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Florence Cestac & Jean Teulé : « Charlie Schlingo était un vrai poète et se marrait en dessinant ! »

Par Nicolas Anspach le 11 février 2009                      Lien  
Après avoir été un trublion cathodique et s’être imposé en littérature avec des romans tels que {Rainbow pour Rimbaud} et {Le Montespan}, {{Jean Teulé}} s’est associé à {{Florence Cestac}} pour nous conter la vie d’un auteur de BD atypique : {{Charlie Schlingo}}. Ce dessinateur, influencé par les petits formats et Segar ({Popeye}), avait créé une multitude de personnages crétins qui vivaient des histoires décalées et absurdes.

Florence Cestac et Jean Teulé nous parlent de leur livre « Je voudrais me suicider mais j’ai pas le temps » et bien entendu de leur ami Charlie Schlingo.


Florence Cestac & Jean Teulé : « Charlie Schlingo était un vrai poète et se marrait en dessinant ! »
Pourquoi avez-vous souhaité réaliser une biographie dessinée consacrée à Charlie Schlingo

FC : Charlie Schlingo a fait partie de la grande famille de Futuropolis. Étienne Robial et moi-même avons publié plusieurs de ses livres. J’ai retracé la création de cette maison d’édition et les années où Étienne et moi-même étions éditeurs dans La Véritable Histoire de Futuropolis. Dans ce livre, j’avais mentionné qu’il fallait faire une bande dessinée sur la vie de Schlingo. Jean Teulé me connaît depuis longtemps : il a préfacé plusieurs de mes livres et m’a aidé à écrire Le Démon de Midi. Nous avions envie d’aborder la vie de notre ami ensemble.
Charlie faisait partie de la famille de la bande dessinée. Tout comme moi, il aimait le gros nez, et a été nourrit aux petits formats : Pépito, Blek le Roc, etc. Nous avions les mêmes passions, et étions fort proches.

Son parcours intéressera-t-il les lecteurs ?

FC : Franchement, je m’en fous ! Nous avions envie de raconter son histoire, et surtout que l’on se remémore un peu le travail et la personnalité de ce garçon. Nous voulions émouvoir le lecteur en parlant de Charlie.

Extrait de "Je voudrais me suicider mais j’ai pas le temps"
(c) Cestac, Teulé & Dargaud

Comment avez-vous travaillé ?

JT : Je suis allé à la rencontre des proches de Charlie, ses amis auteurs de BD et ses copains de bagarre. J’ai mené une véritable enquête pour mieux le connaître. Florence et moi-même avons été présenter le projet aux parents de Charlie. Ils ont été émus et nous ont donné leur aval. Ensuite, j’ai envoyé le scénario découpé, par mail, à Florence. Elle me renvoyait les pages dessinées. C’était un vrai bonheur !

Extrait de "Je voudrais me suicider mais j’ai pas le temps"
(c) Cestac, Teulé & Dargaud

Jean Teulé, cela fait plus de vingt ans que vous n’aviez pas signé de bande dessinée. Vous êtes aujourd’hui un écrivain reconnu. Pourquoi revenir à ce genre ? [1]

JT : Depuis des années nous parlions, Florence et moi-même, de réaliser ensemble une bande dessinée. Je ne trouvais pas d’idée convaincante et intéressante pour m’y remettre ! Je voulais revenir à la bande dessinée avec un scénario costaud ! Quand j’ai lu le livre de Florence sur Futuropolis, j’ai eu l’idée d’une biographie dessinée sur Charlie Schlingo. Il me semblait naturel que Florence dessine la vie de Charlie. D’autant plus que ce dernier se sentait très complice du travail de Florence.

FC : Jean a le don pour parler de personnages assez forts, comme Verlaine et Villon. Charlie est dans la même lignée. C’est le François Villon des temps modernes.

Aimeriez-vous que l’on publie un jour une biographie dessinée sur vous ?

FC : Évidement ! Cela me ferait chaud au cœur. Beaucoup d’amis, auteurs de bandes dessinées, viennent me dire qu’ils aimeraient bien que quelqu’un raconte leur vie….

