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Convard & Thibert : « Kaplan et Masson sont plus qu’un clin d’œil à Blake & Mortimer »

Par Charles-Louis Detournay le 6 janvier 2010               Kaplan et Masson sont plus qu’un clin d’œil à Blake & Mortimer »" data-toggle="tooltip" data-placement="top" title="Linkedin">       Lien  
Sur les traces du célèbre duo anglais, un scientifique et un colonel des services secrets français unissent leurs connaissances pour déjouer un sombre complot. Humour, personnages bien campés, hommage aux films des années cinquante : cette série a tout pour devenir une référence !

Il y a quelques semaines, les librairies accueillaient un nouveau couple d’enquêteurs basé au cœur des années 1950. Dans un style résolument rétro, Kaplan & Masson est autant une série hommage aux films d’après-guerre, qu’un nouveau duo aussi détonant que 100% français.

Si l’auteur de Neige, de Vinci, de Tanâtos et du Triangle Secret est bien connu des lecteurs, le dessinateur Jean-Christophe Thibert l’est sans doute un peu moins. Il avait pourtant fourni un superbe travail pour les deux tomes du Marteau des Sorcières, une série de la Loge Noire, justement la collection de Didier Convard, mais le temps de parution entre chaque album en avait plombé la réussite commerciale. Voici donc une juste revanche avec une série de polars dynamique et légèrement parodique.

En toute franchise, j’ai accueilli Kaplan et Masson avec un peu de déception, car cet album signifiait la mort du Marteau des Sorcières !

Convard & Thibert : « <i>Kaplan et Masson</i> sont plus qu'un clin d'œil à <i>Blake & Mortimer</i> »Thibert : Oui, mais cette série nous demandait beaucoup de travail à Siro et moi-même. Ainsi, je consacrais une année entière par album rien que pour la mise en couleurs. Puis étant illustrateur à la base, j’ai appris le travail de dessinateur en réalisant ces premiers travaux. Donc, cinq ans pour deux albums, j’en suis sorti lessivé autant financièrement que physiquement.

Convard : Sans être une mauvaise vente, cela n’a effectivement pas été l’envolée espérée. Les critiques étaient unanimes, mais les ventes n’ont pas suivi. Peut-être à cause du délai de publication entre les deux albums. D’un commun accord, nous avons donc tous décidés de terminer cette série.

Thibert : Je voudrais préciser que j’ai toujours été fort supporté par Didier et Jacques Glénat. Si Siro et moi avions voulu en réaliser un troisième, ils auraient donné leur accord. Mais sans l’envie, ils étaient temps que l’on arrête.

Donc, cette décision prise, c’est vous, Didier Convard, qui relancez Jean-Christophe Thibert ?

Convard : J’avais effectivement déjà écrit un synopsis très abouti de Kaplan & Masson. Ce projet était dans mes dossiers depuis quelques années, et je désirais trouver un dessinateur ‘ligne claire’ pour le mettre en scène. Jean-Christophe était tenté, mais il nous fallait définir le style de la série ; nous ne voulions pas une ligne claire pastiche, mais il fallait un trait qui allie l’hommage tout en restant moderne. Nous avons donc travaillé tout cela pour donner une grande homogénéité à l’ensemble de l’album.

Thibert : Didier a tout de suite remarqué dans le Marteau des Sorcières, que derrière le travail important de couleurs, il y avait une ligne claire. Déjà à l’époque, par boutade, Didier me disait que je ferais un jour un Blake & Mortimer. Je rigolais, car si j’avais été un lecteur de ce type d’albums, je me dirigeais à ce moment-là vers des styles plus picturaux.

Convard : Avec Franck Marguin, directeur de la collection Grafica, nous avons beaucoup travaillé pour poser le choix de l’intrigue, des caractères de personnages, de l’époque, du dessin bien entendu, mais aussi des couleurs. Nous souhaitons une grande homogénéité pour cette série originale : oui à la ligne claire, mais nous voulions éviter le pastiche pour jouer sur l’humour, le mouvement, le choix de sujets. Nous avons ainsi mis l’accent sur des personnages bien incarnés, humains : ils fument, boivent de l’alcool, et font même l’amour.

