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Bruce Morgan : « Je m’auto-censure ».

Par Nicolas Anspach le 13 juin 2007                      Lien  
Le dessinateur des {Instincts Pervers} dont le quatrième et dernier tome – {[La Vicieuse->5298]} – vient de sortir, se confie à propos de sa facette d’auteur de bande dessinée érotique. {{Bruce Morgan}} porte un regard réfléchi sur un genre, la bande dessinée pour adultes, qui est souvent mis à mal par [la censure et un certain puritanisme-> 4401]…

Pourquoi avoir voulu vous essayer à la bande dessinée érotique voire pornographique ?

D’abord pour gagner ma vie. J’ai débuté dans la BD porno au milieu des années 90, alors que sortaient les premiers albums signés de mon vrai nom et qui ne m’étaient pas très bien payés ! A la même époque, j’ai également beaucoup travaillé pour la publicité ou la communication d’entreprise, pour la littérature jeunesse et pour la presse. Pour le lecteur de BD que je suis, le porno est un genre comme un autre, qui a produit des navets et des chefs-d’oeuvre. À partir du moment où cela ne me posait pas de problème moral, pourquoi ne pas m’y essayer ? Il faut aussi savoir qu’à l’époque, l’Internet n’était pas ce qu’il est aujourd’hui. Aussi, les petits livres de poche que je dessinais pour la collection "Confessions érotiques BD" des éditions Media 1000, vendus dans les gares, passaient totalement inaperçus au lectorat de la BD dite "classique". Si ces petits formats n’étaient pas aujourd’hui réédités chez Dynamite par l’excellent Bernard Joubert sous une forme plus luxueuse, personne ne se souviendrait plus de Bruce Morgan !

Bruce Morgan : « Je m'auto-censure ».

Pensez-vous que l’on puisse parler de toutes les thématiques qui concernent le sexe en bande dessinée ou en littérature ?

Question intéressante... Légalement parlant, j’imagine que non, puisqu’il existe des lois réprimant l’apologie des crimes sexuels. Pratiquement, j’ai l’impression que oui. Les écrits du marquis de Sade décrivent par le détail les tortures et assassinats dont sont victimes des enfants.
Adaptés en BD, par Philippe Cavell, ces délires extrêmement choquants sont autorisés à la publication. Plus récemment, le génial Jacobsen a raconté en BD des fantasmes incestueux et sado-masochistes très osés, et Monica et Bea, dans "Les petites vicieuses", ont dessiné les aventures sexuelles parfois très extrêmes de jeunes filles mineures. Il semble donc possible d’évoquer toutes les pratiques sexuelles en BD. A partir de là, les éditeurs et les auteurs prennent leurs responsabilités.
Dans un de mes tout premiers petits formats, une jeune fille, alors qu’elle était violée par son oncle, finissait par en éprouver du plaisir.
Seuls les hypocrites nieront que le viol est le plus répandu des fantasmes féminins, et je n’ai jamais reçu de réactions négatives de mes lectrices (eh oui, j’ai des lectrices !). Néanmoins, je regrette énormément d’avoir dessiné cette scène. Je ne crois pas que la violence ou le porno (en BD, en littérature ou au cinéma) puissent pousser un criminel en puissance à passer à l’acte. Je pense même le contraire : la représentation des fantasmes a un pouvoir de catharsis. Le Japon est à la fois le pays le moins soumis à la censure et celui dont le taux de criminalité est le plus bas. Ceci dit, je n’ai jamais dessiné d’autres viols, et j’ai par la suite pris soin de ne mettre en scène que des héroïnes systématiquement consentantes. De même, mes personnages masculins mettent des préservatifs, ce qui m’a d’ailleurs été reproché par un fan qui m’a accusé d’être "politiquement correct" !

On sent qu’entre « l’institutrice » et « la vicieuse » il y a une montée en puissance vers les pratiques les plus dégradantes. Quel est votre rôle, vous, en tant qu’auteur ? Y a-t-il une limite à ne pas franchir ?

Vous n’êtes pas le premier à parler de "dégradation" pour l’image de la femme à propos de mes ouvrages. Valérie, l’héroïne de L’institutrice et de La vicieuse aime être humiliée et brutalisée : elle est masochiste. Il s’agit d’une perversion que je n’ai pas inventée, et que partagent de très nombreuses personnes. A partir du moment où les pratiques dégradantes auxquelles elle est soumise ne lui sont pas imposées, mais sont souhaitées et demandées explicitement, je ne crois pas que l’auteur que je suis franchit les limites que Sade et d’autres ont franchies. Quant à l’escalade dans le hard au fur et à mesure de ma série "Les instincts pervers", c’est la loi du genre ! Chaque auteur fixe sa propre limite à ne pas franchir, la mienne consiste à ne pas dessiner de pratiques imposées par la force ou le chantage. Pour être honnête, elle consiste aussi à m’auto-censurer dans la représentation des pratiques scatologiques et zoophiles de mon héroïne !

