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Boulet et Lune Rousse : "Nous avons créé nos blogs pour nous contraindre à dessiner régulièrement."

Par Xavier Mouton-Dubosc Thomas Berthelon le 13 août 2007                      Lien  
Boulet s'exprime quotidiennement sur son blog, un exercice journalier qui entretient son dessin, comme un musicien ferait des gammes. Lune Rousse, quant à elle, anime un "Pas Blog". Rencontre avec ces deux créateurs de la {Blog Generation}.

Boulet confie volontiers que la pratique quotidienne du dessin sur son blog l’a fait progresser dans le dessin rapide. Il a notamment participé au "24 heures de la BD" à Angoulême, qui consistaient à livrer 24 pages en 24 heures. Sur son blog, sa vie quotidienne tourne à tout moment au délire défoulatoire, le moindre élément l’enquiquinant devient un monstre à abattre dans la Medieval Fantasy quotidienne, loin du sanglot du dessinateur sur les planches de Ragnarok, ou La rubrique scientifique. Un dessinateur reconnu qui passe donc sa crise d’adolescent trentenaire sur le Net.

Lune Rousse avait un blog, ptitcafard, sorte de délire graphique autour d’une gothique avec une maîtresse SM. Mais un déménagement d’adresse internet l’a faite passer à son « Pas blog » actuel. Une étudiante au trait rigolo, à l’humour très noir. Nous avions interviewé ces deux blogueurs en janvier dernier, au festival d’Angoulême 2007.

Boulet, vous détestez qu’on ne se souvienne plus que vous dessiniez des albums, vous en avez parlé dans un billet. Pourquoi un auteur de BD établi se lance-t-il dans un blog BD ?

Boulet : La question ne se pose pas vraiment. C’est simplement que je dessine beaucoup, et que mes carnets sont farcis de dessins qui ne servent à rien, que je ne montrais qu’à des copains, comme des comptes-rendus de voyages ou de festivals. Cela les faisait rire, donc au bout d’un moment, je me suis à envoyer des mails collectifs dès que je revenais d’un festival. Puis c’est Mélaka, blogueuse émérite ... [(tout bas) : j’ai appris récemment que le mot émérite voulait dire en fait à la retraite (rire général), il ne faut donc pas que j’emploie ce mot)...] confirmée, qui m’a parlé de ce nouveau moyen qu’elle avait découvert. Très peu de gens tenaient des blogs BD à l’époque, il devait y avoir Mélaka, Cha, et Laurel. J’en ai parlé à un copain programmeur, qui m’a aidé à monter le blog, et je me suis mis à y poster ces dessins que j’envoyais en mails collectifs. En pensant que cela n’allait intéresser que mes copains. De plus c’était plus facile de leur donner une adresse pour aller voir les dessins, plutôt que de les intégrer dans un mail collectif. Finalement, il s’est avéré que cela a attiré plus de monde que prévu.

Lune Rousse, vous êtes "fanziniste", pourquoi avoir ouvert un blog ?

Lune Rousse : Au départ, j’avais envie de conquérir le monde... (rires). Et bien, comme tout le monde faisait un blog, c’était un bon moyen, comme le disait monsieur Boulet tout à l’heure, de montrer mes dessins aux copains, qui me disaient toujours : « Bon, tu me fais des dessins ? - Et bien, vous allez là, et vous les verrez ». Après, il y a eu un petit peu de lecteurs, mon blog a plu, a moins plu...

Vos blogs sont hébergés par vos propres soins, avec leur propre moteur. Pourquoi ne pas avoir utilisé des skyblogs, des nrj blogs, ou des TF1 blogs ?

B : Parce que c’est de la merde !

L : Moi, je suis juste hébergée. Pas très douée en informatique, j’ai été bien aidée.

B : Il faut avoir envie d’être connoté Skyrock ou Canal Blog, et ils mettent de la pub. Il y a aussi des gros pop-up, une mise en page carrée, qu’on ne peut pas modifier. J’ai évité ça pour avoir plus de liberté.

Combien de temps prenez-vous à dessiner vos billets, à les mettre en ligne, à nettoyer les commentaire indésirables, et à vous faire de la pub chez les blogs des autres ?

L : Je n’ai jamais trop calculé. Si je m’applique, cela peut prendre un certain temps, car je ne suis pas spécialement rapide. Mais si je veux être plus zen, je vais y aller à l’arrache, et cela ne va pas me prendre plus longtemps qu’une soirée. Cela dit, maintenant, beaucoup de personnes préfèrent quand je travaille à l’arrache (rires). Donc, cela ne va plus me prendre trop de temps.

