Ils sont tous deux talentueux, mais n’avaient jamais collaboré ensemble. Fabien Nury s’était déjà aventuré avec succès dans le destin de quelques grands personnages de l’Histoire : Il était une fois en France, La Mort de Staline, Mort au Tsar, L’Or et le Sang, Katanga, Silas Corey, Tyler Cross, etc.
Quant à Mathieu Bonhomme, il apprécie également les atmosphères historiques : Esteban, Texas Cowboys, Le Marquis d’Anaon, etc. Fallait-il que Thierry Robin parte pour la Chine afin que ces deux-là se rencontrent ? Quoiqu’il en soit, ils brossent ensemble l’étonnant portrait d’une impératrice dont on a souvent entendu parler, mais que l’on connaît finalement mal.
Fille du premier Roi des Belges, Charlotte est jeune lorsque sa mère disparaît. Cette épreuve la dote d’un caractère bien trempé, et alors qu’elle est promise au futur roi du Portugal, elle lui préfère l’Archiduc Maximilien, frère de l’Empereur d’Autriche, et qui ne sera pas amené à régner. Si les premiers mois ressemblent à un conte de fée, les choses s’enveniment lorsque les Sardes soutenus par Napoléon III remportent une éclatante revanche à Solferino. Jugé responsable, Maximilien est assigné à résidence, avec sa cour, et donc sa femme.
Déprimé, il se laisse aller, jusqu’à sauter sur la première occasion pour quitter sa retraite forcée : devenir le premier empereur du Mexique. Il ignore que le pays traverse une profonde crise d’instabilité, et qu’en réalité, son frère et Napoléon III sont ravis de lui confier cette mission impossible. Contre toute attente, Charlotte va tout faire pour que son mari accepte…
Il ne faut que quelques pages pour comprendre que ce premier tome de Charlotte Impératrice est un véritable chef-d’œuvre. La première séquence introduit l’atmosphère du récit : on va se placer dans les coulisses des cours d’Europe, et même si Nury glisse une part de fiction, tout respire l’authenticité, et ce qui est dévoilé est passionnant.
Le dessin de Mathieu Bonhomme parvient à relever le défi de la mise en scène millimitrée de Nury : chaque cadrage est étudié pour apporter son lot d’informations, que cela soit dans les détails historiques, la position de la « caméra », les sentiments ressentis par les personnages, en particulier Charlotte qui bénéficie de superbes gros plans. Sans oublier les superbes couleurs d’Isabelle Merlet qui guide le regard du lecteur et soigne les atmosphères de chaque planche.
La seconde séquence (la rencontre entre Maximilien et Charlotte dont on retrouve un extrait ci-dessus) est tout simplement anthologique : le tempo est symphonique, l’action ne souffre d’aucune approximation, l’humour et les répliques sont exceptionnelles. Bref, en quelques pages, on s’est pris de passion pour le destin de ces deux têtes couronnées, et il devient impossible de lâcher l’album.
Loin de l’humour noir distillé dans La Mort de Staline, Charlotte Impératrice dépasse ce précédent diptyque grâce au lien tissé entre le lecteur et son héroïne. Pas facile d’être fille de monarque au XIXe siècle, comme le témoigne les nombreux extraits de lettres utilisés par les auteurs. On vibre donc en découvrant les coulisses de la grande Histoire, grâce à une adaptation réalisée de main de maître par ces trois auteurs, Nury – Bonhomme – Merlet. Dans leur travail, rien n’est laissé au hasard, comme le destin de Charlotte lorsqu’elle se décide à le prendre en main.
L’incontournable de cette rentrée, à ne surtout pas rater !
(par Charles-Louis Detournay)
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