Dans la cité lacustre, au milieu du XVIIIe siècle, le libertin Casanova est le plus célèbre gentilhomme de la Sérénissime. Don Juan invétéré, il nourrit sa légende et fait fi des rumeurs qui le disent à la merci de l’Inquisition. Pourtant, prévenu par une de ses bonnes amies de l’épée de Damoclès qui lui pend au-dessus de la tête, il ne prend pas la fuite, croyant en son innocence et aux vertus de la justice. Mais le siècle des Lumières n’est pas siècle d’équité et, comme Calas aurait pu en témoigner, l’innocence mène parfois à la potence. Ayant passé outre tous les avertissements, il se retrouve enfermé en juillet 1755 dans les combles du Palais des Doges.
Ignorant des raisons de son incarcération et n’ayant aucun moyen de se défendre puisque ne bénéficiant pas d’un procès, il va devoir se contenter de sa couche entre quatre murs, dans l’étroitesse et l’humidité, et se satisfaire de la compagnie de l’humble et soumis Lorenzo, son geôlier. Rapidement mis au supplice par la tristesse de sa condition, il n’aura bientôt plus qu’une seule et unique idée en tête : l’évasion.
Délaissant le manichéisme facile, surtout sur cette époque lointaine, l’auteur construit des personnages ambivalents, ni bon, ni mauvais, à l’image de Lorenzo, geôlier loin d’être tyrannique, capable de sympathie pour son célèbre prisonnier, mais aussi des mesures de rétorsion les plus sévères lorsqu’on trahit sa confiance. Même si les rapports entre Casanova et ce dernier reposent forcément sur un conflit entre un prisonnier et son gardien, la réussite du récit est de nous faire pénétrer dans une relation où toutes les tensions et les apaisements sont démultipliés par la force du huis-clos.
Parfois trop sage dans son approche, le récit arrive tout de même à faire sortir le diable de sa boite. Sous couvert de fausse légèreté et de bien-pensance, le dessin léché travaille une atmosphère lourde et pesante dans laquelle les traits psychologiques des personnages sont formidablement rendus. Servie par une maîtrise du découpage et un réel parti-pris graphique, l’aventure statique de Casanova met en exergue sa puissance et permet de faire dégorger sa légende de ses atours pour en retirer la moelle dans une histoire performative au caractère puissamment humain. Variant entre monologue intérieur et confrontation, le récit évite l’écueil d’une longue introspection cernant son principal protagoniste.
La fuite de Casanova n’est finalement pas le point culminant de son épopée stationnaire, mais elle met en évidence les relations claustrophes d’un détenu avec son geôlier, et sa résignation ou sa volonté d’échapper à son sort. On peut aussi y déceler la puissance de l’écrit. C’est à cause de livres mis à l’index que Casanova sera écroué aux Plombs. Mais l’écrit lui permettra également de survivre et de tenter son évasion ; refuge de l’esprit et condition libératrice. Casanova restera libertin même si, désormais, à la fin de sa vie, il se penche plus sur sa table de travail que sur le corset des jeunes femmes.
La rondeur du trait de Patrick Mallet et la chaleur d’une colorisation presque voluptueuse, dans l’esprit du siècle, servent de force motrice à cet album qui ne tombe pas dans la facilité d’une adaptation sans caractère.
(par Vincent GAUTHIER)
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