"L’affront fait à Bourgeon". C’est par ces mots que le magazine Bodoï, dans son n°50, révèle les conclusions choquantes d’un procès fait, par les repreneurs de la maison Casterman, à l’un des plus grands créateursde notre époque : Bourgeon, auteur des "Passagers du Vent", des "Compagnons du Crépuscule" et du "Cycle de Cyann".
En cause, la décision de l’auteur, suite au rachat, de renégocier le contrat qui le liait à l’équipe précédente. "Quand (A suivre) s’est arrêté en décembre 97, j’ai clairement manifesté mon attachement à ceux qui travaillaient là, j’ai indiqué l’importance que j’attachais à ce que cette maison garde son personnel, ses qualités et ses structures", explique Bourgeon à notre confrère. "Malgré bien des promesses, je n’ai pas été entendu". Et le dessinateur a laissé tomber le crayon : "J’accepte très mal que quelqu’un avec qui je n’ai pas d’accord passe relever les compteurs au nom d’engagements que je n’avais même pas avec son prédécesseur !"
L’affaire a donc été portée au tribunal par les repreneurs de Casterman. Et Bourgeon a été condamné à fournir au début de ce mois de mars le solde du dernier album de Cyann, sous peine de devoir payer une astreinte de 1000 euros par jour de retard. "Le droit moral de l’auteur ne pèse plus bien lourd face aux nouvelles lois du marché ! Le comble dans tout ça, c’est que depuis que ce conflit existe, pas une seule fois quelqu’un n’a simplement songé à me demander : et cet album, où en êtes-vous ? Un éditeur qui n’est pas le mien se permet donc d’exiger un album sans que les auteurs s’y soient engangés. (...) De toute façon, dans mon cas, ce n’est même plus une question de rébellion, c’est tout simplement une impossibilité absolue. Je n’accepte ni ne peux travailler avec un fusil dans le dos, impossible".
Dans un métier où le retard et les pannes d’auteurs sont la règle, c’est la première fois qu’un éditeur tente d’imposer la finition d’un album par le biais d’un Tribunal. Outre la méconnaissance totale (à la fois de la part du juge et du plaignant) du processus de création, qui implique une confiance mutuelle et une sérénité dans les rapports, ce comportement témoigne d’un mépris profond pour l’auteur, considéré ici comme une simple machine à produire. Il témoigne aussi que d’un regrettable changement de mentalité chez les décisionnaires de Casterman, dont il est peu probable qu’il soit cautionné par ceux qui sont en contact quotidien avec les auteurs.
(par Patrick Albray)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Participez à la discussion