi.

Si cet album ramène la princesse Ishi au-devant de la scène, c’est aussi le cas de Tomomi. Incarne-t-elle l’envie de partager son savoir ?

La présence de Tomomi m’a été dictée comme fragment de la charnière de l’ancien et du nouveau Koga. Elle faisait partie du clan des Femmes de la montagne (Au de-là des cendres) avec qui Koga a fait alliance. Il en porte depuis le blason. Elle symbolise la révolte et la ténacité. Quant à la voir réapparaitre dans les aventures de Kogaratsu... Ce n’est pas improbable.

Le prochain album, intitulé Le Cimetière des sabres, le verra revenir sur le lieu où il tua Kitaro, et où un culte lui est voué...

Une nouvelle boucle se ferme dans l’univers de Koga. C’est à partir de la Stratégie des phalènes que la réputation de notre sabreur se met à croître démesurément. Elle devient plus grande que l’homme qu’il est vraiment (surtout qu’il croit être). Il y a donc rendez-vous avec son destin. Pour lui, il s’agit avant tout d’une prise de conscience. Certes, il peut continuer sa vie d’errance, traverser l’existence en évitant de s’impliquer, mais le monde, lui, ne l’entend pas de cette oreille. Il va lui falloir redevenir un homme parmi les hommes, et non un loup que seul le besoin pousse en dehors du bois.

Quand vous imaginez en faire un maître sans disciple, voulez-vous le voir enseigner sans avoir de réel élève attaché à lui, telle une légende que tous pourrait venir écouter et admirer ?

Légende, il l’est déjà. Sa réputation, qu’elle soit exagérée ou non, n’est encore que locale. Bientôt elle se répandra dans les cours du Japon entier. La crainte qu’inspire un combattant ultime est pour moitié dans ces succès. Koga va devenir une sorte de sabreur hors normes. Mais il a pris goût à la route. Pour lui, pas question de devenir un Senseï, d’ouvrir un dojo ou de devenir le maitre d’armes d’un quelconque seigneur. Enseigner, peut-être, mais sur le chemin de la vie retrouvée. Il a commencé son périple en cherchant l’ombre. Il connaît trop les pièges de la fatuité pour y verser.

Après trente ans de complicité, comment qualifiez-vous votre collaboration avec Marc Michetz ? Vous partagez une idée commune de ce que vous voulez faire avec Kogaratsu ?

Trente ans et plus ! Nous sommes comme un vieux couple qui se retrouverait ponctuellement pour des vacances au Japon. Après, on n’a pas toujours envie d’aller visiter les mêmes lieux... Sans toujours être d’accord, nous sommes néanmoins arrivé à assez bien travailler ensemble. Il y a des chaos, mais aucune route n’est vraiment lisse.

Par des planches muettes, placez-vous sciemment des moments de respiration et de réflexion, ou vous laissez-vous guider par Michetz qui apprécie donner un peu d’envergure complémentaire aux décors et aux personnages ?

Les scénaristes ont très souvent le même défaut, il sont trop prolixes et donc leurs personnages héritent de cette caractéristique. Personnellement, étant également dessinateur et travaillant sur le scénario d’autres scénaristes, j’essaye de faire la part des choses. Il est certain qu’au début de la série, manquant probablement de confiance en moi, j’avais beaucoup plus tendance à raconter par le mot que par l’image. Je ne nie pas non plus que Marc, parfois, supprime des dialogues qui lui semblent peu utiles. Tant que l’histoire n’en pâtit pas...

Bosse et Marc Michetz en novembre 2013
Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Sauf erreur de notre part, Michetz ne réalise pas les planches dans l’ordre du récit. N’est-il pas plus compliqué pour vous de ne pas pouvoir rebondir sur un aspect d’une planche en modifiant le récit par la suite ou préférez-vous cette lente mais inexorable progression ?

Pour qu’un dessinateur puisse se permettre de dessiner une séquence puis de passer à une autre sans pour autant suivre l’ordre du récit, il faut bien entendu un scénario parfaitement ficelé et relativement détaillé. Plus les choses sont définies, précises, spécifiées, moins les changements sont possibles. Nous avons tous nos limites. Je sur-écris énormément. Le volume de mon scénario lors de sa rédaction fait fréquemment deux à trois fois le matériel nécessaire. J’explore des tas de voies parallèles pour finir par ne choisir qu’un seul chemin qui, souvent, y gagne en originalité. L’impulsion du moment n’a pas grande place dans ce processus.

Est-ce qu’il arrive que votre dessinateur vienne modifier votre histoire, pour y rajouter un élément plus personnel ? On a l’impression que vous avez toujours deux ou trois d’albums scénarisés d’avance...

Bien évidemment, Marc “habite” le scénario que je lui propose. C’est un peu comme un appartement qu’on louerait déjà meublé. Le nouvel habitant doit y faire sa place, l’adapter en fonction de ses habitudes propres, de ses nécessités.

Quant à la longueur d’avance, comment faire autrement si une histoire de fond court en arrière-plan de celles racontées dans les albums ? Cependant, comme un paysage qu’on découvre en avançant sur une route, les détails ne se précisent progressivement, au rythme de notre approche...

Propos recueillis par Charles-Louis Detournay

(par Charles-Louis Detournay)

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Kogaratsu sur ActuaBD, c’est également :
- L’interview de Bosse : "Dans les prochains albums, Kogaratsu va se transformer en légende..."
- Kogaratsu fête ses 30 ans au MOOF
- la critique du tome 12.
- Kogaratsu sur le site des éditions Dupuis
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

 
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