Extrait de "Je voudrais me suicider mais j’ai pas le temps"
(c) Cestac, Teulé & Dargaud

Quelle est la part de fiction dans cette histoire ? J’imagine, par exemple, qu’il ne marchait pas sur les mains …

FC : Mais tout est vrai ! Nous n’avons rien inventé. Jean a mené l’enquête…

Josette de rechange
Un livre de Schlingo paru en 1981 aux éditions du Square / Albin Michel

JT : Tous les faits sont réels. Nous n’avons inventé qu’une chose : Charlie Schlingo vivait tellement dans un monde de bande dessinée qu’il ne pouvait n’aimer que des filles ressemblant à Josette de rechange, son héroïne. Nous avons rassemblé les trois femmes de sa vie en une seule. Nous avons fait vivre à Charlie une histoire d’amour avec le personnage de Josette de rechange. Il la dessinait avec de gros avant-bras, sur lesquels était tatoué une ancre marine. Finalement, cette représentation n’est pas de la fiction compte tenu de la ressemblence entre les femmes qu’il a aimées et son héroïne.
Charlie confondait la réalité et la BD. Je lui disais souvent qu’il ne vivait pas avec nous ! On avait l’impression qu’il s’était échappé d’une case. Charlie vivait dans une BD. Il lui arrivait beaucoup d’aventures rigolotes, dignes d’une bande dessinée. Charlie a vécu une vie de Popeye.
Enfant, quand il souffrait parce que l’on venait de l’opérer pour palier à sa polio, sa grand-mère lui apportait des Pépito. Il n’y avait que les petits formats qui pouvaient le calmer. Du coup, la réalité était, pour lui, synonyme de souffrance. La vie, selon lui, ne pouvait exister que par la bande dessinée. Charlie ne comprenait pas que certaines personnes n’aimaient pas les BD.
Même sa mort est une fin de bande dessinée. Il est mort en butant sur son chien, qui s’appelait « La Méchanceté ». Il a perdu l’équilibre et s’est fracassé la nuque sur une table. Il est mort sur une chute, digne d’une BD.

Extrait de "Je voudrais me suicider mais j’ai pas le temps"
(c) Cestac, Teulé & Dargaud

Il semblait être ingérable. Quels étaient ses bons côtés qui en faisaient un ami indispensable ?

JT : Il était extraordinairement drôle ! Charlie était un homme attachant, et je crois qu’il n’avait pas beaucoup d’ennemis dans le métier. Charlie faisait n’importe quoi. Il vomissait sur tout le monde. Mais il était tellement mignon qu’on lui pardonnait ses frasques. Son comportement découlait d’une souffrance. Ses BD sont délibérément crétines et poétiques. Il a construit un vrai univers. C’est un grand artiste qui a loupé son public. Enfin, on espère que les lecteurs de BD vont redécouvrir Charlie Schlingo. L’Association va republier ses albums ! Il y aura aussi, chaque année un prix Schlingo à Angoulême. On va récompenser la BD la plus tarée [2].

Quel est votre meilleur souvenir de lui ?

FC : Il y en a beaucoup ! Charlie se bagarrait souvent avec les autres hommes. Il pouvait être assez violent. Mais c’était un amour avec les filles. Je me souviens de ses fou-rires. C’est le seul dessinateur que je connaisse qui riait en dessinant. En encrant ses dessins, il disait souvent en se marrant : « Putain, c’est pas possible d’être aussi con ! ».

Florence Cestac et Jean Teulé
(c) Nicolas Anspach

(par Nicolas Anspach)

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Photos (c) Nicolas Anspach
Illustrations (c) Cestac, Teulé & Dargaud.

[1Jean Teulé a publié plusieurs bandes dessinées dans les années ’80, dont Gens de France, Gens d’Ailleurs et Bloody Mary. Ce dernier titre fut le premier album à recevoir le prix de la critique (ACBD) en 1984.

[2Lindingre a reçu le prix Schlingo en 2009 pour le troisième tome de Chez Francisque.

Dargaud ✏️ Florence Cestac
 
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14 Messages :
  • Je découvre Charlie Shlingo au travers de cette interview et ça donne drôlement envie d’en savoir plus !

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  • Le dernier roman de Teulé, fort drôle d’ailleurs, est intitulé "LE Montespan" (et non LA).

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  • J’esperes qu’on republira un jour "les aventures de désiré goguenot " que je lisais enfant.