Boulet et Lune Rousse : "Nous avons créé nos blogs pour nous contraindre à dessiner régulièrement."
Extrait du pas blog de Lune Rousse.
Billet du 31 juillet 2007.

B : J’aurais bien du mal à répondre aussi, car c’est vraiment du tir continu. Je travaille une douzaine d’heures dans la journée : je vais commencer à dessiner une page de Donjon, je vais m’arrêter, pour continuer sur Ragnarok, faire une pause pour dessiner un petit croquis dans un coin, continuer, prendre une heure pour écrire une note de blog. C’est dans l’ensemble du travail, il y a des trucs que je récupère, que je mets en ligne. Après, nettoyer les commentaires, je ne le fais pas, je me contente de les lire, les gens s’amusent, se font plaisir. Concernant les blogs des autres, je lis surtout le blog des copains. A propos de la cadence et du rythme, je me suis rendu compte que c’était beaucoup plus facile de publier une note tous les jours, plutôt qu’une par semaine, simplement grâce à la dynamique, une idée en entraîne une autre, et cela devient super facile, et super naturel. A l’inverse, si à la fin de la semaine, je réfléchis : "Qu’est-ce que je vais faire cette semaine ?", je galère vraiment beaucoup. Et cela devient une sorte de travail régulier en plus. Je préfère que cela reste souvent, mais plus au hasard.

C’est pourquoi vous êtes passé à une rythmique plus quotidienne, contrairement à un rythme chaotique d’il y a trois ou quatre mois ?

B : C’est de l’ultra chaotique, au contraire. Il y a un an ou deux, quand j’ai commencé, je publiais vraiment une note tous les deux jours, pour me forcer à travailler régulièrement, parce que j’aimais bien avoir cette contrainte. Désormais, je le fais quand j’ai envie, cela me dérange moins de m’arrêter une semaine, puis de faire une page par jour quand j’ai envie.

Nous avons vu Maliki devenir une vraie célébrité par son blog. Son travail a évolué graphiquement depuis ses débuts, il y a deux ans. Cette différence graphique entre vos premiers billets et aujourd’hui n’est-elle pas gênante ?

L : À la base, je voulais progresser, je me suis forcée à dessiner beaucoup plus régulièrement. Cela m’a poussée à m’améliorer, et j’aime bien observer, justement, cette évolution, même dans le travail d’autres dessinateurs.

B : Je ne connais personne qui va se plaindre de faire des progrès, ce serait idiot (rires). C’est pareil pour mes albums. Quand je regarde mon tome 1 de Ragnarok, je me dis que ce n’est possible que j’aie publié ça, c’est trop moche. Je regarde le tome 2, c’est un peu mieux, mais c’est encore trop moche, et ainsi de suite jusqu’à mes derniers albums. Même le dernier Donjon, je le regarde, et j’espère que le prochain sera mieux, quand même. De même pour le blog. Quand je relis mes premiers billets, je me dis : "Ouh, c’était un peu tout pourri". Si vous regardez les premiers Schtroumpfs, les premiers Lucky Luke, on peut dire la même chose. Tout le monde évolue, c’est très bien, cela montre que nous ne sommes pas immobiles.

Extrait du blog de Boulet.
Billet du 13 mars 2007.

Nous avons parlé tout à l’heure des hébergeurs de blogs qui, dans une logique de web 2.0, font de la publicité et gagnent de l’argent sur les billets que publient les pauvres pigeons, pardon, les utilisateurs. A un moment, avez-vous pensé à monnayer vos blogs, et ainsi vous passer d’un éditeur ?

L : Je n’y avais même pas pensé. D’ailleurs, je n’ai pas le niveau pour exiger quelque chose comme cela. Si j’avais 100.000 visiteurs, je ne dis pas, mais c’est loin d’être le cas.

