Mathieu Burniat est un autodidacte de la BD. Ayant fait des études de Design à La Cambre à Bruxelles, il pratique deux ans ce métier, dessinant des objets de domotique. Lors de voyages en Chine qu’il effectuait pour la société qui l’emploie, il imagine de raconter sa vie dans un blog BD pour tuer le temps, dans un style bien éloigné de celui des interrupteurs et des télécommandes. Sa grande influence graphique revendiquée vient de Guillaume Bouzard, même s’il reconnaît être épaté par la virtuosité de Christophe Blain.
Un de ses amis, Matthieu Donck, le réalisateur de la série TV belge La Trêve, séduit par son coup de crayon, lui proposa de faire une BD avec son complice Benjamin d’Aoust (également réalisateur sur la série TV). Le trio se présenta chez Dargaud Paris sans savoir que cette société avait une officine à Bruxelles. Pauline Mermet, éditrice à l’œil d’aigle, ne se fait pas prier et publie deux volumes de la série Shrimp (2012), [un récit fantasque et burlesque qui ne passe pas inaperçu, même sur ActuaBD-http://www.actuabd.com/Shrimp-T1-Par-Burniat-D-Aoust], où Morgan di Salvia remarque le goût des auteurs pour un plat typiquement belge : les croquettes aux crevettes.
C’est cet amour pour la cuisine qui conduit Burniat à réaliser, seul cette fois, un ouvrage sur une des meilleures tables parisiennes : La Passion de Dodin-Bouffant (Dargaud, 2014). C’est que notre jeune homme est passionné de gastronomie. De la recette de cuisine à la formule chimique, il y a le même rapport qu’entre le dessin et le dessin industriel : une volonté de maîtrise, en dépit d’un trait qui garde toute sa spontanéité. L’album se vend bien.
Dans la foulée, passant une soirée sous une nuit étoilée dans le sud de la France avec un de ses amis, Jérôme Loreau, un physicien spécialisé dans la chimie quantique, il se dit que ce thème passionnant méritait une bande dessinée. Quelques années plus tard, entendant Thibault Damour sur France Inter, il lui écrit un mail pour lui demander des conseils pour une BD sur le sujet. Le théoricien de la relativité générale lui propose en retour de collaborer avec lui. Cela donne Le Mystère du monde quantique (Dargaud, 2014). L’ouvrage dépasse rapidement le cap des 50.000 exemplaires vendus et se trouve traduit dans une dizaine de langues. Mathieu revient un temps à la Gastronomie avec Les Illustres de la table (Dargaud, 2016) qu’il coécrit avec Benoît Simmat, où il revisite la gastronomie au travers des grandes figures de l’histoire puis, récemment, il signe avec Jean-Noël Lafargue un volume de la Bédéthèque des savoirs : Internet, au-delà du virtuel (Le Lombard, 2017), où il revient à une matière scientifique.
La mémoire, mère de toutes les muses
Ce parcours exemplaire attire l’attention de l’éditrice Amélie Petit qui vient de faire un carton avec un essai de Sébastien Martinez, Une Mémoire infaillible (2016) dans sa toute jeune maison d’édition Premier Parallèle. Ce dernier est champion de France de la mémoire et, à côté de ses études d’ingénieur des mines, il avait écrit cet ouvrage où il concrétisait ses méthodes d’apprentissage de mémorisation. La Mémoire est un jeu (Premier Parallèle, 2018) s’ensuit sur le même thème. L’éditrice a dans l’idée de publier le premier ouvrage en BD et appelle Mathieu Burniat au téléphone. Celui-ci refuse, comme il refuse tout projet qui ne viendrait pas de lui. Mais il lit le livre et le trouve assez formidable. « Je me pose toujours la question : qu’est-ce que je peux faire en BD que la littérature ne peut pas faire ? Il y avait là, avec le livre de Sébastien, un sujet dont le dessin devait s’emparer. »
« Souvent quand j’explique mes méthodes aux gens, nous dit Sébastien Martinez, ils comprennent bien ce que je dis mais ils ont du mal à concrétiser les choses sans que je leur donne des exemples. En évoquant cette question avec mon éditrice, je lui ai dit qu’il fallait qu’on en fasse une BD. » Avec Mathieu Burniat, il trouve immédiatement le dessinateur qu’il lui faut.
« Le cerveau a une capacité de stockage infinie ; or, on ne peut pas améliorer ce qui est infini, explique doctement Sébastien Martinez. La capacité « musculaire » de notre cerveau intervient dans sa capacité à écrire les informations sur son « disque dur ». Et là, pour le coup, plus on va entraîner notre stratégie d’acquisition de ces informations, plus on va être rapide. Pour associer, il y a six dimensions : les cinq sens auxquels on peut rajouter les émotions. Plus on pourra associer les cinq sens entre eux et les joindre à de l’émotion, plus on pourra imprimer dans notre mémoire. C’est la règle de base. »
On découvre plus que des méthodes de mémorisation dans ce livre : on y apprend aussi des faits. Que le thermomètre avait été inventé par Galilée (dans ma mémoire, il était seulement associé au refus d’envisager que la terre soit plate), le télescope par Isaac Newton (je pensais comme Gotlib qu’il n’était associé qu’à la pomme de la gravité), que le tire-bouchon n’a été inventé qu’en 1795, qu’il y avait une foultitude de femmes Prix Nobel de la Paix (je ne me souvenais que de Mère Thérésa…)
Les Grecs déjà avaient fait de Mnémosyne, la déesse de la mémoire, la mère de toutes les muses. Et donc de tous les arts. Marcel Proust , après eux, rappela à quel point la mémoire -les scientifiques l’ont confirmé depuis- était intimement liée à des émotions profondément enfouies dans notre inconscient. Par ses dessins drôles et émouvants, Mathieu Burniat confère à la fois de la distance et du sens aux méthodes de Sébastien Martinez. Leur collaboration fait la démonstration que la bande dessinée -un média qui associe plusieurs sens- est un puissant vecteur de transmission, un précipité d’émotions qui s’imprime sur la mémoire.
Une fois refermé l’ouvrage, je l’ai rangé aux côtés des Belles Histoires de l’Oncle Paul, cette lecture de mon enfance qui a tant fait pour éveiller ma culture générale. Parmi les centaines de BD qui encombrent ma bibliothèque, je ne sais pas pourquoi je n’oublierai jamais où celle-ci aura été classée. Il semble bien qu’Une Mémoire de roi ait déjà fait effet…
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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