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Christophe Lemaire (directeur éditorial de SEEBD) : "Aujourd’hui, le gâteau, même s’il est important, s’est réduit pour tout le monde"

Par Baptiste Gilleron le 9 février 2007                      Lien  
En 2003, SEEBD se lançait dans l'édition de manhwas avec son label Tokebi, suivi de près par le label féminin Saphira. Aujourd'hui, SEEBD compte donc deux collections de mangas et deux de manhwas. Lors du festival d'Angoulême, nous avons rencontré Christophe Lemaire, son directeur éditorial, afin de faire le point sur leur position actuelle et sur l'état du marché.

Pourquoi avez vous fait le choix d’éditer de la bande dessinée coréenne ?

Lorsqu’en 2002, j’ai commencé à travailler sur des achats de licences, je me suis vite rendu compte que le marché du manga shonen était assez saturé et occupé par des gros éditeurs, comme Kana par exemple. De cet état de fait, j’ai voulu donner une orientation plus adulte, donc je me suis tourné vers le seinen. Au fil de mes différents voyages, notamment à Francfort en 2002, j’ai découvert qu’il y avait un marché coréen de bande dessinée assez important, et qu’il n’était pas du tout exploité. On en avait d’ailleurs eu un aperçu à Angoulême lorsqu’ils avaient été invités. Je me suis donc rendu en Corée et j’ai découvert que le marché était en fait vraiment très important là bas, presque autant qu’au Japon, et que ça n’était pas, ou très peu, connu chez nous. Je me souviens qu’il y avait eu un ou deux manhwas qui étaient sortis chez Kana, il y a plus de dix ans maintenant, mais ça n’avait pas marché. Donc quand j’ai découvert le manhwa, forcément, ça m’a semblé très intéressant.

Christophe Lemaire (directeur éditorial de SEEBD) : "Aujourd'hui, le gâteau, même s'il est important, s'est réduit pour tout le monde"
Chonchu, un des piliers de Tokebi

Nous savons donc que le marché coréen a une place non négligeable en Asie, mais quelle est la position du manhwa actuellement sur le territoire français ?

En fait, lorsque nous avons commencé en 2003 à éditer les premiers manhwas, comme je le disais il n’y avait quasiment rien sur le marché, donc on a été au démarrage du manhwa en France. C’est vrai qu’on a sorti au départ beaucoup de titres parce qu’on voulait installer le manhwa et le faire connaître, donc nous n’avons pas forcément toujours fait que des bons choix en ce qui concerne les titres, notamment au début. Je pense à des séries comme Omega ou Hunter pour lesquelles, avec le recul, je me rends compte qu’elles n’étaient pas forcément très intéressantes. Mais ensuite, sur d’autres séries comme Chonchu, Yureka, Priest et j’en passe, il y a eu un réel intérêt de la part des lecteurs puisque certaines séries ont dépassé les 30.000 exemplaires vendus.

Donc je pense qu’il y a eu un vrai succès d’estime de la part des lecteurs, bien qu’on ait en France un noyau dur d’otakus [1] qui sont anti-manhwa et qui prônent le manga pur et dur. Ça les regarde. Mais ce que nous voulions montrer, en tout cas en 2003, c’est qu’en Asie, il n’y a pas que le manga. Il y avait le manhwa et aujourd’hui on s’est rendu compte depuis peu qu’il y avait aussi de la BD chinoise, taiwanaise, et d’autres, et je pense que tout cela fait partie d’un même univers : autant les Japonais ne connaissent pas vraiment d’autres BD asiatiques, autant les Coréens connaissent le manga, la BD taiwanaise et la BD chinoise. Donc aujourd’hui ce que je peux dire par rapport au marché français c’est que le manhwa a pris sa place. Je pense que ça doit représenter 10 à 15% de l’ensemble des ventes de BD asiatiques en France. C’est sûr que ça n’est pas encore au niveau du manga, mais de toute façon ce qu’il manque au manhwa c’est le merchandising qu’on peut avoir autour de la BD japonaise, à savoir les animations, et toute l’exploitation commerciale qui en découle. Il y a tout un marketing autour des mangas qu’il n’y a pas dans le manhwa.