Kaplan et Masson sont tout de même respectivement scientifique et colonel de services secrets. Difficile de ne pas faire le lien avec Blake & Mortimer !

Convard : C’est un clin d’œil assumé, mais on s’arrête là car leurs personnalités n’ont rien à voir avec leurs homologues britanniques. Ce sont des Français pures souches, avec cette caractérisation d’humour et de mœurs. Une façon de dire que la bande dessinée a évolué, qu’on peut toujours faire de la ligne claire, et raconter les aventures d’un colonel et d’un scientifique sans combattre Olrik à chaque épisode !

Mais avant de prendre ce contre-pied, vous aviez pensé à cette intrigue pour Blake & Mortimer ?

Convard : A l’origine, j’ai collaboré à la Machination Voronov. Puis, il a été question que je fasse des scénarios originaux pour Blake & Mortimer, mais c’est finalement Yves Sente. Bien ou mal, c’est le lecteur qui juge. Kaplan & Masson sont surtout issus des films d’Hitchock, comme les Trente-neuf marches et la Mort aux trousses, tout en rajoutant tout le plaisir que j’avais retiré des films de Lino Ventura et Jean Gabin.

Thibert : Nous sommes tous deux très friands du patrimoine du cinéma français, de Jacques Tati à Georges Lautner. Nous évoquions souvent ces univers lors de nos rencontres, et cela ressort naturellement de certaines têtes de nos personnages.

Il vous a tout de même fallu réaliser un gros travail de recherche pour retranscrire ainsi les années 1950 ?

Thibert : L’album s’est globalement réalisé dans l’enthousiasme, et je pense que cela se ressent à la lecture. Le seul moment noir a été de se rendre compte que je commençais à manquer de documentation ! Je travaillais sur une planche pour rechercher l’uniforme des facteurs de l’époque, puis je me mettais à dessiner, puis je devais reconstituer un bar de l’époque, etc. Mon travail était donc très haché ! J’ai donc arrêté de dessiner pour réunir un très gros paquet d’informations : cinq mois de recherche pour amasser énormément de documents.

Convard : Si le récit est contemporain, nous avons tout de même réalisé une bande dessinée historique car dans notre quotidien, il ne reste rien des années 1950 ! Cette période forme un tout avec de la fin des années trente et les années quarante. Puis, au début des années soixante, le monde change brusquement : les formes de voitures, les tenues vestimentaires, etc.

Thibert : Effectivement, le vestiaire masculin a été fort travaillé : je voulais éviter toute approximation.


On peut également souligner le beau travail de couleur de Pixel Vengeur !

Convard : Alors qu’il avait lui-même réalisé une parodie de Blake & Mortimer avec Black & Mortamère, il a conservé son sérieux ! (rires) Il contribue fortement à la réussite de l’album, car nous avons beaucoup tâtonné pour en définir la palette des couleurs. Sous la direction de Franck Marguin, Pixel Vengeur a pu développer un style convenant à l’époque, tout n’écrasant pas le trait de Jean-Christophe

Thibert : Dans le prochain tome, intitulé Il faut sauver Hitler, je vais d’ailleurs épaissir légèrement l’encrage. Pour revenir à la genèse de ce premier tome, je ne devais pas l’encrer, mais les premières pages réalisées nous ont beaucoup déçus. À sept mois de la sortie de l’album, j’ai donc repris en catastrophe cette part du travail, en repartant des photocopies que j’avais heureusement conservées. J’ai donc encré sur ce format très fort agrandi, ce qui n’est pas vraiment pas ma tasse de thé, car je préfère travailler minutieusement sur une petite surface. En réduisant alors le travail, on voit que ce trait est devenu très fin, ce qui ne sera donc moins le cas pour le tome deux, car nous travaillerons plus ‘classiquement’.

