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Château l’Attente - par Linda Medley - çà et là

Par François Peneaud le 16 décembre 2007                      Lien  
Les BD que l'on aurait envie d'offrir aux lecteurs des deux sexes et de tous âges ne sont pas si nombreuses. Cet épais recueil d'histoires situées dans un univers de contes de fée en fait partie, autant pour l'intelligence de son propos que pour la qualité de ses illustrations.

Linda Medley est une auteure qui ne lâche pas le morceau : avant d’arriver à la publication de ce volume de 450 pages, elle auto-publia en 1996 une première histoire, vit Jeff Smith (Bone) sortir plusieurs numéros de la série sous son label Cartoon Books, s’auto-publia à nouveau, pour enfin réapparaître après plusieurs années d’absence chez Fantagraphics en 2006, avec cette superbe collection et une suite à la série, qui rencontrent toutes deux un vrai succès critique et commercial. Comme quoi, les « Ils vécurent heureux et eurent beaucoup de comics », ça arrive aussi dans la réalité.

Château l’Attente (très jolie traduction du Castle Waiting d’origine) ne raconte pas une seule histoire, mais une collection d’histoires complètes, certaines toutes nouvelles, d’autres étant des reprises de contes connus. D’ailleurs, la première partie de l’album, intitulée La Malédiction de la muraille d’épines, est une revisitation de La Belle au bois dormant qui, contrairement aux versions connues, prend le parti de mettre en avant des personnages secondaires, comme les dames de compagnie de la princesse maudite. Le château de la Belle acquiert lui-même une importance certaine, puisqu’après le réveil et le départ de celle-ci, il devient ce Château l’Attente, qui se mue en un hâvre de paix pour toute une ribambelle de personnages marqués par diverses tragédies. C’est ainsi qu’arrive un jour la dame Jaine, enceinte jusqu’aux dents et fuyant son mari violent. Elle y rencontre les trois dames de compagnies grandement vieillies, Rackham, l’intendant cigogne, Henry, le taciturne forgeron au cœur encerclé de fer, Chess, le chevalier cheval, Sœur Paix, de l’étonnant ordre des Sollicitines, et bien d’autres personnages, dans un univers où se mêlent humains, animaux anthropomorphes et créatures fantastiques.

Château l'Attente - par Linda Medley - çà et là

Tous ces personnages vont se raconter leur histoire, dans une mise en abyme qui nous replonge dans l’ambiance des contes de notre enfance... mais avec une différence certaine : nombre de ces histoires donnent la parole à des personnages féminins qui ont eu à pâtir de la brutalité de leurs pères ou maris. Les Sollicitines elles-mêmes, qui font l’objet d’une longue partie racontant l’origine de leur couvent, rassemblent des femmes à barbe qui œuvrent pour redonner leur dignité à des femmes rejetées par leur entourage, à l’image de leur sainte barbue et crucifiée.
L’aspect féministe du travail de Linda Medley est donc évident, et il est complété par la présence de belles romances, où hommes et femmes d’origines très diverses trouvent l’âme-sœur - certaines Sollicitines elles-mêmes quittant leur couvent pour vivre leur amour. Si Medley utilise et intègre une imagerie chrétienne où pullulent les démons et où le Bien et le Mal sont une thématique d’importance, elle construit également ses histoires selon des schémas bien plus contemporains, comme ceux d’un questionnement de l’image des sorcières, femmes à pouvoir, un jour vénérées et le lendemain persécutées. Un bel équilibre entre tradition et modernité.

Cet équilibre se retrouve dans le dessin de Medley, qui semble être au confluent d’illustrateurs classiques et de la BD moderne. Détaillé mais jamais lourd, très lisible mais jamais simpliste, le style de l’auteure convient à merveille à ces histoires où le lecteur déambule tranquillement, avec au fur et à mesure cette impression grandissante si agréable de se faire des amis que l’on prend à retrouver le soir au coin du feu.

Château l’Attente (l’album et la série) a bien mérité les distinctions reçues : bourse Xeric en 1996 (une aide à l’auto-publication), « meilleure nouvelle série » et « talent méritant une plus large reconnaissance » aux Eisner Awards de 1998, inclusion dans la liste des meilleures BD de 2006 par le Publisher’s Weekly, et maintenant une nomination aux Essentiels d’Angoulême 2008. L’éditeur français a lui aussi réalisé un très joli travail, avec une présentation rappelant celle des vieux livres, signet compris. Signalons qu’une deuxième collection est prévue aux USA pour l’année prochaine (neuf numéros sont parus depuis 2006), on peut donc espérer une traduction prochaine de cette série au charme persistant.