Certains auteurs de BD érotique, comme Mounier, ont fait leur « coming out », pourquoi ne faites pas vous le vôtre ?

J’ai réalisé sous mon vrai nom des BD destinées au grand public, ma première série est même plus spécifiquement destinée aux jeunes. Je n’ai pas envie qu’une gamine ou un gamin, en tapant mon vrai nom sur un moteur de recherche, tombe sur des images pornographiques. Cela ne me paraît pas très difficile à comprendre. Lorsqu’il dessinait "Liz et Beth", Jean Sidobre, l’illustrateur du "Club des Cinq", utilisait le pseudo de G. Lévis. Lorsque sa double identité a été révélée dans la presse, il a été remercié par Hachette. Et puis ça amuse les fans de BD d’essayer de décrypter un pseudo, non ?
J’ai d’ailleurs deux autres pseudos, pour des activités tout-à-fait convenables mais qui n’entrent pas dans le cadre de mes activités habituelles. L’usage d’un ou de plusieurs pseudos sert aussi à éviter la confusion.

Etude inédite.

Quels sont vos projets dans ce domaine si particulier ?

Je n’en ai aucun de précis, par manque de temps. Mais si je reviens un jour, ce sera dans un format d’album classique (46 planches couleurs), plus facile à vendre à l’étranger selon mon éditeur.

(par Nicolas Anspach)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Images (c) Bruce Morgan & Dynamite.

 
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9 Messages :
  • Grand lecteur de Bruce Morgan dans ma jeunesse, je ne peux que d’une part le féliciter pour ses albums, sources de nombreux émois.

    Cependant, quand il dit qu’il n’a jamais plus dessiné d’autres viols à part celui qu’il mentionne, ce n’est pas tout à fait exact, ou bien ma mémoire me joue des tours.

    J’en compte au moins deux, sinon trois, dans deux autres albums que celui qu’il cite. (La suite de l’Esclave sexuelle, dans le métro parisien et dans les toilettes d’un bar) et une scène particulièrement brutale dans l’Institutrice, suite à la lecture d’un journal intime par l’homme qu’elle a ramené chez elle.

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    • Répondu par bruce morgan le 14 juin 2007 à  10:57 :

      Vous avez une meilleure mémoire que moi. Il faut dire que les scènes que vous rappelez ont été dessinées il y a une bonne dizaine d’années et que je n’ai pas l’habitude de me relire. Ceci dit, dans mon esprit (perverti dirons certains !), les scènes en question se déroulent dans des contextes moins brutaux que celle que je citais dans l’interview.

      Merci pour vos compliments.

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  • Bruce Morgan : « Je m’auto-censure ».
    13 juin 2007 11:47, par Dimitri

    Je viens de taper Bruce Morgan, dans un moteur de recherche et j’ai trouver aussitôt le vrai nom de cet auteur... Dommage...

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    • Répondu par François Boudet le 13 juin 2007 à  12:37 :

      Difficile de garder un secret sur le Net effectivement... Bravo pour cette interview. On attend maintenant impatiemment un de ces jours le prochain album, en couleurs, de Mister Morgan alors...

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  • Bruce Morgan : « Je m’auto-censure ».
    13 juin 2007 13:00, par Marie M

    Bruce Morgan : Vous dites : "Seuls les hypocrites nieront que le viol est le plus répandu des fantasmes féminins, et je n’ai jamais reçu de réactions négatives de mes lectrices (eh oui, j’ai des lectrices !). "

    Êtes-vous certain de ce que vous avancez ? Pensez-vous réellement que les femmes ont des fantasmes sexuels de totale soumission au point de trouver jouissif de se faire violer ?

    Les femmes vous-t-elles dit à quel point elles fantasmaient de subir la violence sexuelle avec plaisir ?

    Où parlez-vous de votre propre fantasme ?

    Voici donc la première réaction négative. La mienne. Non que je critique l’art érotique qui peut m’émouvoir mais dans cette affirmation si prétentieuse qui est la vôtre de dire à la place des femmes que le viol puisse être un fantasme. Avez-vous ne serait-ce qu’une once d’idée de ce que ça peut représenter ?

    En tant que femme, je trouve vos propos choquants et insultants. Trop de femmes souffrent et trop de femmes se battent pour survivre et se faire entendre, vous balayez tous nos efforts et toute la légitimité de nos combats avec une telle phrase.