En évoquant la suite de leurs aventures, on peut se demander si le charismatique personnage de Scott Lemon reviendra d’emblée dans le deuxième tome ?

Convard : Ce multimilliardaire ultra-maniaque reviendra, mais pas directement dans la prochaine aventure. Nous vous voulons d’abord bien placer Kaplan, Masson, son amie Line, et leur acolyte japonais Sensei Wasabei. À chaque fois, nous serons bien entendu confrontés à de nouveaux personnages, bons ou méchants. Certains ‘méchants‘ pourront revenir, mais nous désirons quitter l’aspect systématique de combattre le même ennemi, comme pour Lefranc ou Blake & Mortimer. Je trouve cela parfois un petit peu ‘ridicule’ de faire une histoire, tout en sachant toujours quel sera le ‘méchant’. Je voudrais éviter cet aspect guignol de savoir qui se cache toujours derrière le déguisement. On pourra donc créer de vrais personnages de ‘mauvais’, tout en descendant quelques uns, ce qui permettra de mettre en avant nos propres héros.

Thibert : Toujours dans un canevas très réaliste. Pas question de caricaturer des peuplades ou de créer de super-méchants. Comme pour nos deux premiers récits, nous désirons coller à de faits authentiques, tel Einstein qui est décédé très peu de temps avant que le mouvement anti-nucléaire ne prenne vraiment son expansion.

La tragédie de la bombe atomique hante le savant Bernstein

Convard : Je n’aime pas travailler avec des personnages désincarnés. Ce premier tome est donc un peu lent, car il fallait donner de la profondeur à nos héros. Heureusement, le travail de Jean-Christophe permet de capter l’attention du lecteur, grâce à ses prodigieux décors. Le décor planté, le deuxième tome contiendra donc bien plus d’action et d’humour.

Thibert : On tient tous les deux à ce punch qui doit caractériser la série ! La première scène du second tome ne déroule lors d’un match de boxe, et en quatre pages d’action, on replace les caractères de nos personnages principaux pour d’entrer attaquer l’aventure !

On peut supposer que le personnage de Line, secrétaire mais la nouvelle ‘relation’ de Masson, va prendre de l’épaisseur ?

Thibert : On nous a rapprochés d’être misogynes, car Line semble affublé d’un caractère restreint, bloqué dans son statut de secrétaire. Justement, dans les années 1950, le machisme était très présent, et nous ne voulons pas l’occulter en faisant de nos personnages des militants du MLF ! Bien sûr, il ne tient qu’à nous de faire de Line une femme qui puisse s’imposer dans ce monde de mecs. Cette émancipation sera progressive.

Y aura-t-il encore d’autres personnages récurrents que vous voudriez incorporer dans la série ?

Thibert : Nous avons envie de faire intervenir un détective belge, car nous avons beaucoup d’affinités avec ce pays autant que pour ses habitants.
Convard : Ayant travaillé sept ans au Lombard, je venais à Bruxelles tous les quinze jours, et j’ai toujours pu apprécier la sympathie des habitants, autant que le caractère spécifique de la ville.
Thibert : Ce sera un personnage truculent, belge, mais en dehors des clichés comme on peut les connaître : nous ne voulons pas nous moquer !

Un duo d’auteurs, réunis par la passion des années cinquante
Photo : © CL Detournay

Allez-vous conserver ce format de 54 planches ?

Didier Convard : On ne s’interdit rien, afin de ne pas bloquer le processus créatif. S’il nous faut huit pages de plus pour donner un bon canevas au récit, on se les accordera. Le troisième tome comportera justement une assez longue course-poursuite. C’est comme pour un roman, certains récits s’écrivent en cent pages, d’autres en deux cents, l’important étant de servir au mieux le récit, pour le plaisir du lecteur !

(par Charles-Louis Detournay)

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Photos : © CL Detournay

 
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