Model, l’une des séries phares du label Saphira

On peut donc dire que SEEBD est en position de force sur le marché du manhwa en France ?

Oui, on peut dire ça, mais ça n’est pas spécialement le but recherché. Ce qu’on voulait, c’était faire connaître le manhwa. De plus, je suis particulièrement attaché à la Corée qui est un beau pays, avec des gens très accueillants et une histoire assez importante également, donc c’est un pays qui compte beaucoup pour moi. Alors, effectivement, nous sommes les premiers éditeurs de manhwa en France, mais il y en a d’autres qui s’y intéressent et je trouve cela très bien.

Pourriez-vous nous parler un peu des difficultés de négociation que vous rencontrez actuellement ?

Nous ne devons pas être les seuls à connaître ces difficultés. Ce qui se passe aujourd’hui, c’est que lorsqu’on a commencé, on devait être 7 ou 8 à faire de la BD asiatique, il y a maintenant 5 ans. Donc, c’était un marché qui ne demandait qu’à se développer. Aujourd’hui, le marché a explosé. J’ai entendu dire qu’en 2006 il y avait eu 58 éditeurs qui avaient fait du manga ou de la BD asiatique en général. Ce qui est certain c’est que le gâteau, même s’il est important, s’est réduit pour tout le monde. On a des séries qui de ce fait se vendent moins. C’est beaucoup plus difficile aujourd’hui de lancer un nouveau titre, et sur des séries qui étaient moyennes en terme de ventes, il devient maintenant très difficile d’obtenir une rentabilité. Donc évidemment, éditeur, c’est un métier, on est tous là pour gagner sa vie, nous ne sommes pas là pour faire du mécénat. Quand on a une série dont les ventes baissent, on essaie de renégocier les conditions pour rechercher la rentabilité qui nous manque, et si nous n’y arrivons pas c’est la mort de la série. C’est toute la problèmatique des soucis de négociation que nous connaissons actuellement.

Le stand de Seebd au festival d’Angoulême 2007
photo © B. Gilleron

Il est vrai que les éditeurs japonais sont connus pour être durs en affaire. Est-ce identique en Corée ?

Oui, je pense que, de toute façon, tout éditeur qu’il soit japonais, coréen, français, ou autre, défend d’abord ses intérêts et ceux de ses auteurs. Donc évidemment, ça sera toujours dans le sens de tirer le maximum d’argent de la licence. Je dirais que quelquepart c’est assez logique. Le tout étant de trouver un terrain d’accord.

J’ajouterais en substance que nous avons également une autre volonté : celle de réduire notre production. Il est vrai qu’avec le fait d’avoir lancé de façon importante le manhwa depuis 2003, nous étions arrivés à un niveau de production conséquent puisqu’on a eu des mois avec 24 nouvelles sorties. Ce qui est certain, c’est qu’aujourd’hui on ne peut plus se permettre de continuer sur ce rythme. Il y a énormément de monde sur le marché et le lecteur ne peut pas tout acheter, donc ça ne sert à rien de sortir des titres qui ne sont même plus visibles chez certains libraires. Nous réduisons donc actuellement la production : on va ralentir le rythme de certaines séries et nous allons nous attacher à avoir un niveau de l’ordre de 12 nouveautés par mois. Ce qu’on a déjà commencé depuis janvier 2007, avec quelques ratés puisque sur ce mois-là nous n’avons eu que six nouveautés. Mais on démarre sur février, mars et les mois suivants avec une base d’une douzaine d’albums.

Cela sème un peu le trouble dans les esprits. On entend dire et on peut lire sur certains sites tout et n’importe quoi sur SEEBD. Mais notre situation est maitrisée et nous avons déjà annoncé aux libraires, il y a quelques mois, que nous allions baisser la production. C’était déjà prévu, donc ça n’est pas quelque chose qui arrive comme un cheveu dans la soupe.

(par Baptiste Gilleron)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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En médaillon : Christophe Lemaire- Photo : Laurent Melikian.

[1Grands fans de la culture manga.

 
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