Interviews

Cécile (Papa ne sait pas) : "Bien souvent, les gens concernés par l’illettrisme se cachent..."

Par Patrice Gentilhomme le 9 février 2015                      Lien  
Soutenu par l'association BD Boum, organisatrice du festival de Blois, l'album "papa ne sait pas" a fait l'objet d'une large présentation lors de la dernière édition du festival. Rencontre avec les auteurs.

Alain Dary, vous êtes l’auteur, avec Bastien Griot, du scénario de cet album. Pouvez-vous nous dire comment est née cette histoire d’un papa victime d’illettrisme ?

ALAIN DARY : Ce travail est fidèle à l’esprit de la politique éditoriale de BD Boum : aborder des thèmes de société à travers la BD et parti-pris citoyen. Du point de vue éditorial, cela se traduit par une alternance entre la parution d’un album adulte et celle d’un ouvrage destiné à la jeunesse.

Il y a deux ans, nous avions privilégié la pédagogie avec Gaspard et le phylactère magique (coédité avec Emmanuel Proust). On avait déjà traité ce sujet dans un livre destiné aux adultes. Là, on a voulu prolonger ce travail en direction de la jeunesse en créant un objet de médiation pour aider les parents à aborder le sujet avec leurs enfants.

Vous êtes vous-même enseignant, avez-vous déjà été confronté à ce genre de situation ?

Directement, non. Mais il arrive que l’on reçoive dans les écoles des enfants de familles de gens du voyage, par exemple. On voit bien alors que les parents sont assez réticents pour entrer dans l’établissement. C’est parfois douloureux, on le sent bien ! Je ne connais pas de cas précis, mais il faut dire que, bien souvent, les gens concernés se cachent. Dans cet album, on a voulu mettre en lumière ceux qui cachent leur jeu, ou peut-être qu’on ne voit pas. C’est un réel problème !

Cécile (Papa ne sait pas) : "Bien souvent, les gens concernés par l'illettrisme se cachent..."
Autour de la dessinatrice Cécile, Alain Dary (à gauche) et Bastien Griot, les auteurs du scénario.

Pourtant le héros de votre histoire est quelqu’un de bien intégré, il a un travail, une famille... Ce n’est pas la misère sociale...

Le panel des victimes de l’illettrisme est très large, et c’est précisément ce qui nous intéressait : parler de ce que l’on ne voit pas, de ceux qui sont cachés... Les autres, ceux qui sont repérés, identifiés, c’est plus facile de les aider. Ils sont parfois déjà pris en charge. Avec Bastien (co-auteur du scénario), nous avons pris le parti de traiter le sujet sous cet angle-là : ceux qu’on ne connaît pas ! Évidemment, cela va l’encontre de pas mal d’idées reçues...

Comment l’album a-t-il été accueilli ?

Les premiers lecteurs sont très émus, ils se disent très touchés... Ils nous encouragent beaucoup. Cela fait plaisir, car le but c’était aussi d’apporter une petite pierre à la lutte contre l’illettrisme. C’est une bataille de grande ampleur quand on pense que ça concerne près de deux millions et demi de personnes. On n’en revient pas ! C’est un chiffre énorme !

L’album se présente sous une forme particulière : d’un côté, une bande dessinée de facture plutôt classique et de l’autre côté, le récit reprenant le point de vue du papa...

Cette présentation disons... tête bêche : une partie BD et quand on le retourne un récit plus classique, est venue au cours de discussions avec Bastien. On avait d’abord pensé à une présentation en vis-à-vis (texte et BD) offrant simultanément le point de vue du papa et celui de sa fille, mais ça ne fonctionnait pas bien ! Il faut dire également qu’au début, ce choix n’a pas paru évident à nos éditeurs, mais on a insisté, on y tenait !