(par François Peneaud)

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Code EAN : 9782916207223

✏️ Linda Medley
 
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5 Messages :
  • On ne peut pas dire que "L’éditeur français a lui aussi réalisé un très joli travail, avec une présentation rappelant celle des vieux livres, signet compris.", puisque le livre édité est à l’identique de l’édition américaine, donc si ce n’est le mérite d’avoir découvert le livre et décidé de l’intégrer à son catalogue, nul mérite "de très joli travail" pour l’éditeur.
    Sujet aux essentiels d’angoulême, ne faudrait-il pas récompenser dans ce festival INTERNATIONAL, les vrais éditeurs des chefs-d’oeuvre que le festival récompense, plutôt que les éditeurs français qui n’ont que le méritent d’avoir acheté les droits de livres très souvent déjà estampillés "chef-d’oeuvres" et dans faire le fac-similé français... DONC récompensons dans ce festival INTERNATIONAL, les réels éditeurs, ceux qui ont pris des risques avec un auteur ou une oeuvre... c ’est-à-dire Fantagraphic book, Drawn and quaterly, Top Shelf, Marvel, etc... soyons vraiment INTERNATIONAL, ne biaisons plus le jeu...

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    • Répondu par François Peneaud le 17 décembre 2007 à  21:44 :

      Pas d’accord. Pour avoir vu le travail d’éditeurs français qui ont massacré celui des éditeurs d’origine, je ne peux que féliciter çà et là (qui est un petit éditeur, ne l’oublions pas) pour son adaptation du livre d’origine.

      Quant à récompenser des éditeurs étrangers, non, bien sûr. Les éditeurs français qui prennent des risques pour proposer dans notre langue des albums pas si évidents à vendre doivent être soutenus. Et puis, un succès critique ou commercial dans un pays ne garantit rien dans un autre. Vous croyez vraiment que Cerebus ou The Desert Peach pourraient être traduits chez nous avec succès ?

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      • Répondu le 18 décembre 2007 à  10:23 :

        Je ne vois pas en quoi un "petit éditeur" aurait plus droit à l’indulgeance qu’un "gros", je peux même dire que les "petits" doivent se battre avec les armes de l’intelligence, de la créativité et de repenser l’objet livre original au lieu de faire comme les "gros", ou de ne pouvoir le faire faute de "moyens", en jouant la carte de la facilité et du fac-similé des éditions d’origine, la plupart du temps très réussies. Depuis que Chris Ware a exigé que Delcourt fasse son Jimmy Corrigan à l’identique de sa création originale, "le cas" Chris Ware à fait loi et maintenant la plupart des éditeurs français font leur livre à l’identique (Ware, Burns, Abel, Tomine, Matt...), ce qui est évidemment une bonne chose vu leur manque total d’idée quand à la question de l’objet "livre", quand aux autres ils continuent à les massacrer (Pope, Chester Brown, Joe Matt aux humanos...), c’est malheureux, et je reproche ce manque de "réflexion" sur le livre, je ne puis être d’accord avec vous pour distribuer des lauriers là où il n’y a que manque de réflexion et facilité... et quand je parle de "facilité" je ne parle pas d’oeuvre, mais seulement d’édition.
        Quand aux lauriers internationaux d’Angoulême, je trouve encore qu’il aurait été juste de récompenser il y a "10 ans" Fantagraphic Books pour son travail avec Chris Ware ou Burns plutot que Delcourt, encore une fois je parle de volonté d’être INTERNATIONAL... de mettre tout les éditeurs à niveau au lieu de jouer la carte de l’opportunisme quand les prix se rapprochent...

        Bien à vous et merci pour cet échange.

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        • Répondu par François Peneaud le 18 décembre 2007 à  20:26 :

          Oh, je ne dis pas qu’un petit éditeur devrait avoir droit à plus d’indulgence, mais simplement que ce livre a dû nécessiter pas mal de moyens (et donc une prise de risques) pour arriver à cette qualité technique. Fantagraphics, sans être Marvel ou DC, a quand même plus de ressources, il me semble. Mais je me trompe peut-être.

          Quant au "massacre" de la part d’autres éditeurs, évitons les généralités. La version française du Marquis de Guy Davis chez Les Humanos est par exemple vraiment, vraiment superbe, sans être du tout identique à la VO.

          Pour Angoulême, votre suggestion, aussi attirante soit-elle, me semble peu pratique. Mais pourquoi pas ? Faisons une grande expo à Angoulême sur D&Q ou Image, ça serait instructif.

          Et cet échange serait encore plus agréable pour moi si vous utilisiez votre nom :)

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  • j’espère pour ma part,que l’éditeur produira la suite dans ce même style au charme désuet si agréable et qui qui fait qu’on est encore
    plus agéablement surpris par le contenu.

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