La transposition d’une oeuvre dans un autre média est toujours un exercice périlleux. Pourtant, avec Eisner, on partait sur un terrain favorable. L’inventeur du comic-book, présent encore l’année dernière à Angoulême malgré ses 85 ans bien sonnés, est le fils d’un décorateur de théâtre yiddish. L’exercice aurait dû le flatter. Malheureusement, en basant son travail sur des prémisses à prétention écologique, liant cette œuvre à une opération de réhabilitation d’un quartier d’Angoulême, le chef-d’œuvre du dessinateur américain s’en trouve totalement dénaturé.
Une adaptation transgressive
Imaginez six zozos sur une scène qui gigotent de façon hystérique. Au fond, quatre écrans projettent des séquences filmées en super-8 représentant des décors qui inscrivent le récit qui se passe normalement à New-York dans les années 30 et 40, dans une réalité française contemporaine. Sur la scène, les mots d’Eisner sont chipotés, triturés, réduits à l’état de borborygme. On voit bien que les personnages appartiennent à la BD, mais on cherche en vain le fil rouge. D’autant que la mise en scène multiplie les poses et les effets sans lien avec l’œuvre originale. On se dit que c’est bizarre, que c’est « conceptuel ». On est même prêt à en accepter l’augure. Attendons : laissons le créateur s’exprimer.
« Bonne nuit les petits »
Mais au bout de vingt minutes, on sent bien l’indigence du propos. La salle, pourtant, est quasi-pleine ; le public a sans doute été alléché par l’affiche. Un coup d’œil circulaire pour voir sa réaction. On remarque qu’on n’est pas les seuls figés dans la consternation : la moitié de la rangée qui est à ma droite dort, au sens propre. Normal : pour le festivalier de la BD épuisé par le manque de sommeil, cette pièce où rien ne se passe est l’occasion de piquer du nez. L’effarement est à son comble lorsque, dans l’heure qui suit, la même scène se retrouve répétée plusieurs fois, quasi à l’identique, les acteurs donnant l’impression de jouer en play-back sur la bande-son. Leur jeu est physique, cela ne fait aucun doute. La mise en scène louche vers la danse contemporaine. Mais on cherche en vain l’esprit d’Eisner dans ce travail. On reconnaît même la voix du créateur du Spirit intégrée dans le fond sonore. Mais les efforts ont beau se surajouter, la pièce se complaît dans la médiocrité.
Pour la première adaptation d’une BD ambitieuse, c’est raté, archi raté. On sort déçu, atterré. Heureusement, à l’entrée, avec le ticket, un album nous était offert. Publié chez Rackham, c’est du Eisner authentique. On n’est pas venu pour rien.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Selon nos renseignements, Will Eisner n’aurait donné son autorisation que pour 5 représentations. 4 ont eu lieu ce week-end à Angoulême. La cinquième reste à venir.
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