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Cyrille Pomès ("Sorties de route") : "Une histoire de fiction peut être bien plus révélatrice qu’une situation réelle"

Par SANTIROSI, Silvia le 27 février 2012                      Lien  
Parfois, le hasard organise les rencontres d'une façon spéciale. C’est le cas de cet album, "Sorties de route" paru chez Scutella, que j’ai découvert en rencontrant son auteur, Cyrille Pomès, au détour d'un événement BD. Pourtant, ce jeune talentueux jeune homme en est à son quatrième album ! A son quatrième opus, il confirme sa capacité de conteur à la main heureuse...

Cyrille Pomès ("Sorties de route") : "Une histoire de fiction peut être bien plus révélatrice qu'une situation réelle"On dirait qu’il y a plusieurs niveaux de lecture dans Sorties de route : littéral et métaphorique. Certaines des sorties que vous mentionnez dans l’album sont temporaires, d’autres en revanche sont définitives… Il faut se perdre pour finalement se retrouver ?

Le choix du titre Sorties de route donne en effet le ton à l’histoire : sorties de route anodines pour les automobilistes qui s’arrêtent, le temps d’un café, dans la baraque à frites de Lindley ; sortie de route (et sortie de vie) définitive pour l’homme qui rencontre un platane prématurément sur les lieux du récit ; sortie de route enfin pour Lindley, dans le choix qu’il fait de se mettre en marge de son passé, et ainsi de sa propre histoire.

« Se perdre pour mieux se retrouver », oui, je pense que c’est une nécessité ; elle peut nous être imposée par la vie et ses innombrables impondérables, comme être le fruit d’une volonté de se remettre en question, de mettre à l’épreuve ce que l’on considère comme acquis. Dans un cas comme dans l’autre, l’objectif est de se construire à nouveau, sur de nouvelles bases, sans pour autant renier son passé, même s’il est douloureux. C’est ce à quoi Lindley se verra confronté dans l’album.

Qu’y a-t-il de vous-même il y a dans le personnage de Lindley ?

Difficile d’évaluer avec exactitude quelle part de moi il y a dans Lindley… Disons que j’ai composé le personnage avec une part de mon expérience, de mes projections aussi, le tout enrichi de récits de vie prélevés dans mon entourage et au travers de nombreuses rencontres.

Mais ma volonté première, en créant du vide et du silence à l’intérieur et autour de Lindley, était d’aménager un espace dans lequel le lecteur pourrait placer sa propre histoire, de manière à combler par lui-même ces vides et s’approprier pleinement le récit. C’est un procédé périlleux car il suppose une absence de cadre à laquelle nous sommes peu habitués en narration, qu’il s’agisse de BD, de littérature ou de cinéma, où l’on fait en sorte que tout soit systématiquement résolu. Mais je ne regrette pas d’avoir fait cette démarche, mon intention était de tendre la main, et pas de fermer des portes.

L’autobiographie en BD, sans pour autant la condamner dans son ensemble, me semble confondre trop souvent sincérité et pertinence… Un récit de vie n’est pas intéressant parce qu’il est vrai, mais par son propos même, et par sa mise en scène.

C’est aussi valable pour les autres médiums narratifs, je le précise. En gros, je ne suis pas sensible à la phrase d’accroche d’un récit qui dit « ceci est tiré d’une histoire vraie », je trouve même le procédé à la limite de la malhonnêteté.

Une histoire de fiction peut être bien plus révélatrice d’une situation réelle que sa traduction littérale et sincère. J’exclus naturellement de ce constat des auteurs comme Fabrice Neaud, Gipi ou Edmond Baudoin, dont la sincérité est indissociable de leur exigence de conteur et de metteur en scène.

Vous êtes à la fois scénariste et dessinateur. Quelle part le dessin et l’écriture ont dans votre vie et votre expérience d’auteur ? Pourquoi la bande dessinée, d’ailleurs ?

Pour faire court, la bande dessinée part chez moi de deux envies liées à l’enfance : l’écriture se traduisait par des heures entières à faire vivre à mes jouets des histoires rocambolesques, et le dessin m’est venu avec mes premiers crayons, pour ne plus jamais me quitter.

La BD était pour moi le cadre idéal pour poursuivre ces deux activités liées au plaisir et à la création. Elle signifiait aussi, dans la mesure où j’en ferais un métier, disposer de mon temps comme je l’entendais, me permettant de rendre le moins de comptes possibles à une hiérarchie. Esquiver le « monde du travail » dans ce qu’il a de contraignant est la raison première du choix que j’ai fait de vivre de ma passion.

"Sorties de route" par Cyrille Pomès
(c) Ed. Scutella

Dans MetaMaus, Art Spiegelman a écrit : « La BD est une forme essentialisée de mise en schémas d’un mouvement narratif dans le temps, […] une art de la compression qui découpe les événements narratifs en leurs moments les plus nécessaires ». Qu’en pensez-vous ?

