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TRIBUNE LIBRE À Chantal Montellier : Les larmes amères de Christine Angot (Stop the Lynchage !)

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 7 octobre 2017                      Lien  
Chantal Montellier est une figure fameuse de la bande dessinée. dessinatrice et romancière, collaboratrice de « Métal Hurlant » et de « Ah Nana ! » ses derniers albums parus sont « La Reconstitution » (Actes Sud) et « Shelter Market » (Les Impressions nouvelles). À paraître fin octobre aux éditions Goater : « Les vies et les morts de Cléo Stirner ». Co-fondatrice de l’Association Artemisia pour la promotion de la bande dessinée féminine, elle nous donne son ressenti à la suite des réactions à la dernière émission de « On n’est pas couché » sur France 2.

Nous avons vu couler les larmes de la belle et douce Sandrine Rousseau, mais nous n’avons pas vu celles de la moins douce Christine Angot. Elles ont été coupées au montage et ont coulé en coulisse, si j’ose dire. Si on les avait vues, nous auraient-elles autant émus ?

Il est clair qu’Angot (alias Pierrette Schwartz), sa dureté, sa violence, son agressivité (pas toujours très bien placée), son visage d’androgyne au regard hostile, sa posture un rien guerrière, son émotivité excessive, sont moins susceptibles d’attendrir. C’est donc clair pour presque tout le monde, elle est « l’agresseure ». Il s’en est suivi une sorte de « lynchage » contre la fauteuse de troubles télévisuels. Haro sur la Angot !

Pour ce qui me concerne, fidèle à ma devise « ne pas juger, comprendre », je m’interroge : -Qu’est-ce qui a tellement fait violence à Christine Angot dans les propos pourtant sensés, mesurés, posés et bien intentionnés de Sandrine Rousseau ? Qu’est-ce qui l’a, à ce point, révoltée ? Là est la question à laquelle personne ne répond vraiment, et c’est aussi une question...

Une chose est sûre, les gens blessés blessent quand on appuie là où ça leur fait très mal, (j’en sais quelque chose)... Mais en quoi Sandrine Rousseau a-t-elle blessé Christine Angot avec sa formule un tantinet bureaucratique : « Les [victimes] peuvent appeler les personnes qui ont été formées pour accueillir la parole.  » Numéro d’appel ? Bureau ? Temps d’écoute ? Minutes ? Secondes ??? Réponse un peu administrative à une souffrance souvent indicible, dont l’expression relèverait bien souvent plutôt du cri et du hurlement, que du récit circonstancié fait à des « personnes qui ont été formées pour...  »

Mais Sandrine et Christine-Pierrette ne parlent pas de la même chose. L’une d’humiliation sexuelle, de pelotage, de harcèlement, etc. ; l’autre de l’indicible, de l’horreur d’un viol répété jour après jour par un père tout puissant et incestueux, horreur que personne ne sera JAMAIS « formé pour entendre », car entendre l’horreur ne relève pas et ne relèvera jamais d’une « formation ». C’est du moins cela qu’a crié Christine sortant complètement de son rôle de chroniqueuse télé, et redevenant soudain Pierrette. On peut être formé à des métiers, des professions, acquérir une formation Pro, CIF, DIF, VAE... On ne peut être « formé » à entendre et comprendre l’horreur. À la partager... Christine-Pierrette a je crois raison : “ça n’existe pas”.

TRIBUNE LIBRE À Chantal Montellier : Les larmes amères de Christine Angot (Stop the Lynchage !)
L’émission "On n’est pas couché" le 30 septembre 2017 #ONPC
Capture d’écran

Imaginer un peu, les rescapés des camps de la mort être gentiment poussés à s’adresser à des personnes formées spécialement pour accueillir leur parole… Absurde, non ? Certes, ce qu’a vécu Angot et qu’elle décrit en détail dans l’un des livres les plus courageux que j’ai jamais lus sous la plume d’une jeune femme : « Une Semaine de vacances  », n’est bien sûr pas l’équivalent du livre de Robert Antelme ou de Primo Levi, mais c’est tout de même la mise en mots et en scène (froide et quasi médicale) de l’exercice d’un pouvoir et d’un sadisme absolu et absolument destructeur (quoique méticuleux), exercé par un “père” dominateur, sur une adolescente qui lui est totalement livrée affectivement, et physiquement, et qui en sort dévastée et... seule. Radicalement seule, au point de tenter de dialoguer, sur le quai de gare où il l’a jetée, avec la seule chose qui lui soit familière : son sac. Si l’on ne pleure pas un peu en lisant les dernières lignes de ce livre, alors, c’est que l’on est pas encore tout à fait hominisé. Ou idiot.