    Marie M

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    • Répondu par Fred Boot le 14 juin 2007 à  05:57 :

      Raconter l’histoire d’une femme ayant le fantasme de se faire violer : pourquoi pas.

      Raconter l’histoire d’une femme prenant plaisir à se faire violer : a priori cela participe au fantasme d’un lectorat plutôt masculin. Cela ne fait pas d’eux des violeurs en puissance, on l’a compris (enfin j’espère).

      Dire que le fantasme du viol est répandu chez les femmes : bien possible. Mais la mise en pratique, lorsqu’elle a lieu (et ce n’est pas forcément la finalité du fantasme que d’être réalisé), prend généralement la forme de jeux consentant : c’est la scénarisation du vrai-faux viol qui accomplit ce fantasme et non le viol lui-même. Je suppose (et j’espère) que l’auteur fait la distinction. Reste à voir si ce fantasme est issu d’un traumatisme, évidemment.

      Mais bon, il est clair que ce genre de bd offre rarement la possibilité aux femmes (aux personnages de l’histoire mais aussi aux auteurs et lectrices) de scénariser leurs fantasmes ou leurs vies sexuelles comme elles l’entendent. Fripounette se faisant trousser par tonton Maurice et qui finit par aimer ça, c’est quand même assez masculin, non ?

      Dire que le fantasme du viol est le plus répandu, je doute franchement. J’ai plus souvent entendu : "Faire l’amour avec un inconnu". Tiens, il n’y a pas le mot "viol" pour le coups.

      Il faudrait une étude sérieuse. Des volontaires ? :)

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      • Répondu par bruce morgan le 14 juin 2007 à  10:48 :

        Marie,

        Je suis profondément désolé de vous avoir blessée et je vous prie de m’en excuser. Mais je crois que nous ne parlons pas de la même chose. Vous parlez d’une réalité tragique pour de trop nombreuses femmes, je parle d’un fantasme, c’est-à-dire d’une représentation de l’imaginaire.

        Afin de vous rassurer (et de rassurer l’auteur du message qui suit le vôtre) : non, je ne pense pas qu’il existe une seule femme au monde qui ait envie d’être violée.

        Je sais que cela surprend beaucoup de personnes, mais les spécialistes sérieux de la sexualité (et non les vulgaires pornographes tels que moi) considèrent que le fantasme du viol est, avec celui de la prostitution, le plus répandu chez les femmes. Ce qui ne veut pas dire qu’on le retrouve dans la totalité de la population féminine, même si certains psychanalystes affirment le contraire. Selon eux, ce fantasme est présent de façon plus ou moins consciente chez toutes les femmes, en particulier à certaines périodes du développement comme l’adolescence... Mais personne n’est obligé de croire à cette théorie, qui me paraît dangereuse, et ce n’est pas mon cas.

        Pour être parfaitement clair : ce n’est pas parce qu’une femme a un fantasme de viol qu’elle désire être violée dans la réalité. C’est pour moi une telle évidence que je n’avais pas cru utile de le préciser en répondant à l’interview d’Actuabd. J’avais tort.

        Bruce Morgan

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        • Répondu le 14 juin 2007 à  13:59 :

          La cause de ma réaction ne tient pas à la différence entre le fantasme et la réalité qu’il n’est pas utile en effet de réexpliquer, le lectorat d’actuabd étant tout à fait apte à comprendre mais bien à cette notion d’hypocrisie dont vous nous avez caractérisées d’une façon générale. D’autant plus que si le fantasme relève de l’inconscient (puisque d’après votre réponse il faut qu’il existe)... de quelle hypocrisie alors pourrions-nous parler ?

          Ceci dit, merci d’avoir répondu et de nous avoir éclairés sur votre opinion personnelle. So long...

          Marie

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          • Répondu par bruce morgan le 15 juin 2007 à  10:31 :

            Marie,

            Je réalise soudain que vous m’avez cru capable de n’appliquer le terme "hypocrites" qu’aux seules femmes, et à toutes les femmes. Je ne me suis pas douté une seconde en l’employant qu’il risquait d’être attribué à un sexe plutôt qu’à l’autre. Mais il est vrai que le genre de cet adjectif est neutre, d’où la regrettable possibilité d’une mauvaise interprétation.

            Quoi qu’il en soit, je conviens volontiers que ce terme pouvait être très blessant et qu’il était parfaitement inapproprié.

            Si je réponds un jour à une autre interview, je saurai que chaque mot doit être pesé avec d’autant plus de réflexion que le sujet est délicat. Merci donc à vous pour cet instructif échange de messages,

            Bruce Morgan

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