    Pour moi il y a beaucoup de l’univers de Segar dans Schlingo, dans le dessin mais aussi dans l’humour. Un des auteurs de BD française les plus drole. En tout cas un des rares qui me fait rire.

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    • Répondu par david t le 11 février 2009 à  23:44 :

      désiré gogueneau fait partie de la réédition à paraître en mars sous le titre gaspation !, à l’association. (on a pu se le procurer en primeur à angoulême, et c’est du beau boulot.)

      soit dit en passant, josette de rechange sera aussi réédité au même moment, toujours à l’asso, dans un volume carré, avec les cartouches d’origine (que l’édition au square ne possédait pas).

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  • Un p’tit mot pour mon vieux copain... J’ai beaucoup aimé le livre de Teulé et Cestac. Il m’a fichu les boules mais il fallait aussi évoquer cet aspect du "gros vilain"

    Comme le notait Jean, il n’avait pas d’ennemis dans ce mêtier car il en connaissait toutes les phases. De l’imprimeur, à l’éditeur, au représentant ou l’attaché(e) de presse, il traitait tout le monde avec le même sain (ir)respect. Eh oui, il faut beaucoup de parenthèses pour évoquer Schlingo.

    Les dessinateurs l’aimaient beaucoup car il connaissait par coeur leur carrière. Chaland, Druillet... certaines rencontres me reviennent en mémoire. Et il jugeait, plus que tout le monde : "Ça c’était vraiment une merde !" Et les dessinateurs acquièsaient et reprenaient un whisky, pour partager la compagnie de ce type unique qui menait son propre chemin.

    C’était un copain, c’était un amateur de bd incroyable. Il avait chez lui des bd de Bottaro quasiment inconnus en France ("Le Roi de Pique"). "Fox & Crow" aussi qu’il me fit découvrir (dont certains scénars furent écrits par Frank Tashlin). Il connaissait tout ça... Et sûrement aussi la plus belle collection de bd stupides et sans talent que l’on puisse rassembler...ça le faisait marrer cet idiot !

    Et chaque fois se passe le même truc : faites lire à un môme de 12 ans du Schlingo. C’est l’engouement immédiat. C’est idiot, ça a pas de nom. Schlingo est un classique.

    Il me manque.

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    • Répondu par Malo le 14 février 2009 à  09:31 :

      J’ai tellement relu mon "n comme cornichon" qu’il faudrait que je m’en rachette un à l’occasion. :)

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      • Répondu par François Pincemi le 15 février 2009 à  00:41 :

        Et un "Cornichon de rechange" pour notre ami Malo, SVP !!

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  • N’oublions pas aussi "Monsieur Madame", un très beau livre pour enfant au Seuil Jeunesse.

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  • La chienne de Schlingo, en fait, se prénommait "Julietta" (prononcez "Djou").

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    • Répondu le 17 février 2009 à  13:41 :

      Non pas "Julietta", mais "Chuleta" -côtelette, en espagnol. Surnommée aussi "la méchanceté" (prononcez "la Bichônsté")

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      • Répondu par michaux le 1er octobre 2011 à  20:44 :

        J’ai découvert Charlie Schlingo il y a un an. Depuis je vis dans lui. J’ai écrit un spectacle "Les Schlingueries. Des boires". J’espère faire rire du fou rire de Charlie Schlingo. Mais mes histoires changent un peu le souffle de Charlie pour devenir un autre schlingué, un autre qui parle en moi dont il en est l’inspirateur. Mes histoires ont pris la vigueur de l’espace théâtral. Peut-être cela va raconter un homme et son âme. Nous verrons bien.

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  • C. Schlingo a fait de moi ce que je suis devenu, voyez le résultat, en effet,donner ses B.D. à un enfant de douze ans, ça laisse des séquelles irréversibles, pour le meilleur et pour le pire. Il me manque tellement, j’aurait tellement voulu le rencontrer. Avec les copains de l’époque, on le révérait, on attendait avec impatience chaque nouvelle parution d’album. Il était pour nous un modèle et un exemple à suivre. Sniffure !

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    • Répondu par Oncle François le 24 novembre 2014 à  12:15 :

      J’ai un point commun avec le regretté Charlie Schlingo (rencontré au moins deux fois en dédicaces), que je dois confesser : moi-aussi, j’aime bien l’odeur des chaussettes qui puent. Suis-je a-normal ?

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