Aussi étrange que cela puisse paraître, ce projet est né lors de l’enterrement d’une amie de Christian Darasse. « Christian discutait avec Yves Schlirf, responsable éditorial de Dargaud Bénélux, explique Bosse. Le contexte était sans doute propice à raconter les souvenirs. Ils parlèrent donc du bon vieux temps. Yves Schlirf a confié à Christian qu’il adorait Zowie et ne comprenait pas le sort qui avait été le sien ! ». Le responsable éditorial proposa dans la foulée à Darasse de lui présenter un projet mettant en scène Zowie. « Christian m’en a parlé, sourit Bosse, et je n’ai pas été long à me décider. Lorsque l’on vous offre la possibilité de revenir sur projet qui, à l’époque, avait échoué à causes de pressions extérieures, on ne peut que sauter sur l’occasion. Le plaisir était trop grand : nous voulions montrer ce que nous aurions pu faire de ce personnage si on nous avait laissé les coudées franches ».
Une série dessinée à quatre mains !
Peu de gens le savent, mais Bosse, le scénariste de Kogaratsu, est également dessinateur et réalisait les crayonnés des histoires de Zowie parues dans le journal de Spirou. Christian Darasse, l’insatiable paresseux [1] du Gang Mazda [2], se consacrait, quant à lui, à l’encrage. « Auteur de BD est un métier où la solitude règne, dit Bosse. Ce n’est pas tous les jours drôle de se retrouver face à sa planche, sans personne avec qui échanger des idées ou parler de son travail. Nous avons donc conçu une façon de travailler, qui au début ressemblait à une partie de ping-pong. Christian était meilleur encreur que moi. Il était donc normal qu’il se charge de ce travail. Pour ma part, j’avais plus de facilité à visualiser le récit. Je m’occupais donc du crayonné. Pour le scénario, l’imaginaire était commun et je me chargeais de donner une forme définitive aux choses ».
Les auteurs renouvellent aujourd’hui cette technique de travail. Lorsqu’on lui en demande les raisons, Bosse répond avec malice : « C’est une question de bon sens ! Si les Beatles se reformaient de nos jours, ne seraient-ils pas moins performants si Paul prenait la batterie, et Ringo la basse ? Je ne recherche pas à nous comparer à ces génies de la musique, mais c’est le même principe ! »
Les raisons de l’arrêt de la série : lLes auteurs ont-ils plagié un film ?
« Les responsables éditoriaux des éditions Dupuis nous avaient obligés à vider la série de son sens. Si bien qu’elle a fini par capoter, souligne Bosse ». En 1983, un film réalisé par Wolfgang Petersen sortait dans les salles obscures. Une Histoire Sans Fin mettait en scène un orphelin qui se réfugie dans la lecture. Un de ces livres, intitulé « l’histoire sans fin », va permettre à l’enfant de rentrer dans l’histoire elle-même, ne faisant finalement qu’un avec un des personnages de ce livre.
« De nombreuses idées incluses au premier album de Zowie [3], s’y retrouvaient, explique le scénariste. Un gamin qui entre en possession d’un livre magique, se révélant être un passage vers un autre univers fait de fantaisie et de magie. L’inadaptation du héros par rapport au monde réel et particulièrement scolaire. La persécution du gamin par les autres élèves. Et même le ‘Mange Pierre’, l’un des personnages centraux de notre récit, s’y retrouvait en gardant le même nom ! ».
La ‘surprise’ fut totale pour les Bosse et Darasse : « Il y avait bien entendu dans cette œuvre des éléments différents de la nôtre, spécifie Bosse. Notamment dans la suite du récit, qui se déroulait dans le livre. Mais la proximité était, pour nous, si troublante qu’il nous était difficile de l’attribuer au hasard. »
Les éditions Dupuis pensaient alors qu’il était illusoire de faire un procès à la Warner, le producteur du film. Après avoir pris quelques renseignements, Dupuis apprenait aux auteurs que le film était une adaptation d’un vieux roman allemand, écrit par Michael Ende. Bosse confie à ce sujet : « Notre éditeur a sous-entendu, avec prudence, que nous nous en étions inspiré de manière inconsciente. Il nous conseilla d’écraser, et de faire évoluer Zowie dans une direction différente que prévue. Il fallait abandonner l’idée d’exploiter le livre magique qui nous rapprochait trop du récit de Michael Ende. Dupuis craignait que ce ne soit la Warner qui, en final, nous fasse un procès ! Non seulement nous nous sentions lésés, mais on nous suspectait de plagiat en plus. Nous nous mettions à craindre, pour le coup, de devenir persona non grata dans le journal ».
