« Les défauts, c’est le style ! » C’est souvent avec cette formule à l’emporte-pièce que j’explique que ce qui irrite le plus souvent dans une œuvre, à savoir ses tics de dessin, ses stéréotypes taillés à la serpe, ses mots d’auteurs parfois lourdingues, ses clichés éculés et ses gags attendus sont autant de balises qui permettent de la caractériser, de la reconnaître entre toutes ; en clair, d’en faire une chose unique.
Buck Danny illustre parfaitement ce théorème. Des personnages au menton carré, des carlingues reproduites au boulon près, des méchants emblématiques si possible communistes et mieux encore féminins, et le seau renversé sur la tête de Tucson une fois par épisode, voilà ce que l’on attend d’un Buck Danny bien formé. Le plan de vol conçu par Jean-Michel Charlier et Victor Hubinon est bien connu : Francis Bergèse avait tenu le manche sans faillir, et le nouvel équipage constitué autour de Jean-Michel Arryo, Frédéric Marquinet et Frédéric Zumbiehl qui n’a pas tant d’heures de vol, tient parfois impeccablement la distance, parfois même mieux que ses modèles, pirouettes comprises.
Guerre Froide
Les « vieux lecteurs » du trio de pilotes américains ne peuvent pas être déçus : ambiance de Guerre Froide, environnement aéronautique parfaitement documenté, et humour slapstick à la Mac Sennett : le canon du modèle original est respecté avec maniaquerie.
Pourtant, à y regarder de près, on est surpris par l’habileté de l’usage de la documentation. Les fondamentaux sont respectés, mais toutes les situations sont plausibles et s’insèrent parfaitement dans la série régulière de Buck Danny, en substance, dans cet épisode, ceux qui couvrent la période, à partir de 1961, où l’Allemagne de l’Est fut séparée de sa partie occidentale par un « rideau de fer », en réalité une clôture gardée par des hommes en armes destinée à empêcher tout passage de population vers l’Ouest, dont le point d’orgue est la construction du Mur de Berlin.
Nous ne sommes pas seulement séduits par les dessins qui gardent tous les « défauts » de l’œuvre originale, mais aussi par la subtilité de l’intrigue digne des meilleurs romans d’espionnage.
Dans cet épisode, où l’on retrouve les facéties de Tucson mais aussi la mystérieuse Lady X, plus belle et plus vénéneuse que jamais, on tremble pour la préservation du monde libre mis en danger par ces affreux soviétiques pourvoyeurs de goulag.
Le deuxième volet de cette aventure, au titre délicieusement éculé : « Alerte rouge » laisse nos héros sur le point d’être faits prisonniers par la Stasi avec sur eux les microfilms du nouveau prototype de chasseur supersonique russe, tandis qu’à Langley, au siège de la CIA, un espion infiltré s’apprête à atteindre le plus haut niveau de l’appareil du contre-espionnage américain. Et on voudrait que l’on n’attende pas avec impatience le tome suivant ?
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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