Quel a été votre parcours pour devenir dessinatrice ?
Après un bac littéraire, j’ai passé un DEUG de lettres modernes à Poitiers. J’ai ensuite changé d’orientation et suis entrée à l’École des arts graphiques Estienne, à Paris, où j’ai obtenu un diplôme des métiers d’art en illustration (DMA, 2002). À la sortie d’Estienne, j’ai enchaîné avec l’École des Arts décoratifs de Paris, d’où je suis sortie diplômée en 2005. C’est lors d’un concours de dessins de presse à Estienne, en 2001, que j’ai rencontré Jul et Tignous, de Charlie Hebdo, et Morschoine, des Échos. Sur leurs conseils, j’ai montré quelques dessins aux rédactions précitées, et j’ai tout de suite été publiée. Cela a donné du piment à mes études ! Simultanément, j’ai commencé à être publiée dans l’édition et la presse jeunesse. Je découvrais le métier de dessinatrice de presse et d’illustratrice jeunesse, et n’avais alors aucune intention de faire de la BD.
Vous vous projetiez dans le journal de Cabu, Charb et de Luz ?
Absolument pas ! Je lisais Charlie Hebdo depuis quelques années sans imaginer une seconde que je dessinerais dedans un jour. Cela ma paraissait hors de portée, et puis j’avais la tête ailleurs : je rêvais naïvement d’être Quentin Blake ou Tomi Ungerer, de faire des "livres illustrés"… En sortant de mon premier rendez-vous avec l’équipe de Charlie, j’étais terrifiée et hyper enthousiaste à la fois : je découvrais une profession, un lieu de travail, une équipe. Je connaissais l’histoire de Hara-Kiri et de Charlie Hebdo, ainsi que le parcours et les publications des dessinateurs, ce qui m’a peut-être permis de me fondre dans ce paysage plus facilement.
Est-ce qu’un caricaturiste a le même cerveau qu’un bédéiste ?
Il me semble que si le caricaturiste est un lièvre, le bédéiste est une tortue !
En ce qui me concerne, je dois faire un gros effort pour passer de mon activité de dessinatrice de presse à celle d’auteur BD. J’exerce parfois ces deux activités dans la même journée, ce qui me fait faire une drôle de gymnastique, mais j’aime ça ! J’aime à la fois réagir à l’actualité ou faire du croquis de reportage dans l’urgence, et fabriquer une bulle dans laquelle je vais prendre le temps de réfléchir à une narration. Pour chacune de ces activités, le rythme de travail est très différent. Mais la frontière, du point de vue graphique, est souvent floue : dans chacune de mes BD, il y a de la caricature… Je veille cependant à ne pas faire de caricature politique dans mes albums, de peur de tout salir !
Quels sont vos maîtres à penser dans la caricature ?
J’aime les dessinateurs en général, caricaturistes ou non : Sempé, Beuville, William Steig, Quentin Blake, Steinberg, Gus Bofa, Georg Grosz… font partie de mon panthéon. Pour la caricature au sens strict, je dirais Daumier.
Et dans la BD ?
J’aime les pionniers Bretécher, Reiser, Gotblib, qui me font toujours rire.
La caricature, c’est un milieu de mecs, surtout...
C’est la tradition qui veut ça… Mais les filles frappent de plus en plus à la porte de Charlie, et c’est moi qui les trie à l’entrée, en respectant les quotas !
Je me souviens du plaisir de Cabu voyant débarquer une fille dans l’équipe : il attendait ça depuis longtemps. J’ai été très bien accueillie, même si j’ai dû développer un certain sens de la répartie, voire de la gifle orale, parfois, pour m’imposer. L’équipe me terrifiait, l’idée de ne pas être à la hauteur me faisait suer à grosses gouttes, je n’osais pas montrer mes dessins, et malgré cela il fallait être drôle, savoir répondre aux vannes, etc. Maintenant que j’ai vieilli, je suis beaucoup plus à l’aise et tout me paraît parfaitement naturel dans le meilleur des mondes.
Vous revenez régulièrement à la BD (un peu moins que Jul, cependant). Pourquoi ?
J’aime ce mode d’expression, car il me permet de réfléchir à l’évolution de mon dessin, ainsi qu’à l’écriture. Quand je dessine dans la presse, je n’ai pas le temps de me poser de questions, le rythme de publication est trop rapide, c’est parfois très frustrant.
Quand je fais de la BD, toutes les questions existentielles arrivent en même temps, j’adore ! La BD me permet de me demander si j’ai "quelque chose d’intéressant à raconter", et de prendre le temps de soigner mon dessin, de le faire évoluer. J’aimerais d’ailleurs avoir plus de temps pour faire des albums : ça devient vite une drogue de faire des livres seule.
Savoir-vivre ou mourir (Éditions Les Échappés) est votre cinquième livre. Il est important pour vous ?
"Savoir-vivre ou mourir" est une parenthèse enchantée dans le monde parfait de Nadine de Rothschild. Je me suis bien marrée à le faire, il m’a permis de tester de nouvelles petites choses graphiques et narratives, mais ce livre m’est moins important que Mes hommes de lettres (qui était ma première BD), parce que péter dans la soie de la baronne me procure moins de plaisir que de délirer avec les grands écrivains ! Désolée Nadine !
Vous dessinez surtout à la maison ou au journal ?
Surtout chez moi, et deux ou trois jours par semaine au journal. Mon travail de BD ne peut en aucun cas se faire à Charlie. En revanche, dessiner au journal entourée de mes collègues est souvent bénéfique.
Propos recueillis par Didier Pasamonik
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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