"Une Semaine de vacances" de Christine Angot.

« Une Semaine de vacances  » est le récit, par la victime, d’une lente mise à mort extrêmement soignée et... bourgeoise. La « fille » n’étant pas de la même classe sociale que son géniteur qui ne la reconnaît pas, mais en use et en abuse à la façon d’un grand mâle alpha (à dos très argenté), et qui l’exclut ainsi de la communauté humaine où il est, lui, très à son aise et bien installé. Il y a du conflit de classes dans cette histoire, ce que Christine Angot semble ne pas avoir suffisamment exploré et analysé...
Son « père », pendant cette semaine-là, de « vacances », l’a exclue de l’humanité. Certes, il l’a tardivement reconnue et, de ce fait, la voilà condamnée à porter le nom de son bourreau, voire à le devenir avec ses amants de passage ? Seul le travail d’analyse pourrait briser ce cercle vicieux.

Bref, Christine, pour moi, a hélas raison : nul ne peut être vraiment réellement « formé » à entendre l’atroce, l’entendre complètement, « ça n’existe pas » ou si peu et si mal. Le réflexe humain normal étant de tenter de s’en protéger. Aussi, Christine a t-elle eu raison de faire appel à la littérature, à l’art, à la création, pour faire passer son « message ». Comme elle, je ne connais pas d’autre moyen pour dire l’indicible. Le reste, oui, face à cette abomination- là, ce n’est trop souvent que du “blabla”. Et je dirais même qu’allez raconter l’horreur dans le bureau d’une administration à une « personne formée pour » peut être vécu par certains comme une autre sorte de violence symbolique et une autre humiliation, certes bien moindres !

Pour comprendre -un peu- la réaction de la romancière qui a complètement débordé la chroniqueuse de ONPC , il faut lire (et relire) « Une Semaine de vacances”.

À mes yeux, Angot est une grande brûlée, les mots qui la blessent elle, ne font, à ceux qui n’ont jamais traversé ce feu-là, aucun effet et ses réactions paraissent incompréhensibles, alors on la croit folle, odieuse, méchante, et on lui jette des pierres. Pourtant il n’y a qu’une seule coupable dans cette affaire : une machine médiatique qui se nourrit de la souffrance et de l’aliénation des gens et la transforme en spectacle, en pompe à fric. Christine Angot, certes, y participe, mais ceci est une autre histoire...

Chantal Montellier
Ivry-sur-Seine 5 octobre 2017

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782290070581

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9 Messages :
  • Merci Chantal pour ces propos pondérés.

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  • Christine Angot a raison sur le fond mais c’est la forme qui ne passe pas. Les larmes passent beaucoup mieux à la TV parce que la TV ne sait produire et montrer que du spectaculaire. L’émotion est le contraire du raisonnement. Mais l’émotion à la faveur des foules. Cela n’enlève rien à la sincérité des larmes de Sandrine Rousseau, ni à la profondeur de la parole de Christine Angot. La sincérité peut-être construite sur des illusions, des a priori. La profondeur, jamais. Elle est est contrariante, secoue, interroge, remet en cause inlassablement, dérange. La profondeur n’est pas photogénique et se passe d’applaudissements.

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  • "Bref, Christine, pour moi, a hélas raison : nul ne peut être vraiment réellement « formé » à entendre l’atroce, l’entendre complètement, « ça n’existe pas » ou si peu et si mal".
    Vous vous contredisez. Plus haut, vous dites que les deux femmes ne parlent pas de la même chose : agressions sexuelles pour l’une, viol et inceste pour l’autre. Accueillir la parole dans le cadre d’une organisation politique, c’est différent que de s’épancher sur le divan d’un psychanalyste. Ça n’a pas le même but. Ça ne devrait pas s’opposer. En tous cas, rien n’autorise Christine Angot à se comporter comme elle l’a fait. Sandrine Rousseau essaie d’apporter une réponse politique, une volonté de réagir collectivement plutôt que faire comme le suggère Christine Angot : "se démerder toute seule". Quand on voit ce qu’est devenue Christine Angot, le visage tordu par la haine à chacune de ses interventions, je me dis que "se démerder toute seule" et ruminer comme elle le fait, c’est pas vraiment la solution. Et vouloir imposer cette solution aux autres, en leur déniant jusqu’au droit de s’exprimer ("vous n’avez pas le droit de dire ça", répété de manière obsessionnelle), c’est pire que tout. C’est pain bénit pour les agresseurs si tout le monde réagit comme Christine Angot, en se démerdant tout seul.

