Il y avait du monde à la soirée de lancement de la revue Pandora à la galerie Vu, voisine des nouveaux locaux de Casterman à Paris. Enfin, on voit la bête : une élégante publication de 264 pages (presque) toutes en couleurs avec au sommaire des noms qui claquent : Katsuhiro Otomo, Art Spiegelman, Jean-Christophe Menu, Bastien Vivès, Blutch, Mattotti, Loustal, Killoffer, Brecht Evens, Matz, Manuele Fior, etc. Rien que ça !
Nous rencontrons le grand patron de l’entreprise : Antoine Gallimard dont la fille Charlotte Gallimard est directrice générale de Casterman depuis le rachat de Flammarion par son groupe.
Son grand-père Gaston Gallimard était l’éditeur de La Nouvelle Revue Française, la figure du proue de la littérature française du XXe siècle, celle où officiaient André Gide, Marcel Proust, Guillaume Apollinaire, Louis Aragon... Lui-même, Antoine, l’a dirigée, un temps. "Du temps de mon grand-père, répond Antoine, il y avait deux mille revues, tandis que maintenant..."
Il faut dire que le risque n’est pas démesuré : il n’y aura que deux parutions par an. Quelle est la raison de cette publication ? C’est un "geste éditorial", un manifeste, pour renouer avec les grandes créations du passé, comme en atteste la présence, lors de cette soirée de lancement, de Jean-Pierre Dionnet, le créateur de Métal Hurlant ? Il y a un peu de cela quand Benoît Mouchart, son rédacteur en chef proclame dans son éditorial : "L’imagination est une forme de résistance engagée du côté de la vie...", revendiquant une quasi naïveté : "Cette part créatrice, qui reste en partie reliée à la toute-puissance de l’enfance, apporte toujours une nouvelle vision du monde."
"One-page Graphic Novel"
Plus prosaïquement, Casterman, dont le catalogue part, comme chez beaucoup d’éditeurs généralistes, dans tous les sens, avait besoin d’un lieu identitaire pour que chacun de ses grands auteurs s’identifie à la maison. Benoît Mouchart nous l’explique en citant Tardi (il change sa voix et l’imite avec gouaille) :"Ouais, tu vois, ça manque d’une revue où, entre deux albums, on peut faire de temps en temps une histoire courte..." Tardi sera présent dans le deuxième numéro à paraître à l’automne.
Jamais avare d’une anecdote, notre rédac-chef nous raconte sa visite chez Art Spiegelman (il imite son accent américain) : "How, je reçwois un coup de fil d’un grand newspaper amewicain. Ils veulent un "gwaphic novel" pour leuw jouwnal. Un "gwaphic novel" ? Vous voulez diwe un comic stwip ? Non, non un "gwaphic novel", les comics, c’est fini..." Donc, maintenant, chez l’Oncle Sam, le vocable "gwaphic novel", cela s’adresse aussi aux BD courtes, d’une page au besoin. Cela donne l’idée à Benoît Mouchart : faisons une revue de "gwaphic novels"... Art Spiegelman a donc livré une "One Page Graphic Novel" dans ce premier numéro...
Reste à trouver le nom. Mouchart relate sa conversation avec Blutch, qu’il imite à la perfection : "Heu... Faut bien choisir le nom... Les plus grandes revues de BD ont des noms de personnages secondaires : Linus, Charlie... Faut, heu, un personnage secondaire..." Le nom de Pandora qui apparaît dans La Ballade de la Mer salée de Pratt tombe dans la conversation. Le clin d’œil à (A Suivre), la revue que Casterman avait bâtie en 1978 autour de Pratt et de ses "romans graphiques", y est. C’est bon ça, Coco, ce sera Pandora !
Alors, le contenu de cette revue, direz-vous ? 27 histoires. Certaines sont sans surprise, même si on les lit avec plaisir : Spiegelman fait du Spiegelman, Loustal est égal à lui-même, Menu toujours aussi énervé, Johan De Moor toujours aussi azimuté... D’autres surprennent, comme Jean-Louis Tripp qui nous conte sa première masturbation. Et puis, il y a les maîtres, comme Otomo qui nous livre un court récit racontant une sombre histoire de robots-kamikazes bien dans l’air du temps, ou encore ce sale gosse de Bastien Vivès qui n’hésite pas, une fois de plus, à transgresser les tabous, mêlant Eros et Thanatos dans 10 planches qui s’impriment dans la mémoire, vous savez, comme Cauchemar Blanc dans L’Écho des Savanes ou Arzach dans Métal Hurlant...
La boîte de Pandora est ouverte...
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD)
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