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Christophe Girard : "Aux beaux-arts de Lyon, on m’a appris à détester Matisse"

Par Thierry Lemaire le 5 octobre 2010                      Lien  
Christophe Girard est professeur à l’Ecole municipale d'arts plastiques de Nice et auteur de bande dessinée, ou peut-être le contraire. Son dernier album, Matisse Manga, explore la collection du musée niçois consacré au peintre, en partenariat avec l'établissement. Une initiative pour le moins originale dans un milieu des beaux-arts souvent frileux.
Christophe Girard : "Aux beaux-arts de Lyon, on m'a appris à détester Matisse"
Couverture de la Contre histoire de l’art par Christophe Girard
(c) Girard/Editions du point d’exclamation

Comment s’est monté ce projet ?
C’est une rencontre dans un train. J’étais dans le même wagon que l’assistante de la conservatrice du musée Matisse et j’étais en train de dessiner mon deuxième volume de la Contre histoire de l’art. On a discuté et mon rapport avec l’art l’a intéressée. Elle m’a demandé si je voulais faire une conférence ou une animation et moi je lui d’abord proposé de faire une petite exposition pour montrer mon travail dans un musée. Et puis j’ai suggéré d’en faire carrément un livre.

Et vous avez un intérêt particulier pour Matisse ?
Alors, ce qui est très intéressant, c’est qu’aux beaux-arts de Lyon, on m’a appris à détester Matisse. Parce que pour la majorité des professeurs, qui avait gardé une sensibilité un peu maoïste, c’est le symbole même de l’art bourgeois. Et on doit aimer Picasso, révolutionnaire communiste. Alors que c’est tout à fait le contraire. On est totalement dans une propagande mensongère. Donc, au départ, je n’avais aucune affinité avec Matisse. On m’a toujours dit que ce n’était pas intéressant. Et quand j’ai commencé à travailler sur Matisse, j’ai découvert un personnage au contraire révolutionnaire et beaucoup plus libre d’esprit que Picasso lui-même. Je me suis mis à aimer Matisse et j’ai découvert un personnage hors du commun. Et j’espère que mon livre servira à le faire découvrir.

Une page de la Contre histoire de l’art : 1260 av JC.
(c) Girard/Editions du point d’exclamation

Il n’y a pas d’intrigue dans votre BD, mais il y a un fil chronologique. Vous avez voulu dresser un panorama de la carrière de Matisse ?
Je ne suis pas un historien de l’art. J’ai voulu faire une biographie sensible. Plus passer par les sentiments que par les faits, pour toucher plus à l’homme. Je n’aime imposer un point de vue, même si je l’induis. J’invite le lecteur à penser.

Comment vous est venue la construction des pages ?
Cette façon de faire fait partie de mon travail habituel, comme pour la Contre histoire de l’art. J’ai commencé par l’œuvre dans la case centrale et puis j’ai voulu faire quelque chose d’organisé autour, un peu comme une partition musicale. J’ai d’ailleurs beaucoup pensé à Satie et Debussy, deux musiciens contemporains de Matisse. Et puis après, j’ai pensé aux prédelles de l’art gothique. Comme je voulais parler de Matisse lui-même, j’ai mis les citations dans cette base. Et enfin j’ai placé les personnages autour de la case centrale.

Page 47 de Matisse Manga. Au centre, La danseuse créole.
(c) Girard/Les enfants rouges

Et comment s’est opéré le "casting" des visiteurs ?
J’étais avec ma planche à dessin dans le musée et je dessinais en direct. Si les gens ne bougeaient pas trop, j’étais à côté d’eux, je les observais. Et puis s’ils bougeaient, parfois je les suivais. C’est un dessin très rapide. Après, il y a tout le travail de hachures fait à la maison, mais le croquis de base est fait en 10 ou 15 secondes. Il n’y a aucun travail d’imagination, c’est vraiment un travail journalistique.

L’original de La danseuse créole.
(c) Succession Henri Matisse

Et vous avez eu carte blanche du musée pour faire comme vous vouliez ?
Oui, et ils étaient d’ailleurs un peu angoissés de voir ce que j’allais faire. Avec les héritiers Matisse, il y a eu de longues discussions sur la philosophie du projet. Ils ont le souci de protéger l’image de Matisse et ils avaient de grandes appréhensions par rapport à la bande dessinée. Finalement, ils en sont très contents. On m’a même rapporté que le petit-fils de Matisse a dit que j’étais l’artiste qui avait le mieux compris Matisse depuis 50 ans.

Alors que Matisse est fameux pour ses couleurs, la BD est en noir et blanc. Pourquoi ?
C’était une exigence des héritiers. Ils avaient peur que le dessin se rapproche trop de l’original, que ce soit une sorte de plagiat. Même chose pour la couverture. Au départ, elle devait être colorée.

Matisse Manga
(c) Girard/Les enfants rouges

En ce qui concerne la couverture, elle est beaucoup plus travaillée que les dessins intérieurs.
Je voulais quelque chose qui percute. C’est travaillé au stylo bille comme tout à l’intérieur. J’ai eu un commentaire d’un ami qui m’a dit « on dirait Trotski ». (rires) Matisse n’a jamais adhéré à aucun parti, mais jusqu’à Staline, il avait une certaine admiration pour l’Union soviétique. Il a d’ailleurs été un des premiers à s’apercevoir de la dictature qui s’installait. Je voulais retranscrire un peu l’aspect bolchevique le couteau entre les dents. J’ai trouvé cette photo d’époque, déterminé avec sa pipe entre les dents. Pour moi, la couverture est un résumé du livre.

Et puis alors, dans le style provoc, il y a le titre. Parce que accoler Matisse et Manga…
C’était d’abord une manière de remoderniser Matisse. Il n’est pas traité à sa juste valeur. J’ai voulu par ce titre le remettre dans notre époque. Et puis c’est un hommage au dessin japonais, qu’il aimait particulièrement aussi, notamment Hokusai. Il a eu d’ailleurs un des exemplaires du manga d’Hokusai. Et puis comme, pour moi, j’ai réalisé cet album à la manière d’Hokusai, c’était vraiment une évidence. Mais je suis conscient de la provocation. C’est fait pour poser question.

Page 50 de Matisse Manga.
(c) Girard/Les enfants rouges

Pour conclure, pouvez-vous nous parler de vos prochains projets ?
J’ai une adaptation du Metropolis de Fritz Lang qui va sortir en septembre prochain aux Enfants rouges et j’espère pouvoir sortir le second tome de la Contre histoire de l’art aux éditions du point d’exclamation. En ce moment, je travaille avec une scénariste libanaise sur la guerre du Liban. Et puis j’ai encore plein d’autres projets en gestation qui vont me tenir en haleine pendant quelques années.

(par Thierry Lemaire)

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