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Comment les mangas ont envahi la Pologne

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 9 mai 2005                      Lien  
Où en est la bataille entre la BD franco-belge, la BD américaine et les mangas, notamment japonais ? Elle fait rage dans le monde. Quand on regarde comment les mangas japonais ont envahi les librairies polonaises en l'espace de trois ans, on peut se demander comment leur situation va évoluer dans nos pays à l'avenir.

La Pologne vient d’entrer dans la communauté européenne. Elle en est très fière. Le pays n’est pas encore converti à l’euro (on compte encore en zlotys), mais les entrepreneurs polonais ont conscience qu’ils ont une chance unique pour se développer. Ils le font, et chez eux. Contrairement à ce qu’avaient prévu certaines vigies, les Polonais ne déferlent pas en France. Au contraire, ils développent leurs propres activités avec un dynamisme et une vigueur qui font blêmir plus d’un gouvernement occidental. A Varsovie, les buildings poussent comme champignons à Manhattan et, depuis trois ans, la BD a pris dans le pays une envolée incroyable avec un marché qui a doublé en deux ans et des points de vente qui ont tendance à se créer dans toutes les villes importantes. Le fandom est dynamique, multipliant les expositions dans les vitrines des grands magasins (comme à Varsovie dans la rue Nowy Swiat ces jours-ci), dans des festivals de BD comme celui de Lodz en octobre/novembre, ou encore dans des lieux institutionnels comme dans la galerie BWA Awangardia de Wroclaw en janvier 2005, ou encore au centre japonais Manggha de Cracovie en mars dernier, où Joann Sfar et Blutch côtoyaient des artistes polonais sur les cimaises.

Comment les mangas ont envahi la Pologne
Dans les étalages polonais
la BD européenne n’a plus que 20% des linéaires.

Une croissance presque entièrement due aux mangas

Pourtant, cette croissance n’est pas due aux BD américaines, ni aux BD franco-belges. Le fils du pays Grzegrorz Rosinski (en polonais, prononcez : « Rochinski ») a fait avec le dernier album de Thorgal, Kriss de Valnor, une vente de 30.000 exemplaires. « C’est plus de dix fois la vente d’un album de BD normal » constate le libraire de Komikslandia, le point de vente spécialisé le plus fréquenté de Pologne, situé au cœur de la station de métro Central à Varsovie.

Mais la réalité n’est pas là. Aujourd’hui, la BD franco-belge pèse seulement 20% du marché et est en très fort recul, avec des séries traduites assez diversifiées où Bilal partage les rayonnages avec Astérix, Lucky Luke, Peter Pan,Trolls de Troy, mais aussi avec le best-seller espagnol Mortadel & Philémon. La BD européenne domine d’une tête la BD américaine qui ne pèse que 10% du marché et la BD polonaise balbutiante.

C’est en fait la BD japonaise qui se taille la part du lion avec 70% des ventes, faisant croître le marché de 100% en trois ans. Cette primauté de la BD japonaise est déjà vraie aujourd’hui en Allemagne. Ses parts de marché augmentent aussi de façon exponentielle en Italie, en Espagne, en France et même aux Etats-unis, sans pour autant étouffer la création nationale . Mais sur des marchés émergents comme la Pologne, on n’aurait jamais cru que cela prenne de telles proportions.

Des éditeurs polono-japonais

Kenshin
publié en polonais par Egmont Polska

Comment expliquer ce succès ? Par la présence de ces BD sur les écrans de télé de dessins animés d’origine japonaise ? Même pas. Naruto et Neon Genesis Evangelion, qui se taillent chacun 10% du marché, n’ont pas de série télé pour la première et juste seulement 26 épisodes de 26 minutes pour soutenir la seconde, pas même adaptés en polonais. Non, la raison est que les deux principaux éditeurs de mangas en Pologne sont japonais. Ainsi Japonica Polonica Fantastica, alias JPF (éditeur de Naruto, Dr Slump, Neo Genesis Evangelion, Oh, My Goddess, Akira..., comme de la série de Manwha Hellsing...) appartient-il à M. Shin Yasuda. De même, son compétiteur Waneko (éditeur de GTO, Video Girl Aï,...) est la propriété de M. Kenichiro Watanuki marié à une polonaise, Aleksandra Watanuki, tandis que dans son staff officie Martyna Taniguchi, également épouse d’un Japonais.

Face à eux, le groupe danois Egmont publie quelques mangas (50% de son catalogue) et quelques BD franco-belges, ainsi que des publications Disney, au rythme de 10 nouveautés par mois. Un éditeur comme Mandragora publie majoritairement des BD américaines (Spawn, Wolverine, Star Wars...) et quelques auteurs polonais comme Krzysztof Gawronkiewicz et Grzegorz Janusz, les lauréats du concours Arte/Glénat pour Essence.

Expo Komiks à Cracovie
au Centre Manggha en février 2005.

Tandis que le suédois Semic, éditeur traditionnel de comics US dès le début des années 90, a déserté le marché, comme en France et dans plusieurs pays d’Europe.

Telle est la situation de la BD en Pologne. Le point positif, c’est que le marché du manga va peut-être populariser la BD en tant que genre et ouvrir l’appétit des lecteurs polonais pour nos créations occidentales. Mais il faudrait peut-être pour cela que nous reconsidérions le standard extrêmement coûteux de nos produits et, peut-être, notre approche des marchés étrangers où l’on se montre moins agressifs que nos compétiteurs japonais qui n’hésitent pas à prendre femme en Pologne pour imposer leurs produits. Responsables de droits des éditeurs français, vous savez ce qu’il vous reste à faire !

Komickslandia
Le plus important libraire spécialisé en BD de Varsovie

Plus sérieusement, ces avancées de la BD japonaise posent question. En France, le paysage éditorial du manga est en pleine recomposition, les opérateurs japonais cherchent, paraît-il, à entrer directement sur le marché, au travers d’une filiale propre, à l’exemple de Panini. En ce moment, c’est le round d’observation. Mais il nous pend au nez que les principaux éditeurs de BD français se voient un jour concurrencés, voire dépassés, par des éditeurs étrangers. Pour les Japonais, dont la puissance capitalistique du monde de l’édition est infiniment plus importante que la nôtre (voir notre article sur La BD franco-belge dans le monde), c’est un objectif raisonnable.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

En médaillon : Le Palais de la Culture de Varsovie, monument soviétique offert aux polonais par Staline. Photos : D. Pasamonik.

 
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1 Message :
  • > Comment les mangas ont envahi la Pologne
    9 mai 2005 18:38, par effer

    C’est normal, le Japon est le plus gros producteur de BD au monde par les tirages et la diversité des sujets traités. En plus ils visent tous les publics.
    Si la BD européenne en faisait autant, et cessait de se regarder le nombril en produisant des clônes de séries qui marchent, il s’en vendrait plus.
    Effer

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