L’ouvrage étant coédité par l’association BD Boum, la présentation sous forme de BD s’imposait évidemment. C’est un moyen pour toucher les plus jeunes, de leur permettre de lire de manière autonome. Comme le but était de proposer un objet de médiation entre parents et enfants, la version album nous a très vite semblée être l’outil idéal pour aborder le sujet.

L’aide du CRIA (association basée à Blois créé en 1995, ayant pour but de lutter contre l’illettrisme et l’analphabétisme) nous a été particulièrement précieuse pour approcher ce public si particulier. Sans eux, on n’aurait pas pu faire cet album !

Le livre associe les deux points de vue en proposant deux axes de lecture : le point de vue du père sous forme de texte et celui de Capucine en BD. Les deux récits se complètent, ils cohabitent, ils se répondent.

Le synopsis est d’abord né d’une idée de Bruno Genini (directeur de BD Boum). Pour l’écriture, Bastien a d’abord rédigé le scénario de la BD. De mon côté, j’attendais pour coller au plus près de son texte. Les situations étant les mêmes, je devais suivre son travail pour avancer au plus près, de mon côté.

Bastien Griot, ce n’est pas votre première collaboration avec Alain Dary ...

BASTIEN GRIOT : Oui, en ce qui me concerne, j’avais déjà travaillé sur Gaspard avec Alain, mais j’étais alors trop occupé pour aller jusqu’au bout. Quand Bruno est venu avec ce projet sur l’illettrisme, on a tout de suite été d’accord. L’idée est arrivée au bon moment, la Caisse d’Épargne était d’accord pour aider le projet.

Pour collaborer, ce n’était pas si facile car ni l’un ni l’autre ne sommes des professionnels de la BD. Moi, je viens de l’animation et Alain de l’enseignement. Malgré tout, en réfléchissant à la manière de coopérer, on est tombé assez vite d’accord sur ce concept : un livre avec deux entrées, d’un côté la vision de la fillette et de l’autre celle du papa. Mais on ne pouvait pas écrire ça de la même manière, sinon ça deviendrait vite très répétitif, il fallait donc apprendre à conjuguer l’écriture album jeunesse avec celle de la BD.

Pour ma part j’avais déjà animé des ateliers sur ce thème avec Luc Brunschwig, notamment lors d’un stage d’écriture de scénario pour le premier livre. C’est là d’ailleurs, que j’avais déjà pris conscience qu’il n’y a pas de profil type, aussi bien des gens dans une grande misère sociale que des personnes parvenant à mettre en place des stratégies de contournements et réussissant parfaitement à tirer leur épingle du jeu. Ceux là réussissent à se construire une vie. Après cela, on a cherché une idée ou plutôt une entrée positive.

C’est donc un papa qui est parfaitement inséré, sauf qu’à un moment, il y a un révélateur ! Quand il va devoir gérer le quotidien de la maison et que sa petite file va s’apercevoir de son handicap, ça va lui sauter à la figure ! Il y aura ensuite le retour vers l’enseignante de Benoit, c’est elle qui va le ramener vers la lecture.

Dans les associations d’alphabétisation pour lesquelles j’ai travaillé, j’ai rencontré beaucoup d’anciens enseignants qui viennent donner un coup de main. À la fin ; quand elle demande à Benoit de l’appeler, cela ne sort pas de nulle part. Avant BD boum, en tant qu’animateur pour un centre d’accueil pour ados, j’étais sur un quartier avec une forte proportion de gens du voyage. On était enfermé dans une problématique où savoir lire ne sert à rien. Ces gens-là sont restés dans une culture de l’oral, ils ne sont pas dans le livre et ont un rejet de l’école, ou plutôt une peur d’y entrer. Pourtant, c’est souvent par le scolaire que l’on peut faire bouger les choses, beaucoup d’anciens enseignants y contribuent en prenant sur leur temps pour aider des associations de lutte contre l’illettrisme.

Deux couvertures qui se répondent pour un livre à lire de deux manières différentes !