J’ai rien compris… je plaisante ! La bande dessinée ne me semble pas être le seul médium à découper une histoire et à la compresser pour n’en garder que les moments essentiels. Encore une fois, le cinéma, le théâtre ou la littérature, bref, tout médium à velléité narrative fonctionne dans ce sens ; pour des raisons de temps, de rythme et au final d’attrait pour les histoires qu’ils racontent. Il n’y a que la vie réelle pour ne pas faire de chaque instant quelque chose d’intéressant, même si l’on s’y évertue.

Même notre mémoire fonctionne ainsi : elle sélectionne dans notre passé les « moments-clé » (notion relative à chacun) au détriment de choses plus anecdotiques… ces dernières étant le rayon de notre inconscient et de notre subconscient, mais c’est encore une autre histoire !

Je reste cependant convaincu que chaque moment que l’on choisit de mettre en scène fait avancer l’histoire que l’on raconte et ce, au-delà des contingences habituelles « coup de foudre entre les deux protagonistes, fille sous la douche, homme qui abat le meurtrier, explosion, etc. » Tout est question du choix de ces moments dans ce qu’ils ont de pertinent (même quand il s’agit de vide) et de leur mise en scène.

"Sorties de route" par Cyrille Pomès
(C) Ed. Scutella

Quelle était votre référence pendant que vous dessiniez Sorties de route ? On trouve dans vos pages plusieurs indices au moins littéraires (Camus, Mauriac)...

Haruki Murakami m’a accompagné durant une bonne période de sa création. C’est la référence qui me vient en premier ; après, ayant lu dans cette même période de deux ans je ne sais combien de romans, vu je ne sais combien de films aussi, je ne peux que vous donner quelques exemples qui émergent de cette profusion de matière :

The Limits of Control, de Jim Jarmush a pas mal compté côté cinéma, Chien blanc de Romain Gary, même si le lien entre son livre et mon album reste assez flou, la musique d’Amiina et son album Kurr ont rythmé mes dessins… Voilà pour l’essentiel !

Concernant les rares indices littéraires disséminés dans Sorties de route, je dois faire la part des choses : si j’ai aimé la lecture des livres d’Albert Camus et de François Mauriac par le passé, je les ai utilisés ici pour révéler quelque chose de mes personnages : le choix de Camus comme livre de chevet de Lindley (au même titre que L’Alchimiste de Coehlo ou encore Lucky Luke) est sensé renvoyer à une culture plutôt classique du personnage, voire scolaire, contredite par la présence du livre Odile de Raymond Queneau, livre un peu plus confidentiel et qu’à titre personnel, j’ai beaucoup aimé. Ceci pour donner une certaine complexité au personnage de Lindley. De la même manière le choix de Thérèse Desqueyroux de Mauriac pour cette cliente esseulée, et quelque part « désespérément femme », me semblait cohérent.

« S’il ne vient pas pour toi, un super–héros, c’est juste un point jaune qui passe à toute vitesse devant tes yeux ». Mais le jaune est aussi, avec le bleu, une de deux couleurs dominantes du livre : pourquoi choisir ces couleurs-là ? La technique, si je ne me trompe pas, c’est du crayon et de la mise en couleur sur Photoshop) ?

Le choix du bleu et du jaune comme valeurs dominantes du récit est très simple, et paradoxalement il m’est venu après énormément de réflexion : j’ai pris la décision (après je ne sais combien d’essais) d’utiliser le jaune comme élément de chaleur et le bleu pour signifier le froid. Deux pôles entre lesquels tout l’album navigue et alterne. Comme pour mon dessin, le choix de mes couleurs était purement narratif.

Côté technique, c’est bien cela : dessin au crayon, scan de la planche, renforcement des contrastes, puis mise en couleurs sous Photoshop, dont je possède la licence - ce n’est pas la peine de venir vérifier, merci. J’avais envie de couleurs sans qu’elles soient envahissantes, car l’essentiel de mes lumières étaient déjà au dessin, d’où ce choix de « valeurs » plutôt que de couleurs au sens strict.

Qu’est-ce pour vous la solitude qui, quand on lit votre histoire, est selon vous un état d’esprit qui n’a pas de lien avec l’âge ?

Il s’agit d’une solitude qui est plus propre à un tempérament qu’à l’élagage, inéluctable, de son entourage avec le vieillissement.

Si je me place uniquement du point de vue de Lindley, sa solitude est due à la fuite de son passé et se traduit par l’exil. La dernière phrase de l’album, tirée d’une chanson de Jacques Brel, L’Ostendaise, renvoie à l’image que j’ai de Lindley depuis le début, qui est celle d’un marin perdu en mer, en errance.

Et si j’évoque la solitude plus intimement, elle est pour moi la condition sacrée d’une harmonie avec les autres habitants du monde. Mais comme tous les faux solitaires, ma solitude n’est tolérable qu’à l’idée de retrouver le monde, à un moment ou l’autre.

Quels sont vos projets ?

De belles choses dont il est trop tôt pour parler à leur stade d’avancement.
Disons que pour changer, je vais arrêter de tout faire tout seul et me lier à d’autres auteurs pour raconter de nouvelles histoires. Et je m’en réjouis d’avance.

(par SANTIROSI, Silvia)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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En médaillon : Cyrille Pomès - Photo : Laurent Melikian

 
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