B : Moi, honnêtement, j’y ai pensé. Je me suis dit que, vu le nombre de visiteurs, si je trouvais de bons annonceurs, je pourrais peut-être arriver à le rentabiliser suffisamment pour en vivre, mais je n’en savais trop rien. En même temps, je trouve que c’est une très mauvaise démarche, car c’est se lancer sans aucun retour sur son travail, de manière complètement mégalomane, sur quelque chose qui reviendrait entièrement sur soi. Et moi, j’ai besoin de cette sorte de duel avec l’éditeur, c’est-à-dire tout simplement avoir un retour sur le travail, par un éditeur qui a des exigences. Et tenir un blog, ce n’est pas du tout la même chose que créer un album, il y a des gens qui sont très forts en blog, et qui seraient nuls en album, qui ne savent pas faire le passage de l’un à l’autre. Moi, j’ai envie de faire des albums, je suis dessinateur, pas blogueur. En plus, il y a déjà tellement de conneries payantes partout, je trouve que c’est vraiment un luxe et un privilège d’avoir un espace pour dire aux gens : "Prenez, c’est gratuit". Après, je suis dessinateur, à vivre de mon dessin, on m’a plusieurs fois proposé une adaptation en album de mon blog, que j’ai toujours refusée, et là, j’ai finalement dit oui. Les gens qui voudront garder une trace papier pourront l’acheter, mais ce ne sera pas une publicité imposée.

Certaines notes de votre blog ont déjà été republiées dans les fanzines.

B : Non, c’était dans Psikopat, où travaille aussi Mélaka. C’est curieusement un des premiers magazines à s’être intéressé au milieu internet, et à ce qui s’y produisait. Ils ont ainsi publié beaucoup d’auteurs, comme PoiPoi Panda, alias Jérôme Daviau, qui travaille maintenant chez Soleil, ainsi qu’Erwann Surcouf, qui est aussi publié chez Vents d’Ouest, mais également Cha, quelques pages de Laurel, de Reno, plein de gens qu’ils ont trouvés sur le net.

Est-il envisageable de publier, avec d’autres blogueurs, sur un sujet commun, sur une période donnée, comme un cadavre exquis ?

B : Je sais que cela existe. En tant que dessinateur, cela ne m’intéresse pas, car je trouve que le danger de ce que l’on appelle la blogosphère, c’est cet aspect communautariste. On associe des gens qui n’ont rien à voir, simplement parce qu’ils ont choisi le même medium. Comme si tout à coup, on disait : "Ce serait marrant de faire un collectif Tintin, Spirou, Hugo Pratt, en mettant par-dessus du Manara et du Moebius". Ce sont des choses qui n’ont rien à voir entre elles. Je trouve cela super indigeste. Par contre, il y a des auteurs qui ont fait cela, dans une démarche de fanzine, ils sont quatre à travailler ainsi, ce sont les Chicou-chicou. Ces quatre auteurs se répondent durant la journée, sur des thèmes précis. D’ailleurs, je crois qu’une adaptation en album est en discussion.

L : A propos du blog Chicou-chicou, il y a beaucoup de rumeurs qui disent que tu en fais partie. Peut-on connaître la vérité ?

B : La vérité, c’est que ce sont des rumeurs. Il y a eu un truc très curieux avec Chicou-chicou. On sortait de cette histoire avec le blog de Frantico, et la première chose que les gens ont demandé, c’était : "Qui est derrière ? Qui est derrière ?" Ils ont repéré Aude, qui incarne un des personnages, et c’est parti en live. Plein d’auteurs ont été mis en avant, comme PoiPoi Panda, des gens ont écrit à Laurel pour lui demander si c’était elle, et comme moi. Je les connais, je suis ami avec certains des Chicou-chicou, un jour, Ella, la quatrième, est passée à la maison, et a écrit un message de mon ordinateur, et du coup, sans m’en rendre compte, j’ai répondu à des commentaires en signant Ella. Et là, c’est parti en live ! (rire général) J’ai reçu des dizaines de messages me demandant si c’était moi.

Dernière question, spécialement pour Boulet : faut-il ne pas mélanger les personnages que l’on édite en BD, et son blog ?

B : Il n’y a pas vraiment de contrainte. Il y a des espèces de lois de copyright tacites, Ragnarok, par exemple, m’appartient personnellement, mais aussi à l’éditeur, qui a des droits sur le personnage. Je ne vais donc pas l’utiliser complètement en indépendant. L’éditeur est supposé avoir un minimum de droit de regard et d’exploitation dessus, donc je ne le fais pas par correction, mais il ne me l’interdirait pas. J’ai déjà casé Ragnarok dans mon blog, ou mes personnages de Donjon. Pour des annonces de Donjon, j’ai créé des fausses pages de Donjon, et Joann (Sfar, NDLR) et Lewis (Trondheim, NDLR) ne m’ont rien dit. Je ne pense pas qu’il y ait de problème de ce côté-là.

(par Xavier Mouton-Dubosc)

(par Thomas Berthelon)

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Cette interview a été diffusée dans l’émission radio "Supplément week-end" du samedi 30 juin 2007.

En médaillon : Lune Rousse et Boulet. Photo : © Thomas Berthelon.

 
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