Zowie perdit donc son livre, et la série son âme ! Les auteurs, déboussolés, ont sans doute également eu du mal à se réapproprier la série et à l’axer sur une thématique différente. Les référendums et les changements de rédacteurs en chef eurent finalement une conséquence regrettable : l’arrêt de la série.
« Une sale affaire, s’attriste le scénariste. Mais le pire était encore à venir. Nous nous sommes rendu compte, des années plus tard, que la parution du premier tome de Zowie était antérieure au livre de Michael Ende ! Antérieure d’un an et demi, environ ! Nous ne pouvions donc pas en être inspirés. Par contre, l’écrivain, lui, l’aurait pu être de notre travail. Ceci dit, il est loin d’être certain que nous aurions gagné un procès face à la Warner. Mais bon, notre éditeur, à l’époque, aurait dû nous soutenir... ».
Un nouvel album pour 2006
Bosse et Darasse comptent bâtir une nouvelle intrigue en se basant sur leur idée originelle, tout en prenant quelques précautions pour ne pas plagier Michael Ende, dont l’œuvre est « si proche » de Zowie. « Nous allons repartir des thèmes de départ, confie Bosse. C’est-à-dire : l’opposition entre la dureté du monde réel, au travers d’un univers scolaire carcéral et l’échappée vers le monde de légende et de magie qui existe à l’intérieur du livre ; la confrontation entre les univers extérieurs et intérieurs, entre le réel et l’imaginaire »..
Les deux premiers albums, intitulés Aux Portes de Magisterra et Rendez-Vous Avec La Lune, constitueront une histoire complète. « Nous voulions réaliser ce récit en un seul album, avoue Bosse, mais pour ce début, il y avait vraiment trop de choses à dire. Il était indispensable d’asseoir d’emblée les valeurs de la série et donc de développer les deux univers s’y opposant, le monde réel du quotidien et le monde magique de l’intérieur du livre ». Une ligne temporelle reliera chronologiquement chaque histoire afin de développer un effet « saga » à la série.
La date de sortie du premier tome n’est pas encore annoncée. L’éditeur aimerait publier les deux premiers albums à six mois d’intervalle pour lancer la série. Plus de trente pages crayonnées ont déjà été réalisées, et Benoît Bekaert, le coloriste, a déjà entamé les premières pages. Ce dernier trouve que cette collaboration est étonnante et amusante : « J’étais à peine né quand la série s’est terminée pour la première fois, souligne Benoît Bekaert [4]. J’avais déjà l’habitude de travailler avec Christian Darasse, puisque je colorise sa série Tamara. Il savait que mes couleurs colleraient bien à l’univers de Zowie. Il est venu me voir en compagnie de Bosse, et ils m’ont regardé colorier une planche complète, un soir. Bosse m’a donné quelques indications globales quant aux ambiances. Mais cela ne me semblait pas compliqué car ma vision des choses rejoignait celles des auteurs. On va dans le même sens. Cela s’annonce plutôt bien ».
Kogaratsu, en léthargie ?
Rouge Ultime, le onzième album de Kogaratsu, est paru en octobre 2002. Bosse avoue que les auteurs traversent actuellement une période de doute et de remise en question. « Chez un perfectionniste comme Marc Michetz, dit-il, elles peuvent prendre des dimensions affolantes. La qualité de son travail est au prix de cette souffrance. Aux dernières nouvelles, il restait une dizaine de pages à dessiner pour boucler ce douzième tome ». L’album s’intitulera Fournaise et sera, en quelque sorte une suite, plusieurs années plus tard, à la relation qui s’était développée entre Kogaratsu et les femmes guerrières rencontrée dans Par-Delà Les Cendres. « Le Récit démarre avec un moteur policier, mais évolue très vite vers une trame guerrière et un récit épique. Le nom de l’épisode en décrit assez bien l’intensité ».
Espérons que les parutions des nouveaux albums de Zowie et de Kogaratsu permettront au sympathique Bosse de sortir de la « discrétion éditoriale » et d’enfin connaître un vrai succès public. De quoi rebondir peut-être sur de nouveaux projets ?
(par Nicolas Anspach)
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Images (c) Bosse, Darasse & Dargaud, sauf mention contraire.
[1] L’auteur s’est bien rattrapé depuis. Il a notamment signé trois albums de l’excellente série Tamara (scénario de Zidrou), chez Dupuis, entre 2003 et 2005.
[2] Nom de l’atelier bruxellois où travaillaient Michetz, Yslaire et Darasse. Ces deux derniers auteurs racontaient leur vie au travers d’histoires courtes parues en album sous le titre de Gang Mazda. Tome reprendra les scénarios de la série à partir du quatrième album.
[3] Les Malheurs de Zowie
[4] alias Benbk
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