Commençons par les sujets qui fâchent : tout d’abord, plusieurs pages de l’album sont clairement scannées, les couleurs étant affadies et les traits légèrement flous. Pour une BD qui date de 1991 et qui est toujours disponible aux États-Unis, cela semble étrange ; ensuite, encore une fois, le public français a droit à une traduction manifestement faite par-dessus la jambe. Approximations, coquilles, faux sens et même contresens se rencontrent un peu trop souvent. Nous n’en ferons pas la liste (cela dit, de grâce, que quelqu’un explique à la traductrice que "opportunity" ne se traduit pas par "opportunité"), mais toutes ces erreurs perturbent vraiment la lecture et ne sont pas dignes d’une BD de cette qualité, ni d’ailleurs d’un éditeur qui semble vouloir faire des efforts pour présenter de vraies œuvres d’auteur - mais qui n’a cependant pas jugé bon de traduire les textes accompagnant les doubles pages terminant chacun des épisodes, ni d’inclure la dernière (qui n’ajoutait rien à la narration principale, heureusement), on peut penser pour une question de pagination.
Venons-en au contenu de l’album : malgré sa célébrité, Concrete ne roule pas sur l’or, et quand l’offre lui est faite de participer aux Souverains de l’omnivers, un film fantastique, il n’hésite pas à sauter sur l’occasion. Mais à la condition qu’il n’apparaisse pas devant la caméra : son rôle se bornera à jouer les gros bras pour les équipes d’effets spéciaux et de décors, ce qui ne plaît pas trop au responsable des dits effets. L’argent économisé par la venue de Concrete sera autant de moins qui passera entre ses mains...
Paul Chadwick a lui-même participé à plusieurs films pendant quelques années, entre autres comme artiste de story-board. Mais il n’a pas mis les pieds sur le tournage des Maîtres de l’univers, dont est manifestement inspiré celui auquel Concrete va prendre part. L’acteur principal de ce film est quant à lui un mélange entre Arnold Schwarzenegger et Dolf Lundgren (pour la blondeur de la tignasse), celui-ci ayant joué Musclor dans le vrai film (ah, Lundgren en petite tenue qui se prend pour Conan...).
Autre référence évidente : le directeur artistique est une version fictive de William Stout, célèbre illustrateur américain (par exemple pour ses saisissantes et réalistes peintures de dinosaures) qui a, en fait, participé au film de Conan le barbare. Chadwick s’est donc amusé à mélanger faits et personnages réels pour en tirer une histoire à la frontière entre réalité et fiction.
Si un film tiré d’une ligne de jouets semble être un contexte bien léger, tout le talent de Chadwick réside dans sa capacité à créer des conflits et des rapports humains qui touchent le lecteur, mais aussi à montrer que même sur un projet qui n’a a priori par grand chose d’artistique, des gens talentueux arrivent à faire naître de la beauté. C’est là un des thèmes principaux de Concrete : la vie, dans toutes ses manifestations, est beauté. Ce n’est sûrement pas Maureen Vonnegut, la scientifique chargée de l’étude du corps extraterrestre de Concrete, qui nous contredirait. Une sous-intrigue la met en scène, pour une relation avec un scientifique iconoclaste mal vu par son pays, dangereuse pour la carrière de Maureen. Amour, amitié, envie et solidarité sont eux aussi des thèmes universels que Chadwick intègre à son histoire.
Son dessin, un peu plus tremblé que celui que les lecteurs français ont découvert sur Étrange Armure, le précédent album publié aux USA en 1997, est une merveille de finesse et de légèreté. Chadwick est un illustrateur dans ce que le terme a de plus noble, de plus évocateur.
Fragile Créature, le titre de cet album, est une belle image évoquant à la fois l’existence humaine et toutes nos entreprises, qu’elles soient professionnelles ou amoureuses. Et Concrete, pour solide que soit son corps, n’est pas le moins touché par cette sensation de fugacité qui donne tout leur prix aux bons moments.
(par François Peneaud)
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