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    • Répondu par Jean-Marc le 11 octobre 2017 à  09:59 :

      Ce qu’est devenue Christine Angot ? Un écrivain reconnu, excusez du peu. Quant à ne voir dans son visage que des rictus de haine, c’est peut-être simplement révélateur des sentiments qu’elle vous inspire.

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  • J’ai une grande admiration pour Christine Angot. Mais là il me semble que vous projettez sur elle des choses qui vous appartiennent. Je préfère lire la réponse de C. Angot dans Télérama.

    Et quand vous dites, en parlant d’ "une semaine de vacances" : "Il y a du conflit de classes dans cette histoire, ce que Christine Angot semble ne pas avoir suffisamment exploré et analysé..." Je crois au contraire que ce livre ne parle que de ça : de la domination d’une classe sur une autre, par l’inceste. C’est tout le sujet de ce livre.

    Je rejoins les propos de la psychanalyste E. Roudinesco sur France Cul : la souffrance de Sandrine Rousseau est bien réelle (si palpable dans l’émission et pourtant vous n’en parlez pas ?). Et l’agressivité et la violence d’Angot sont bien réelle également.

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  • Le fait marquant pour moi c’est qu’on a vu personne sur le plateau pour dire à Mme Rousseau "ne restez pas là, vous n’avez pas à supporter ça !" (mais ces gens là sont les premiers à juger les autres, dénoncer, ect). Fait que l’article se garde bien de parler et qui en dit long sur notre époque.

    On n’imagine mal une victime du Rwanda ou de la Shoah réagir comme Mme Angot. Avec tout le respect que j’ai pour son travail, je trouve qu’on doit réagir lorsqu’une femme se fait agresser à la télé, par solidarité.

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    • Répondu le 24 octobre 2017 à  18:38 :

      Ce n’est pas parce que la réaction de Christine Angot n’est pas politiquement correcte avec les émotions convenues (larmes convenues et phrases à la con du genre, la haine c’est mal, plus jamais ça et autres niaiseries) que vous devez en conclure qu’elle n’a pas réagi. Le problème de l’émission de Ruquier, c’est que pour faire de l’audimat et du buzz, tout est bon. Le viol en spectacle, on balance son porc en place publique, ça fait parler et 15 jours plus tard, on a déjà oublié et on passe à autre chose. Et la victime reste seule victime dans son coin et se démerde avec son caca.

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      • Répondu par Léna le 10 novembre 2017 à  17:46 :

        Quel rapport avec le political correct ?? J’ai un avis différent du votre et de Chantal Montellier, c’est tout.

        Depuis d’autres femmes en parle, comme Sandrine Bonnaire sur Europe 1 : "Je trouve que l’humilier comme ça n’est pas bien. Ce qui me heurte, c’est la manière dont elle est reçue. On n’a pas à avoir un comportement comme ça. Je ne suis pas d’accord, et surtout pas de la part d’un écrivain", dit l’actrice qui comprend d’autant moins la réaction de la chroniqueuse qu’elle aussi a fait part d’agressions par le biais de ses livres. "Justement, si elle a un problème avec ça, qu’elle en parle franchement... J’ai trouvé ça minable".

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        • Répondu par chantal montellier le 7 décembre 2022 à  17:48 :

          Je viens de tout relire à quelques années de distance, et cela confirme mon point de vue de l’époque. Pierrette Swartz a raison, nous ne parlons jamais que de nous mêmes et à partir de cette cage de chair que nous habitons, et dont les ressentis nous sont propres. Pierrette n’a pas agressé Sandrine, elle a seulement crie sa vérité. Je crois l’avoir entendue et j’espère ne pas être la seule. Quand à Sandrine, je lui souhaite aussi bon courage. Femmes, ce monde n’est pas le notre. Désertons !

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