L’album est bien reçu malgré ce thème a priori pas facile.. .

Oui, ça prouve qu’il y a de la place pour ce genre de récit. L’album précédent de Cécile (Clara, de Lemoine et Cécile édité au Lombard) a fait un carton malgré un un sujet encore plus dramatique que l’illettrisme (NB : la disparition d’un parent). Il y a donc bien une attente d’ouvrages destinés à la jeunesse abordant ce genre de thèmes, avec du fond. Je ne pense pas que ce soit problématique, en termes de vente ; ce sont des ouvrages qui rencontrent leur public

Cécile, on vous a déjà vue à Blois notamment avec une très belle exposition consacrée à l’univers de Clara. Votre arrivée sur ce projet s’inscrit dans le prolongement de ce travail. ?

CÉCILE : Oui, en grande partie. Après avoir vu l’expo consacrée à mon travail l’an dernier, Alain et Bastien, m’ont contacté. Ils cherchaient à retrouver les mêmes couleurs, les mêmes ambiances, le même trait que dans Clara, dont ils avaient particulièrement apprécié l’exposition. Ils étaient intéressés par la technique de la couleur directe. Moi, de mon côté, j’ai trouvé le sujet intéressant.

Ce n’est pas seulement un constat sur l’illettrisme ou la misère qui m’a intéressée, il y a aussi cette ouverture vers des solutions. Ça s’adresse aussi aux enfants et ça, ça m’a plu. Si ça avait été un projet adulte, j’aurais trouvé ça plus compliqué !

Certes, ça parle de l’illettrisme, mais pour moi, ça veut dire aussi que lorsqu’un enfant arrive dans la vie, ça peut remettre à plat des choses laissées de côté par l’adulte. Cela fait longtemps qu’on n’a pas fait de guitare, on a laissé tomber le sport ou la peinture la peinture, par exemple. On a mis plein de choses de côté et puis l’arrivée d’un enfant qui découvre le monde... et là on se dit qu’on va recréer le groupe de musique, que l’on va reprendre goût à des choses qu’on avait délaissées.

Benoît avait fait l’impasse sur la lecture et l’écriture, mais on peut très bien transférer cette histoire sur autre chose. C’est cette thématique qui m’a séduite. En fait, ça peut être lu par des gens qui ne sont pas directement concernés par l’illettrisme. Chacun peut s’y retrouver.

L’accueil va bien au-delà de ce que l’on ne pouvait le supposer..?

L’accueil est plutôt bon, il y a beaucoup de documentalistes, d’instits qui, je pense, vont le placer en bibliothèque. Évidemment, des parents aussi ! J’ai rencontré aussi une personne directement concernée…Sinon le livre est reçu de manière enthousiaste. Beaucoup de gens ont été touchés…Si le sujet n’est pas très « vendeur », cela reste important notamment pour les enfants, une façon d’affirmer l’importance de la lecture pour créer du lien, par exemple !

Et maintenant, quels sont vos autres projets ?

Toujours dans la joie et la légèreté ! Je travaille sur l’adaptation de Jacquou le croquant et une nouveauté à paraître au Québec qui s’appelle Purgatoire avec Yves Rodier.

Le livre de Piik avec Cazenove sortira chez Bamboo , début 2015, c’est un 46 planches, un projet que j’avais dans mes cartons et que Christophe Cazenove a pris en main. Deux tomes pour la jeunesse entre gags et récit.

Propos recueillis par Patrice Gentilhomme

Lirela chronique de l’album.

(par Patrice Gentilhomme)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

🛒 Acheter


Code EAN :

CONTENUS SPONSORISÉS  
PAR Patrice Gentilhomme  
A LIRE AUSSI  
Interviews  
Derniers commentaires  
Abonnement ne pouvait pas être enregistré. Essayez à nouveau.
Abonnement newsletter confirmé.

Newsletter ActuaBD