Linda Medley est une auteure qui ne lâche pas le morceau : avant d’arriver à la publication de ce volume de 450 pages, elle auto-publia en 1996 une première histoire, vit Jeff Smith (Bone) sortir plusieurs numéros de la série sous son label Cartoon Books, s’auto-publia à nouveau, pour enfin réapparaître après plusieurs années d’absence chez Fantagraphics en 2006, avec cette superbe collection et une suite à la série, qui rencontrent toutes deux un vrai succès critique et commercial. Comme quoi, les « Ils vécurent heureux et eurent beaucoup de comics », ça arrive aussi dans la réalité.
Château l’Attente (très jolie traduction du Castle Waiting d’origine) ne raconte pas une seule histoire, mais une collection d’histoires complètes, certaines toutes nouvelles, d’autres étant des reprises de contes connus. D’ailleurs, la première partie de l’album, intitulée La Malédiction de la muraille d’épines, est une revisitation de La Belle au bois dormant qui, contrairement aux versions connues, prend le parti de mettre en avant des personnages secondaires, comme les dames de compagnie de la princesse maudite. Le château de la Belle acquiert lui-même une importance certaine, puisqu’après le réveil et le départ de celle-ci, il devient ce Château l’Attente, qui se mue en un hâvre de paix pour toute une ribambelle de personnages marqués par diverses tragédies. C’est ainsi qu’arrive un jour la dame Jaine, enceinte jusqu’aux dents et fuyant son mari violent. Elle y rencontre les trois dames de compagnies grandement vieillies, Rackham, l’intendant cigogne, Henry, le taciturne forgeron au cœur encerclé de fer, Chess, le chevalier cheval, Sœur Paix, de l’étonnant ordre des Sollicitines, et bien d’autres personnages, dans un univers où se mêlent humains, animaux anthropomorphes et créatures fantastiques.
Tous ces personnages vont se raconter leur histoire, dans une mise en abyme qui nous replonge dans l’ambiance des contes de notre enfance... mais avec une différence certaine : nombre de ces histoires donnent la parole à des personnages féminins qui ont eu à pâtir de la brutalité de leurs pères ou maris. Les Sollicitines elles-mêmes, qui font l’objet d’une longue partie racontant l’origine de leur couvent, rassemblent des femmes à barbe qui œuvrent pour redonner leur dignité à des femmes rejetées par leur entourage, à l’image de leur sainte barbue et crucifiée.
L’aspect féministe du travail de Linda Medley est donc évident, et il est complété par la présence de belles romances, où hommes et femmes d’origines très diverses trouvent l’âme-sœur - certaines Sollicitines elles-mêmes quittant leur couvent pour vivre leur amour. Si Medley utilise et intègre une imagerie chrétienne où pullulent les démons et où le Bien et le Mal sont une thématique d’importance, elle construit également ses histoires selon des schémas bien plus contemporains, comme ceux d’un questionnement de l’image des sorcières, femmes à pouvoir, un jour vénérées et le lendemain persécutées. Un bel équilibre entre tradition et modernité.
Cet équilibre se retrouve dans le dessin de Medley, qui semble être au confluent d’illustrateurs classiques et de la BD moderne. Détaillé mais jamais lourd, très lisible mais jamais simpliste, le style de l’auteure convient à merveille à ces histoires où le lecteur déambule tranquillement, avec au fur et à mesure cette impression grandissante si agréable de se faire des amis que l’on prend à retrouver le soir au coin du feu.
Château l’Attente (l’album et la série) a bien mérité les distinctions reçues : bourse Xeric en 1996 (une aide à l’auto-publication), « meilleure nouvelle série » et « talent méritant une plus large reconnaissance » aux Eisner Awards de 1998, inclusion dans la liste des meilleures BD de 2006 par le Publisher’s Weekly, et maintenant une nomination aux Essentiels d’Angoulême 2008. L’éditeur français a lui aussi réalisé un très joli travail, avec une présentation rappelant celle des vieux livres, signet compris. Signalons qu’une deuxième collection est prévue aux USA pour l’année prochaine (neuf numéros sont parus depuis 2006), on peut donc espérer une traduction prochaine de cette série au charme persistant.
(par François Peneaud)
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