Comment ce livre est-il venu à vous ?
Bertrand Pissavy-Yvernault : Nous étions chroniqueurs pour des journaux spécialisés en BD et en discutant avec le dessinateur Régis Loisel, il nous parle de cet Yvan Delporte « qui avait eu un lion ».
Christelle Pissavy-Yvernault : Il le disait d’une telle façon qu’on sentait qu’il aimerait savoir si c’était vrai et en savoir encore plus. Il a été convaincant.
Ca ne suffit pas pour faire un livre… Est-ce que Delporte était un sujet suffisamment « bankable » pour que cela intéresse un éditeur ?
CPV : C’est au départ un dossier pour DBD. Nous avons évoqué de faire un dossier sur Le Trombone illustré. Quand on a rencontré Delporte, puis Frédéric Jannin, etc., on s’est dit qu’on ne pouvait pas s’arrêter là. Cela devenait trop important pour DBD. Loisel s’est proposé de le publier dans sa petite maison d’édition, Granit.
BPV : Il y avait une part d’inconscience, aussi bien de la part de Loisel que de la nôtre.
Le principe du livre, qui fonctionne avec des interviews à la fois de Delporte, mais aussi d’acteurs qui l’ont connu, des interventions chorales qui se répondent et se contredisent parfois, me fait penser au Métal Hurlant de Poussin et Marmonnier chez Denoël Graphic.
BPV : Je préfère la référence à L’Anthologie des Beatles dont il est inspiré. Nous ne nous sentions pas légitimes de parler à la place des gens, nous aurions interprété ce qu’ils nous avaient dit. On a de la chance d’avoir encore beaucoup de témoins à notre disposition, laissons-les parler, même si ils enjolivent la réalité et même si –cela fait le charme du livre, il y a quelques coups de griffes.
Quelle image vous laisse Delporte après cette enquête ?
CPV : Plus nous avancions dans ce livre, plus nous étions partagés entre nous dire « quel type incroyable ! » et « quel sale type ! ». Au final, il en reste que c’est un type qui était incroyable parce qu’il était contrasté, parce qu’il était capable d’être odieux. Il avait un rapport difficile avec les hommes, il jouait le personnage qu’il était. C’est pour cela qu’il était extraordinaire. A la question de savoir qui était Delporte ?, son ami Maurice Rosy répond qu’il n’était rien d’autre que ce qu’il laissait montrer. Au plus loin nous avons été dans son enfance, il était déjà Delporte.
BPV : C’est même fascinant. Il était déjà barbu avant même d’avoir la barbe !
CPV : Quand on lit son courrier à Hergé qu’il écrit en 1943 alors qu’il a quinze ans, il s’adresse à lui avec une incroyable impertinence…
Hergé le prend bien d’ailleurs…
CPV : Oui, il faut être Yvan Delporte pour faire ça.
C’est un autodidacte d’une immense culture. On est surpris de découvrir dans son parcours la chanteuse Barbara…
CPV : C’est le hasard d’une rencontre. Elle venait chanter à la Mansarde à Charleroi.
Il aurait bien pu ne pas s’y attacher
Maurice Rosy [ami d’enfance de Delporte] : Barbara m’avait téléphoné par l’intermédiaire d’une amie commune et m’a demandé si elle pouvait venir dormir chez moi. Mes parents ne l’imaginaient même pas. J’ai dit : « Non, ce sera difficile, mais j’ai un ami qui pourra peut-être vous aider ». Elle est allée dormir chez Yvan...
Qu’est-ce que Delporte apporte à Spirou ?
BPV : Charles Dupuis est resté longtemps le décisionnaire, le vrai rédacteur en chef du journal. Delporte avait cette faculté d’accompagner les dessinateurs, un peu comme une muse. On a d’ailleurs failli appeler le livre : « L’artiste sans œuvre », ce qui n’était pas tout à fait exact. Il était dans l’ombre et capable de stimuler la création.
CPV : Il était dingue, il avait une folie douce en lui. Rien ne lui faisait peur. Quand il faisait quelque chose, il le faisait dans la démesure.
C’est une autorité intellectuelle aussi. Il est coopté par les auteurs.
BPV : À vingt ans, il avait l’air d’un vieux sage. Charles Dupuis avait été séduit par son humour. Il était légitime en particulier auprès des « premiers de la classe ». On a d’ailleurs senti beaucoup d’amertume chez tous les gens qui étaient les « seconds couteaux » et qui ont souffert terriblement tant que Delporte était en place.
Dupuis l’aurait viré quatre fois…
BPV : Quand il dit cela, il fait sûrement référence à des épisodes qui se sont passés de façon informelle, sur le mode « Delporte, vous êtes viré ! ». Il a été viré en 1968, puis ensuite lors de l’épisode du Trombone, et au tout début alors qu’il n’est pas du tout à la rédaction, il est viré de la photogravure. La rivalité avec Thierry Martens l’a écarté du journal pendant près de dix ans.
Un livre aussi imposant chez Dupuis, c’est parce qu’on est à la recherche d’un esprit qui s’est un peu perdu ?
BPV : Nous avons été frappés par l’absence manifeste de passé chez Dupuis. Quand on arrive dans l’immeuble moderne de Marcinelle sans savoir ce qui a été fait chez Dupuis auparavant, on se dirait que l’on est dans n’importe quelle société commerciale. Il n’y a pas une photo de Gillain ou de Franquin, alors qu’il y a un passé extraordinaire. Cet ouvrage a peut-être été l’occasion pour l’éditeur de renouer avec ce passé.
Propos recueillis par Didier Pasamonik
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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