De Boucq, on connaît l’incommensurable talent, sa capacité à changer de registre, du burlesque surréaliste de La Dérisoire Effervescence des comprimés au western mystique à la Bouncer, du polar russo-newyorkais à la Little Tulip à la série d’aventure Janitor ou XIII Mystery. Mais le dessin d’audience judiciaire, il n’avait encore jamais fait.
On sait que les caméras sont interdites dans l’enceinte d’un tribunal. Mais depuis le XIXe siècle, les dessinateurs sont autorisés, comme les journalistes, à donner des comptes-rendus d’audience. Lillois, Boucq ne pouvait que s’intéresser au Procès Carlton qui examinait le cas de Dominique Strauss-Kahn et de sa bande de copains lillois plus ou moins impliqués dans des parties fines. Tout le monde a bien compris qu’il s’agissait là d’un procès politique, mis en branle dans le cadre d’une campagne présidentielle à venir, et qui venait comme une réplique au scandale new-yorkais qui frappait à ce moment-là le président du Fond Monétaire International, libertin déclaré et queutard avéré. Sexe et politique ont toujours affolé les médias, et le public aussi, car l’un ne va pas sans l’autre.
C’est dans cette disposition voyeuriste que l’on aborde ce livre écrit par la chroniqueuse judiciaire du Monde, Pascale Robert-Diard, d’autant que la couverture nous montre un groupe de prévenus le pantalon baissé...
Mais très vite on comprend que ce compte-rendu d’audience nous parlera autant de justice, de droit et d’humanité que des turpitudes humaines. On entre dans la substance même du procès et l’on découvre une galerie de portraits avec un président d’audience ne se laisse pas impressionner par le contexte médiatique et qui rappelle à juste titre la primauté du droit exprimé dans la dignité, un prétoire où les prévenus défilent penauds, comme ce marchand de chaussures qui s’autorisait quelques privautés avec des prostituées dans son arrière-boutique et qui se retrouve sur le banc aux côtés d’un ancien ministre de la République partouzard ; ou goguenards, comme ce "Dodo la saumure", maquereau assumé qui se sait couvert par le droit belge et qui, goûtant à une célébrité euphorisante, multiplie les boutades.
Aucune révélation tonitruante, juste une chronique excellemment écrite qui raconte comment fonctionne notre justice et qui arpente la frontière parfois ténue entre la normalité et le délit, concepts sur lesquels les magistrats s’étripent à coups de bons mots d’autant plus savoureux qu’une plume les immortalise.
Pascale Robert-Diard raconte bien le détour rituel des prévenus et des avocats venus voir comment Boucq les avait croqués à l’audience. Strauss-Kahn ne s’y est pas reconnu : on le dessine trop "bossu" à son goût. Devenu le salace magnifique de la République auquel tous les soirs ou presque Les Guignols de l’info donnent une image aussi vulgaire que scélérate, DSK n’hésite pas à donner son avis au dessinateur, comme il le ferait sur la crise grecque. Qui sait, peut-être que cet esthète a des ouvrages de Crepax, de Manara et de Lévis sur sa table de nuit...
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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