Grâce à sa présence à la télévision, le public de Cédric n’est pas dans les officines spécialisées, même s’il y fait des scores honorables, mais dans les grandes surfaces, là où vont se nicher les grandes séries commerciales. Les voisins de linéaire de Cédric sont Astérix, Tintin, Titeuf, Le Petit Spirou, Kid Paddle, Les Tuniques bleues ou Lanfeust, des multimillionnaires en albums vendus. Évidemment, quelques esprits forts vous diront qu’il n’est pas là l’avenir de la bande dessinée, que ce type de personnage « marketté » ne saurait en aucun cas représenter une quelconque valeur artistique. Éternel clivage entre une bande dessinée « tout public » et une bande dessinée « d’auteur ». Et de pointer le fait que « cela ne se vend plus comme avant » avec le même aplomb que ceux qui disent que la BD d’auteur « ne s’est jamais vendue ». Débats d’ignares.
Il faut en être conscient : il y a une forme de propagande qui valorise le « geste » artistique par rapport à un travail d’artisan régulier comme un métronome au point d’être suspect de « fonctionnarisation », d’une lisibilité sans faille quitte à paraître simplet, et dont la comédie humaine se veut compréhensible, même si elle ne manque pas de subtilité si l’on veut bien se donner la peine d’y regarder de près. Une propagande à laquelle une certaine critique et, il faut le souligner, une logique de palmarès des prix à Angoulême qui continue à mépriser la bande dessinée pour la jeunesse, souscrit à pleines mains.
Depuis qu’Aristote s’est employé à créer des catégories, la pensée contemporaine est bien obligée d’en accepter le principe : Cédric ne figure pas du même genre que la plupart des bandes dessinées qui font l’affiche de ce site. La famille naturelle d’une série comme Cédric est à situer du côté de Garfield ou de Boule & Bill, des best-sellers pour enfants.
Cédric est une œuvre sur la maturité. Cauvin (car le grand-père, c’est bien lui, jusqu’au physique) se projette dans une cellule familiale où les âges de la vie sont montrés avec leurs problématiques propres : l’enfant et son entourage découvrant les premiers rudiments de l’amitié et de l’amour, avec ses couples impossibles (celui de Cédric pour Chen vaut bien celui de Lucy van Pelt, des Peanuts, pour le pianiste Schroeder), des parents dans « la vie active », et « l’ancêtre » retraité que la famille garde chez elle tant qu’il n’est pas gâteux et parce que c’est moins cher que la maison de retraite. Dans cette comédie, tout le jeu réside dans les dialogues et les situations. Cela relève de l’ascèce musicale, nous sommes dans d’infinies variations, celles-là mêmes qui poussait Umberto Eco à faire correspondre Les Peanuts à du Bach.
La différence avec Les Peanuts, c’est que la série ne s’adresse pas à première vue à un public adulte. Il se met à hauteur de l’enfant. Mais le véritable amateur de BD qui n’est pas dans la confusion des genres, peut s’arrêter parfois sur ce travail, déceler çà et là dans les décors de Laudec la citation d’un dessin de François Avril publié chez Champaka ou une désopilante allusion à la politique française (en particulier dans les unes des quotidiens lus par le grand-père), histoire de montrer que si les auteurs s’acquittent de la tâche de faire aimer la bande dessinée à nos petites têtes blondes, ils ne sont pas dupes.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Participez à la discussion