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Cuno Affolter (Bibliothèque municipale de Lausanne) : « Nous avons la deuxième collection de BD la plus importante d’Europe. »

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 10 septembre 2011                      Lien  
Derrière l'exposition [« La Couleur dessinée »->art12265], il y a un fonds patrimonial tout à fait exceptionnel qui appartient à la Bibliothèque municipale de Lausanne. Cette dernière est un centre de ressource de premier ordre pour les chercheurs et les passionnés de bande dessinée. Rencontre avec celui qui en est l’âme : le spécialiste de la BD Cuno Affolter.

Comment a été créé le fonds de la bande dessinée de la Bibliothèque municipale de Lausanne ?

Le fonds de la collection a été créé par son ancien directeur Pierre-Yves Lador. Au début des années 1970, il a été, parmi les premiers en Europe, à commencer à collecter des bandes dessinées dans une section spécialisée et à les mettre en disponibilité de prêt. Ce n’était pas une chose facile pour lui, car la BD était encore en mal de reconnaissance. Il a également contribué à créer un fonds de science-fiction, de polar, ou d’érotisme. Il s’est constitué une espèce de « bibliothèque idéale » qui constitue aujourd’hui la plus grande collection de littérature populaire d’Europe. Je suis arrivé bien plus tard, à un moment où l’on avait besoin d’« officialiser » la collection.

Car très vite, vous ne vous contentez pas de livres, vous achetez aussi des originaux auprès des auteurs.

Oui, à la fin des années 1980, à un moment où la bande dessinée recueille plus de reconnaissance.

Comment êtes-vous arrivé dans cette institution ?

Au moment du BAC, j’étais plutôt attiré par les sciences : la physique, la chimie… Mais je pensais déjà faire quelque chose avec la bande dessinée. J’étais allé à Angoulême il y a 33 ans, lors de la quatrième édition du Festival. Je me débrouillais pour me porter malade au moment du Festival pour pouvoir sécher la classe. Puis je suis devenu critique de bande dessinée.

Cuno Affolter (Bibliothèque municipale de Lausanne) : « Nous avons la deuxième collection de BD la plus importante d'Europe. »
Plus de 1600 ouvrages de référence sur la BD en français, anglais, allemand ou italien figurent dans les collections de Lausanne.
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Cela existait déjà ?

Oui, j’étais un journaliste spécialisé en bande dessinée en Suisse alémanique, j’organisais des expositions. Dans les années 1980, j’animais également une émission sur la Radio Suisse Allemande. J’ai également assuré la première exposition des auteurs suisses de bande dessinée au Cabinet des estampes de Zurich. J’ai très vite été le porte-parole de la bande dessinée en Suisse et en Allemagne. Je faisais des chroniques dans la presse quotidienne. J’ai participé à la plupart des grandes expositions de bande dessinée dans ce pays. J’avais une collection conséquente mais je n’agissais pas comme un collectionneur, j’ai toujours eu un regard historique et sociologique sur ce médium.

J’ai voulu offrir ma collection à ma ville natale, mais je n’ai obtenu que des vagues promesses. À Luzern, où se trouve Fumetto, je n’ai pas pu conclure non plus. Un jour, un ami m’a conseillé d’appeler Pierre-Yves Lador. Il est venu me voir deux jours après notre premier contact. Notre rencontre a été magique. J’ai donné ma collection à la bibliothèque de Lausanne en échange de quoi la ville m’employait à temps partiel.

À deux, nous étions comme deux enfants une cour de récré. Toujours est-il que c’est ainsi que notre collection s’est constituée, de la fusion des deux collections assez complémentaires, la mienne et la sienne, car je possédais beaucoup de bandes dessinées américaines.

Pierre-Yves Lador est aujourd’hui à la retraite et c’est M. Frédéric Sardet qui est actuellement le directeur de la Bibliothèque. C’est un amateur de bande dessinée mais c’est surtout un archiviste, ce qui a changé le regard sur ce patrimoine. Depuis qu’il est là, les choses bougent. Je suis employé à 80% et cinq autres personnes se sont jointes à l’équipe. Nous avons, je pense, la deuxième collection la plus importante d’Europe, après Angoulême.

