Antoine Gallimard devra s’y faire. Les auteurs de BD ne se traitent pas comme du bétail. Le rachat de la maison Casterman par le Groupe Gallimard, officialisé en juin dernier, et la démission surprise de son PDG Louis Delas, le 8 novembre dernier, ont provoqué une véritable bronca de la part ses créateurs-maison. Et pas n’importe lesquels : ceux qui font le chiffre d’affaires de l’entreprise : Les ayants-droits de Hergé et de Pratt, Enki Bilal, Philippe Geluck, Jacques Tardi, Frank Margerin, Régis Loisel, Jacques de Loustal... Bref, les stars de la maison.
La situation est sérieuse : on se souvient que dans des circonstances similaires (la démission de Dimitri Kennes en mars 2006), 112 auteurs des éditions Dupuis avaient haussé le ton face au nouvel acquéreur de leur maison d’édition. Cela avait déclenché une crise aigüe qui avait duré quelques semaines.
Casterman est une des pépites du groupe Flammarion racheté récemment par Gallimard. La bande dessinée, par ailleurs, depuis près de vingt ans, tire le chiffre d’affaires et les marges de l’édition, un secteur qui fait grise mine depuis quelques décennies, mais qui a permis à un groupe comme Gallimard de croître en dépit de la crise.
Ce qui inquiète en particulier les auteurs, c’est leur avenir. Que leur propose-t-on comme perspective ? La "gaffe" d’Antoine Gallimard dans un entretien aux Échos en en juillet dernier, parlant de Casterman : " J’aimerais le garder, même si, dans un contexte de crise, je pourrais être contraint de le vendre pour faire face à mes échéances" n’est pas passée inaperçue, en conséquence de quoi, ils demandent des gages à leur nouvel interlocuteur.
Il faut dire que la gestion désastreuse qui avait précédé la cession de la maison Casterman à Flammarion leur a laissé de mauvais souvenirs.
Ils réclament simplement de Gallimard qu’ils soient pris en compte dans les stratégies qu’il entend élaborer dans l’avenir. Ne fut-ce que pour suggérer l’une ou l’autre idée qui dynamiserait le groupe plutôt que de le laisser sous l’éteignoir.
LA LETTRE OUVERTE DES AUTEURS CASTERMAN
SANS AUTEURS, PAS D’ÉDITEUR !
Lettre ouverte à Antoine Gallimard.
Monsieur,
Nous, auteurs des Éditions Casterman avions accueilli avec intérêt, voici quelques mois, l’idée d’un rachat de Flammarion/Casterman par Gallimard. Cette solution, venant d’un éditeur respectable, ne pouvait que nous séduire.
Le 6 juin, c’est avec beaucoup d’inquiétude que nous avons découvert dans “Les Échos” votre déclaration annonçant que, même si Casterman était “un joli joyau”, Gallimard pourrait être contraint, “dans un contexte de crise”, de le vendre pour faire face à ses échéances.
Pendant les semaines et les mois qui ont suivi, rien n’a été fait pour nous rassurer. Aucun contact n’a été pris avec nous, ni individuellement ni collectivement. Aucun projet éditorial ne nous a été présenté.
Le 8 novembre, nous avons appris brutalement, et avec consternation, par une dépêche AFP, la démission de Louis Delas et la situation qui l’y avait contraint. Depuis plus de douze ans, il était l’artisan du redressement et du développement de la maison Casterman. Chacun de nous avait appris à lui faire confiance, ainsi qu’aux équipes qu’il avait su réunir autour de lui.
Aujourd’hui, devant le mépris dont les auteurs Casterman font l’objet de votre part, nous avons le triste sentiment d’avoir été instrumentalisés en vue d’un transfert purement capitalistique. Nous n’avons, ni l’envie de nous compromettre dans un projet qui ne nous ressemble pas, ni l’intention de servir de “vaches à lait” à une quelconque trésorerie.
Si par hasard vous avez oublié que sans auteurs, il n’y a pas d’éditeur, nous vous le rappelons aujourd’hui. Et c’est sous d’autres cieux éditoriaux plus amicaux que certains d’entre nous publieront sans doute leurs prochains albums.
À moins que…
Enki BILAL, Jean-François et Maryse CHARLES, Didier COMES, Philippe GELUCK, Dominique GRANGE, Benjamin LEGRAND, Régis LOISEL, Jacques de LOUSTAL, Franck MARGERIN, Benoît PEETERS, François SCHUITEN, Fanny RODWELL (Ayant droits d’HERGE), Benoît SOKAL, Jacques TARDI, Bernard YSLAIRE, Patrizia ZANOTTI (Cong/Ayant droits d’Hugo PRATT),...
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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En médaillon : Antoine Gallimard
Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD)
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