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Charlie Hebdo rend fou même les médias les plus sérieux

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 7 mars 2015                      Lien  
Une tribune écrite sur Charlie Hebdo par notre collaborateur Damien Boone pour Le Monde a fait l'objet d'un changement unilatéral de titre qui déformait complètement ses propos. Heureusement, le grand quotidien français a fait amende honorable depuis et rétabli le titre original. Mais en attendant, quel charivari !

Le point de départ de l’histoire était une autre tribune du Monde dont on a tous entendu parler : un article de Jean-François Mignot et Céline Goffette intitulé "Non, Charlie Hebdo n’est pas obsédé par l’islam", dans lequel les auteurs relativisaient l’obsession supposée de Charlie Hebdo à l’encontre de l’Islam, montrant que sur 523 sujets de Une, seulement 38 étaient consacrés à la religion et dans ceux-ci, seulement 7 à l’égard de l’Islam contre 21 sur le Christianisme et 10 sur d’autres religions.

En réponse, Damien Boone, docteur en sociologie politique et Lucile Ruault, doctorante en sociologie politique, dans un article intitulé "Chiffrer les unes de « Charlie Hebdo » ne dit pas tout, exercèrent leur esprit critique en soulignant que "...ce chiffre évacue un ensemble d’hypothèses et de postulats qui, s’ils ne sont pas sérieusement interrogés et étudiés, ne lui confèrent qu’une faible valeur interprétative. Autrement dit, affirmer qu’à partir de cette étude, Charlie Hebdo « conformément à sa réputation, est un journal irrévérencieux de gauche, indéniablement antiraciste, mais intransigeant face à tous les obscurantismes religieux », laisser ainsi entendre que rien, dans le contenu du journal, ne pose problème (sur les musulmans ou sur d’autres sujets comme le sexisme), et que les personnes qui s’en indignent ou le questionnent ont tort, est un glissement qui ne peut résulter du raisonnement proposé." Questionnement légitime, comme il en est dans tout débat d’idée.

Charlie Hebdo rend fou même les médias les plus sérieux
Des chiffres au coeur du débat
(c) Le Monde

Le problème, c’est que par souci d’attirer le lecteur-chaland, Le Monde changea le titre en « Oui, Charlie-Hebdo est obsédé par l’islam », ce qui suscita à l’encontre de nos deux sociologues une bronca de première ampleur. Le simple questionnement d’un texte devenait subitement un débat de société qui dépassait le projet initial de l’article. Une caricature en somme.

"Lucile et moi-même avons passé une excellente nuit, merci, écrivait Damien Boone sur son blog hier, effarés et scandalisés depuis hier soir par le titre que le Monde a initialement donné à notre tribune et les usages qu’il en fait : « Oui, Charlie-Hebdo est obsédé par l’islam », rien que ça. Tant qu’à faire, on aurait pu titrer « bien fait pour leurs gueules ». Cela ne correspond en rien à notre propos, à ce qui a été négocié par mail et par téléphone, et nous fait entrer dans un débat dans lequel nous avons clairement refusé d’entrer, sur la question de « l’obsession ».

Le Monde nous avait donc attribué un titre qui reposait sur un parallèle de forme avec le titre de la tribune précédente. On avait proposé « l’obsession du chiffre. À propos de l’interprétation des unes de Charlie hebdo », réponse à une tribune publiée la semaine dernière, qui ne démontrait rien, si ce n’est que les chiffres, pour peu qu’ils ne soient pas contextualisés, peuvent être lus n’importe comment (on s’est du coup amusés à en donner aussi, pour jouer sur le même terrain : donc on ne trouve pas les mêmes chiffres, qui de toute façon ne veulent rien dire si on ne fait que les asséner de la sorte).

On sait bien que tout texte échappe en partie à ses auteurs quand il est lu par d’autres, et, eu égard à la thématique abordée, au contexte émotionnel, à l’interprétation de toute critique quant à Charlie comme une justification des attentats, on se doutait bien qu’on allait être impliqués dans des tas de causes et qu’on se ferait insulter, mais on n’imaginait pas que Le Monde nous savonnerait inutilement la planche, en nous attribuant des propos que nous n’avons pas tenus.

On ose espérer que les lecteurs sérieux (pas les commentateurs très éclairés du Monde et leur avis sur la sociologie, par exemple) qui ne se sont pas arrêtés au titre initial, ne nous impliquent pas dans leurs propres interprétations. On peut discuter de la méthode ; il est malhonnête de parler à notre place.

Après nouvelle discussion téléphonique ce matin, Le Monde a reconnu le caractère abusif de son titre et a rectifié. L’URL est immuable, mais bon.

Pour le reste, on maintient tout."

Cette histoire est symptomatique de l’hystérisation du débat autour de Charlie Hebdo où chacun y va de son commentaire et de son intérêt particulier. Le slogan "Je suis Charlie" ne veut décidément plus rien dire.

Une fois de plus, la Une de Luz a été prophétique.
(c) Charlie Hebdo

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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2 Messages :
  • Que de bruit pour rien. Quel est le but recherché par ces différentes études statistiques ? Juger Charlie ? Trouver des justifications à la tuerie ?
    Charlie est ce qu’il est que ça plaise ou non. Et ça n’est là que du papier. Si des dessins peuvent amener à de telles réactions de violence ou d’intégrisme, le problème n’est pas du côté du côté de celui qui dessine, mais de celui qui se sent attaqué.
    Charlie achetez-le, lisez le, et si ça vous plait rachetez-le. Charlie bouscule et c’est tant mieux. Si ça touche chez vous une corde sensible, tant mieux, un peu de réflexion n’a jamais fait de mal. En janvier tout le monde n’avait pas la fonction jugeote.

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  • Incroyable procédé de la part du "journal de référence", qui transforme un article de bon sens sur le fait que la quantification ne peut pas rendre compte d’une situation en une affirmation péremptoire qui, dans le contexte, est odieuse.
    Les journalistes se plaignent souvent des titres, intertitres voire légendes et illustrations qu’on impose à leurs articles, mais au moins, ils sont employés de leur journal, et ils sont vaguement censés accepter sa ligne politique (qui s’exprime justement par les titres).
    Mais faire ce coup aux auteurs (bénévoles, j’imagine) d’une tribune, c’est vraiment moche.

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