« Angoulême est la Mecque de la bande dessinée. Chaque année des milliers de visiteurs s’y rendent et participent à son économie. S’il vous plaît messieurs, continuez d’encourager notre Festival qu’il devienne comme Angoulême. » Pendant la cérémonie d’ouverture du Bucheon International Comics Festival (BICOF), ce cri du cœur est poussé par Park Jae-dong, dessinateur au quotidien Hankyoreh.
Il atteint les oreilles convaincues et amusées d’une poignée d’élus de la ville de Bucheon. Car depuis une vingtaine d’années, cette cité moderne d’un million d’habitants, voisine de la capitale Séoul et du port d’Incheon, joue la carte de la culture avec pour surnom : « Fantasia ».Ainsi, elle accueille, un orchestre philharmonique, un festival du film d’animation ainsi qu’un festival du film fantastique.
Pour la bande dessinée, elle a créé le Korea Manwha Content Agency (KOMACON). La structure pilote, un musée de la bande dessinée, des résidences d’auteurs, un centre d’affaire où sont hébergés éditeurs et studios de création numérique, tout en chapeautant ce BICOF annuel. Toute ressemblance avec la Cité des remparts n’est pas fortuite, elle est revendiquée par tous, auteurs, éditeurs, responsables… D’ailleurs les habitués d’Angoulême savent que depuis plus de dix ans, une délégation du KOMACON est toujours en pèlerinage à la « Mecque de la BD ».
Quand il pénètre au sein du Korea Manhwa Museum, le visiteur est cerné par les personnages populaires des bandes dessinées coréennes. Partout des héros en 3D occupent un espace joyeusement scénographié, des ascenseurs jusqu’aux toilettes.
Une exposition permanente retrace l’histoire du domaine avec d’étonnantes reconstitutions d’un magasin de location ou d’un kiosque à journaux… Ici, pas de barrière entre les genres. Au fil des années, le manwha s’est divisé en plusieurs secteurs : les fascicules destinés à la location et les feuilletons publiés dans d’épais magazines dignes des revues japonaises déclinent très nettement depuis une décennie.
En revanche, la bande dessinée éducative, l’album jeunesse et le roman graphique se sont taillés une place conséquente en librairies généralistes. Par ailleurs –phénomène unique au monde-, les webtoons, des bandes dessinées que l’on déroule case après case sur l’écran d’un smartphone ont trouvé leur modèle économique et sont devenus un élément incontournable du paysage culturel coréen. Nous reviendrons très vite sur ce phénomène par une rencontre avec Hun, auteur de Secretly Greatly, grand succès du genre.
Entre profusion et art populaire, le BICOF, n’en est pas moins exigeant quant à sa programmation. Récompensé l’année dernière, l’immense auteur Park Kun-woong signe une affiche au parfum de science-fiction très éloignée de son répertoire habituel.
En France, on connaît cet artiste pour ses épais romans graphiques qui retracent l’histoire douloureuse de son pays comme Fleur (Casterman), Massacre au pont de No Gun Ri (Vertige Graphic) et plus récemment Je suis communiste. Le dessinateur a lui-même réalisé son exposition consacrée à son œuvre la plus récente, le Temps de la bête qui retrace le calvaire de Kim Geun-Tae, un homme politique sud-coréen, figure de la lutte contre la dictature, torturé et emprisonné en 1985.
Des centaines de planches originales en noir et blanc sont accrochées dans un couloir sombre, pour déboucher sur une reconstitution d’une chambre de torture telle que l’auteur l’a représenté dans son œuvre. Une autre rencontre avec Park Kun-woong vous sera également proposée prochainement.
Ici, la politique n’est jamais loin. Le Maire de Buncheon, M. Kim Man-soo est membre opposition au pouvoir conservateur de la Présidente Park Geun-hye, fille de l’ancien dictateur Park Chung-hee.
Entre cosplay, musique festive, séances de dédicaces et célébration des super-héros locaux, quand le pays célèbre le 15 août les 70 ans de son indépendance, le BICOF ose aborder des sujets qui fâchent par une exposition consacrée à la guerre et la Famille depuis 70 ans. Autour d’œuvres majeurs des romans graphiques et du webtoon, les planches interpellent le pays, non seulement sur les ravages de deux guerres, mais aussi sur la dictature, l’exode rural, les violences faites aux femmes et les expulsions des quartiers voués à la démolition. Les nationalistes en prennent pour leur grade…
Côté exposition, le BICOF insiste sur sa vocation internationale avec un hall dédié aux bandes dessinées venues d’ailleurs comprenant le troll finlandais Moomin –célèbre sous ces latitudes (et d’ailleurs toujours l’objet en ce moment d’une exposition au Musée d’Angoulême)-, la mangaka Miri Masuda –inédite en français-, la bande dessinée contemporaine tchèque, ainsi que les couvertures de Charlie Hebdo.
Pour des invités familiers des lecteurs d’Actuabd.com, signalons Bernard Yslaire à la fête pour l’adaptation en coréen de Le Ciel au-dessus du Louvre, et Dominique Véret bien décidé à poursuivre la publication de manwhas au sein de sa maison Akata.
En clôture du festival l’énergique Oh Jae-rock -Président du KOMACON- annonce un chiffre conséquent, 128 000 visiteurs se sont rendus cette année au BICOF. Park Jae-Dong affiche un sourire grand et large, les élus aussi. Prochainement le KOMACON s’agrandira avec l’édification d’un palais des congrès et le BICOF poursuivra sans doute une croissance de dragon.
Mais si Bucheon a pris exemple sur Angoulême, le visiteur français ravi de l’ambiance décontractée se prend à rêver : et si quelquefois Angoulême prenait exemple sur Bucheon...
(par Laurent Melikian)
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