L’anecdote mérite d’être racontée : Hergé était un fondu d’Hugo Pratt. Comme Franquin, il était bluffé par l’aisance, la capacité de synthèse et surtout par la puissance d’évocation de Corto Maltese. La série paraissait depuis 1970 dans Pif Gadget, dont un certain Jean-Paul Mougin, viré en 1968 de l’ORTF en était devenu le rédacteur-en-chef adjoint l’année suivante. Toute la profession avait le maître vénitien en ligne de mire depuis que Claude Moliterni en faisait une très active propagande. Greg publiait ses Scorpions du désert dans Le Journal de Tintin depuis 1973 et, pour répondre à l’insistance d’Hergé, Casterman publiait Corto Maltese en albums cartonnés en couleurs. Cet initiative avait été un échec patent pour l’éditeur tournaisien. Les vieux libraires s’en souviennent : les cinq albums du marin-aventurier publiés par Casterman ont encombré les solderies pendant des années.
Une ballade historique
Puis vint La Ballade de la mer salée, un gros pavé en noir et blanc publié par Casterman en 1975, un peu comme un dernier ballon d’essai avant liquidation totale. Paru en janvier au Festival d’Angoulême 1975, il reçut le Prix de la Meilleure BD étrangère l’année suivante et surtout, ses ventes dépassèrent rapidement le cap des 100.000 exemplaires vendus. Pour une maison aussi conservatrice que Casterman, c’est un séisme.
En réalité, cette bande dessinée pour adultes que les grands éditeurs regardaient encore avec commisération depuis que Pilote avait dû passer mensuel et face au constat des difficultés financières de Charlie Mensuel et de L’Écho des Savanes, cette bande dessinée-là était en train de faire son trou. Pour preuve, la même année que La Ballade paraissaient Métal Hurlant, Fluide Glacial et Circus, initiant trois courants de bande dessinée qui ont marqué l’histoire.
Le transfert de Jean-Paul Mougin chez Casterman sous la houlette de Didier Platteau, arrivé comme assistant au directeur littéraire chez l’éditeur tournaisien en 1972, scelle un projet autour d’une revue en noir et blanc dont les intentions, si l’on en croit l’éditorial du premier numéro, sont clairement affichées : « (A Suivre) sera l’irruption sauvage de la bande dessinée dans la littérature » écrit Mougin.
Une ambition littéraire
C’est une révolution qui insuffle à la bande dessinée francophone d’autres formats, d’autres rythmes d’écriture et surtout une ambition esthétique et littéraire rarement assumée jusqu’ici.
Auparavant, en effet, la bande dessinée pour adultes passait par les poncifs de la contre-culture : sexe, science-fiction, polar et rock ‘n roll. Avec (A Suivre), Casterman se veut le « Gallimard de la BD ». Et il parviendra peu ou prou à ce statut, trustant pendant près de 15 ans a plupart des prix d’Angoulême dont ils ont été dans les premières années l’un des principaux soutiens.
Au casting du premier numéro, une maquette d’Étienne Robial (qui, depuis le lancement de Métal Hurlant et du label Futuropolis était devenu une garantie de branchitude parisienne), Tardi & Jean-Claude Forest, Claude Auclair, Fmurrr et bien entendu Hugo Pratt.
Après une dizaine d’années flamboyantes, où l’on découvre Schuiten & Peeters, Comès, Manara, Sokal, Geluck, Ted Benoit, Loustal, etc., le mensuel se racrapota jusqu’à s’arrêter en 1997 après 239 numéros, dans une dernière livraison intitulée « Arrêt sur images » ponctuée du mot « fin ». Rideau ?
Le retour
Non pas, semble-t-il. Récemment nommé en remplacement d’une partie des fonctions d’Arnaud de la Croix parti au Lombard, l’ex-libraire Reynold Leclercq avait envie de fédérer ses projets dans un nouveau support. Aussi a-t-il proposé au président de Casterman, Louis Delas, de relancer (A Suivre) dans une publication qui paraîtra deux fois l’an, une formule commerciale éprouvée non sans succès par Dargaud et Pilote. Serait-ce le début d’un retour du mythique mensuel de Mougin et Platteau ?
Il se raconte que certains grands auteurs du « (A Suivre) canal historique » sont opposés à ce projet, y compris son ancien rédacteur en chef. Mais que certains autres (aucun nom n’est cité) seraient plutôt favorables. Ce serait un numéro composé « uniquement d’inédits » nous dit-on, dont les fers de lance seraient des figures de la nouvelle génération comme Bastien Vivès par exemple.
Nous en reparlerons sûrement car, on s’en souvient, la relance de Pilote ou celle du label Futuropolis avaient suscité pas mal de réactions. Ces réminiscences de labels du passé est-elle symptomatique ? Il y a en tout cas à travers cette initiative une relecture du passé qui montre que ces projets éditoriaux sont vraiment entrés dans l’Histoire.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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En médaillon : Le numéro 0 d’(A Suivre)
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