Lors de la dernière Japan Expo, Café Salé (CFSL) lançait son troisième artbook. Ce site communautaire de dessinateurs et graphistes, lancé de façon informelle en 2002, a aujourd’hui bien grandi. « C’est le bouche à oreille qui a fait fonctionner le site », raconte Kness, co-fondatrice du forum ; « nous n’avions pas spécialement d’ambition au départ, mais ça a plu aux gens, aux auteurs en général et puis tout est venu relativement naturellement, en commençant par les différentes refontes du site, les expos en live, les artbooks, les démos et les signatures ».
Café Salé fédère à ce jour plus de 20.000 inscrits qui explorent les ressources du numérique, « une influence de plus en plus importante, en illustration, au cinéma, en photo, et en BD bien sûr », nous dit Kness. « On trouve de moins en moins de coloristes tradi par exemple, les dessinateurs commencent également à se mettre à l’encrage numérique. On peut revenir plus facilement sur ses images, retoucher, copier, coller... Mais il y a aussi des effets pervers, comme le fait de revenir sans cesse sur des choses ou d’en rajouter à outrance. L’outil numérique n’est pas toujours bien utilisé, mais pour ceux qui savent en tirer parti, c’est un progrès formidable. »
Un lieu d’échange et d’émulation
Le site est pour ses utilisateurs un lieu privilégié d’échanges : galeries d’illustrations, de BD, d’animation, de scénarios, de photos y côtoient forums de discussion, petites annonces, ressources techniques, graphiques et juridiques… « Montrer mes productions au jour le jour, voir les réactions des autres membres du forum, avoir le soutien de gens extrêmement talentueux (m@de, moket, pao, olgenki, jouey, gary , orkimede et bien d’autres), ça décuple vos capacités et votre vitesse de progression », témoigne Pierre Etienne Travers, membre actif depuis 2005. « J’imagine que c’est ce qu’on appelle l’émulation. Et c’est ce qui m’a permis d’arriver à un niveau en peinture numérique qui me permet aujourd’hui d’en faire mon métier. »
Thomas Cadène, dit « Le Thô », aujourd’hui publié principalement chez KSTR, pense également être devenu auteur de bande dessinée « en très grande partie grâce au CFSL. Je lui dois des rencontres importantes avec des gens qui sont devenus d’excellents amis (Tentacle Eye, Bandini, Black Frog, Spade, Aris, Lucyd, Clot...). Mon personnage Rosalinde a été crée sur ce forum et s’est développé grâce à lui par les réactions et commentaires qu’il suscitait. »
Les artbooks, des outils de promotion pour les auteurs
Publiés chez Ankama depuis 2007, les artbooks présentent chaque année une sélection des travaux des membres de la communauté. Grand format, pagination imposante, qualité de l’impression : une belle vitrine pour le site et pour les auteurs, qui ne sont pas rémunérés mais conservent les droits sur leurs œuvres et reçoivent un exemplaire du livre chacun. Les éditeurs travaillent également gratuitement, les bénéfices allant à l’association CFSL.net qui prend en charge les frais liés à la présence sur des évènements comme Japan Expo.
Pourquoi ces artbooks ? « Parce que le livre, c’est la vraie consécration de l’image », répond Kness. « Le support réel est très important, on ne parle pas que de livres d’ailleurs, mais également des posters, des toiles et des autres modes d’impression. Le livre laisse une trace, c’est un objet d’art à part entière. »
Une maison d’édition commune avec Ankama
La collaboration avec Ankama a trouvé d’autres prolongements, comme la réalisation de certaines cartes du jeu Wakfu TCG par des membres de la communauté. Et c’est tout naturellement que le site s’est associé à l’éditeur roubaisien pour créer une maison d’édition commune, CFSL Ink, gérée par Kness, avec l’objectif « de montrer la puissance graphique de la communauté, et de familiariser le public avec l’art numérique et les nouveaux procédés de création qu’il implique, que ce soit en BD ou en livres d’art. Nous allons principalement travailler sur des artbooks, avec différents formats et pas toujours collectifs. »
La série des Shuffle reprend ainsi le principe des artbooks, mais dans un format plus petit, et selon des thématiques données : le premier numéro est consacré au speed painting, une discipline strictement numérique [1]. Mais des ouvrages plus traditionnels sont aussi au programme, comme les Carnets de la Grenouille noire, un roman graphique dans lequel un auteur de bande dessinée s’interroge sur son travail, et dont le premier tome est déjà paru.
« Ce livre est né totalement sur Internet », explique Kness, « pour nous il était évident que ça devait être une de nos premières publications papier, tant l’ouvrage est lié a la communauté. Igor, aka La Grenouille Noire, postait chaque jour 10 planches sur le forum, faites dans la journée. Les gens venaient et donnaient leurs avis, puis le lendemain il apportait les modifications qu’il pensait utiles et postait 10 nouvelles planches. Ça a duré un mois au total pour le volume 0, et au final on avait un petit livre complet. L’expérience ayant plu aux gens comme à l’auteur, il a recommencé pour le volume 1 et on devrait voir la suite très bientôt. »
(par Arnaud Claes (L’Agence BD))
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En médaillon : "Petit Dej" de FlOe.
Toutes les illustrations sont extraites de l’artbook CFSL 03.
[1] Le speed painting (« peinture rapide ») consiste à peindre numériquement une œuvre détaillée en environ 1h30 maximum.
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