Le Lombard fait une fois de plus le forcing pour placer le héros de Jean Van Hamme et Grzegorz Rosinski en tête de gondole en cette fin d’année : nouvel album dans la série régulière, une monographie monumentale et une application gratuite sur l’AppStore pour mieux découvrir les méandres tortueux de l’univers de l’homme mis à l’épreuve par les dieux.
Quand Grzegorz Rosinski publie pour la première fois en mars 1977, sur un scénario de Jean Van Hamme, le premier épisode de la série Thorgal, La Magicienne trahie, personne ne sait que l’année suivante, l’Église catholique se dotera d’un pape polonais, ni que le cadre dilettante de chez Philips qui s’essaie au scénario professionnellement depuis quelques mois avec le soutien financier de son épouse deviendra l’un des plus gros vendeurs de bande dessinée de la francophonie moins de dix ans plus tard.
Les esprits forts de la BD, ceux qui distribuent les nominations avec une connivence affectée (suivez mon regard...), ont vite faits de passer à la trappe une grande série comme Thorgal, rhizome européen de la Sword and Sorcery classique, qui allie l’ingéniosité narrative de l’un des plus grands raconteurs d’histoires de son époque avec la puissance graphique d’un dessinateur dont la formation académique va renouveler le dessin réaliste francophone en dehors de tout effet d’école alors que la consanguinité avec le trait d’Hergé était, dans les années 1980, en train d’enfoncer la BD franco-belge dans un insupportable maniérisme.
Près de quarante ans plus tard, alors que Van Hamme a cédé au Lombard les droits sur le personnage et que le bâton de maréchal du scénario est passé à son éditeur Yves Sente (devenu scénariste à plein temps depuis), Rosinski, tel un roc, est toujours là à dessiner le personnage au bout de 34 volumes, avec un nouvel opus : Kah-Aniel.
Passé à la couleur directe, une technique qui lui autorise un geste plus ample dans le dessin, de même que des matières, des modelés et des transparences inédites dans sa gamme colorée, Rosinski, 72 ans depuis août, n’a rien perdu de sa puissance. Yves Sente l’accompagne habilement avec un scénario bien construit et malin, aux saveurs inédites, où le rude viking explore les mystères de l’Orient et dont l’intérêt est une fois de plus relancé. Incontournable.
Parallèlement, l’éditeur de l’avenue Paul-Henri Spaak publie un ouvrage monumental sur le dessinateur polonais. Il est signé par le très méticuleux Patrick Gaumer. C’est une brique énorme de 400 pages, truffées d’illustrations. L’auteur du Larousse de la BD parcourt toute la carrière de l’artiste dont la première période polonaise nous est inconnue. Nous allons jusqu’au plus intime de son évolution, évoquant ses relations avec ses scénaristes (Van Hamme, Sente, Duchâteau, Dufaux...), mais aussi avec ses proches.
Chaque dessin est repéré, commenté, y compris ses travaux annexes comme les couvertures qu’il réalise pour La Mémoire d’Abraham d’après Marek Halter, chez Casterman, ou encore les peintures, grandes machines historiques à l’ancienne, qu’il réalise pour le Musée Royal du Cinquantenaire à Bruxelles. Des réalisations époustouflantes, Patrick Gaumer recoupe l’entretien en interrogeant les autres témoins de cette fabuleuse carrière : Van Hamme, Duchâteau, Dufaux, Kas...
On soulignera la qualité incroyable des reproductions et l’abondance des illustrations, pour une grande part inédites et jamais réunies en volume, tout cela pour un prix relativement modique pour un tel livre d’art : 45 euros. C’est une somme, certes, mais c’est donné eu égard à l’objet proposé, une fois encore, incontournable.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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