Dans un article écrit ailleurs, je faisais remarquer que nous sommes aujourd’hui dans une séquence particulière de l’édition : « Nous vivons, peu s’en aperçoivent, un moment unique dans l’histoire de la bande dessinée : à l’heure où le marché est envahi par la « surproduction » (terme inventé par des commerciaux fatigués pour désigner la « concurrence »), jamais les classiques, par le truchement des intégrales, n’ont été autant présents sur le marché, valorisés par un accompagnement critique sans équivalent. Il n’y a pas de doute, la bande dessinée est entrée dans l’histoire. »
J’ajoutais : « …En créant des « intégrales », les éditeurs ont permis ces dernières années la constitution d’un domaine classique avec de grandes unités de lecture qui permettent non seulement une distraction conséquente pour un prix relativement modique, mais surtout d’appréhender une œuvre dans sa globalité. Souvent, et c’est particulièrement visible chez Dupuis ces deux dernières années, cette production est dotée d’un accompagnement critique conséquent. […] Un calcul habile car cette évolution est aussi importante que la publication des premiers outils de référence dans les années 1970. Un véritable corpus d’œuvres classiques s’installe, à l’instar du théâtre ou du cinéma. Il ne reste plus qu’aux enseignants à s’en saisir et qu’on l’étudie en classe. » [1]
Contextes
« L’édition Gaumer », appelons-la comme cela, bien que cette publication doive beaucoup au travail de l’éditeur Martin Zeller, aux lectures vétilleuses du fils du scénariste, Philippe Charlier, et de la fille du dessinateur, Michèle Hubinon, et à la maquette de Philippe Ghielmetti, comporte un nombre incroyable de documents inédits et d’informations de première main sur la série. Elle n’hésite pas à contextualiser l’œuvre parmi les autres séries d’aviation produites à l’époque (Terry & les Pirates de Milton Caniff, Bob l’aviateur de Frank Robbins, Ace Drummond de Clayton Knight…) dont Buck Danny est une démarque, par rapport au club d’aviation de Spirou dont il est une émanation, par rapport aux origines liégeoises des auteurs (Liège est un centre important de création et de rayonnement de la BD belge), enfin dans la biographie d’un trio de créateurs d’exception que sont Jean-Michel Charlier, Victor Hubinon et Georges Troisfontaines.
Documents inédits (comme cette illustration éblouissante pour Les Japs attaquent par Hubinon qui ne sera pas retenue ou encore cette lettre de la Sabena, la compagnie nationale belge d’aviation, acceptant l’engagement de J-M. Charlier comme pilote) côtoient des œuvres d’époque oubliées comme L’Agonie du Bismarck ou Tarawa, atoll sanglant des mêmes auteurs.
Il n’est pas jusqu’au ton, parfois « raciste », « colonialiste » ou « anticommuniste » (avec les guillemets d’usage, sinon Philippe Charlier va encore m’allumer), tellement typique de l’époque, qui ne soit un témoignage d’une parfaite acuité de l’histoire politique et culturelle de l’après-guerre.
On ne peut mieux dire : Un monument.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Lire l’interview de Patrick Gaumer à propos de ces intégrales
En médaillon : couverture de Jijé pour "Les Japs attaquent" (extrait)
[1] in Mundo-BD, Didier Pasamonik, Le Calcul des intégrales, 17 novembre 2010.
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