Le grand public se souvient de son esclandre chez Polack lorsque, imbibé et titubant, il s’était mis à déverser une bordée de gros mots choquant le bourgeois, tandis que l’animateur riait sous cape. Un grand moment de service public. Cependant, on doit plus que cette franche rigolade à cet ancien para d’Indochine, qui avait gardé le goût pour l’outrance et la gaudriole propre à l’humour troupier. Ancien directeur des ventes pour le magazine Zéro, il se tire bientôt avec quelques-uns de ses collaborateurs, parmi lesquels Fred, Cabu, Topor et Cavanna pour fonder en 1960 un journal d’un genre nouveau, Hara Kiri, un journal « bête et méchant ». Il prend le pseudo du Professeur Choron, en souvenir d’une rue du 9ème arrondissement de Paris qui porte ce nom.
Un mort !
Le ton de ce nouveau périodique est anar au possible. Il renoue avec les meilleurs moments de l’histoire de la presse satirique française, celle du Charivari, du Grelot, ou de L’Assiette au Beurre. Mais la ligne est décapante et agressive, et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle fait tache dans la France Pompidolienno-Gaulliste des années 60. Les interdictions pleuvent ; les amendes aussi, comme au bon vieux temps de Louis-Philippe ou de l’Ordre moral. Huit jours avant la mort de De Gaulle, une discothèque flambait, tuant une poignée de jeunes coincés comme des rats, faute de sécurité. Quand l’Homme du 18 juin décéda (on notera que passer l’arme à gauche est souvent fatal pour un militaire de droite), Hara Kiri Hebdo titra : « Bal tragique à Colombey-les-deux-Eglises : Un mort ». Le gouvernement de Pompidou utilisa aussitôt la scélérate Loi pour la Protection de la jeunesse de 1949 pour interdire l’hebdomadaire.
Qu’il crève !
Pour l’équipe d’Hara Kiri, cette interdiction est un triomphe. La jeunesse de mai 68 se reconnaît immédiatement dans ces saillies subversives mêlant humour, sexe et mauvais goût. Au passage, le magazine invente une forme nouvelle et moderne de presse satirique qui n’hésite pas à se moquer du consumérisme : « Si vous ne pouvez pas vous acheter Hara Kiri, disait le journal, volez-le ! ». Quant à ceux qui ne s’abonnaient pas au journal en sachant qu’ils avaient tort de ne pas le faire, le Professeur Choron leur décochait, péremptoire : « Qu’ils crèvent ! ». Du creuset de cet humour sortira une nouvelle génération d’auteurs. « L’humour crade » fut même consacré à Angoulême, avec l’accession de Philippe Vuillemin, sans doute son héritier spirituel, à la dignité de Grand Prix. Autre signe de consécration : l’un des dessinateurs stars de Charlie Hebdo, Georges Wolinski, venait de recevoir la Légion d’Honneur. C’en était trop sans doute pour le père de la comédienne Michelle Bernier. Il doit être mort de rire.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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