Cuno Affolter est l’âme du fonds patrimonial de la Bibliothèque de Lausanne
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Quelle est son importance exacte ?

C’est difficile de chiffrer précisément parce que tout n’est pas encore informatisé. Et puis nous envisageons la bande dessinée sous toutes ses formes, y compris les produits dérivés. Nous nous intéressons à son développement historique mais aussi social, sous l’angle de l’histoire culturelle. Nous collectons aussi bien les albums que les périodiques, les articles de presse, les dossiers de presse, les planches originales, les publicités, les gadgets promotionnels, les albums à colorier, etc. Nous avons autour de 130.000 documents. 50.000 albums sont classés mais beaucoup d’autres sont encore en attente d’être archivés. Nous avons plus de 1600 ouvrages consacrés à la bande dessinée.

Vous avez aussi un nombre impressionnant de bandes dessinées disponibles pour le prêt.

Nous avons plus de 36.000 bandes dessinées en prêt, dont certaines sont des éditions des années 1960. Ce sont des albums différents du fonds de conservation. Nous avons un budget d’acquisition de l’ordre de 50.000 euros pour le fonds et 20.000 euros pour les planches originales. Notre collection possède pas loin d’un millier de planches. [1] Nous avons les collections complètes de Tintin, de Spirou, de Pilote. Nous avons reçu de nombreux dons, dont la merveilleuse collection de près de 5000 volumes du collectionneur Kurt Adolph. Nous avons récemment fait l’acquisition de 5000 comics de super-héros des années 1970 à 1990, de même qu’une collection composée principalement de périodiques catholiques français des années 1920 à 1950, le fonds Ghebali. Notre collection augmente chaque jour.

Plus de 100.000 périodiques (on reconnaît ici L’Epatant, une publication Offenstadt qui publia les Pieds Nickelés en 1908).
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Est-ce qu’un tel fonds est un facteur d’acquisition d’une culture de la bande dessinée pour le public ?

Oui, la BD est le fonds qui tourne le plus chez nous, mais c’est vrai pour toutes les bibliothèques. En revanche, à Lausanne qui est une ville de 130.000 habitants, il y a cinq librairies spécialisées en plus de surfaces comme Payot ou la FNAC. En réalité, le succès de la bande dessinée ici est incroyable. Mais notre bibliothèque a aussi les plus grandes collections de polar ou d’ésotérisme de Suisse. C’est la contribution de Pierre-Yves Lador.

Est-ce que c’est la présence de ce fonds qui a décidé la municipalité de soutenir un festival comme BD-FIL ?

Ça a dû aider un peu, c’était un argument en plus qui s’ajoutait aux autres, bien que les auteurs suisses, comme Zep, habitent plutôt Genève, Derib, Cosey, Bertschy… sont plutôt dans cette région. Cela joue un rôle.

Qu’est-ce que l’on attend pour créer un Centre de la bande dessinée suisse ?

Il y a un grand projet urbanistique qui pourrait aider à ce que cela se réalise un jour, mais l’on n’en sait pas plus pour le moment. En attendant, nous sommes en train d’informatiser les bases de données pour pouvoir unifier les collections dans une seule base, les nourrir en réseau et permettre aux chercheurs de consulter la base à distance.

Bien entendu, nous travaillons régulièrement avec la Cité d’Angoulême, l’Institut fuer Jugendbuchforschung de Francfort, forte d’une collection de 50.000 bandes dessinées, et d’autres institutions européennes pour procéder des échanges d’ouvrages que nous aurions en double.

Est-ce que vous envisagez de numériser ces fonds ?

Pour l’instant non, car nous devons les relier aux nouvelles bases de données qui se mettent en place, mais le service municipal des archives dispose du matériel adéquat pour cela. Ces campagnes de numérisation devraient d’abord se porter sur les périodiques.

Propos recueillis par Didier Pasamonik

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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Code EAN :

L’exposition "La Couelur dessinée"

Le programme 2011 de BD-FIL

Le site de la Bibliothèque de Lausanne

[1La Bibliothèque d’Angoulême compte 58.000 albums et 120.200 périodiques et une Bibliothèque de lecture publique de 26.200 ouvrages. Le fonds du musée comporte un peu plus de 8.000 originaux.

 
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