La guerre civile espagnole (1936-1939) a marqué l’Europe entière, comme prélude à la Seconde Guerre mondiale et "terrain d’échauffement" pour les régimes totalitaires. La victoire de Franco et de ses troupes, obtenue au prix de centaines de milliers de victimes, conduisit à la mise en place d’une dictature nationaliste qui parvint à se maintenir jusqu’au décès du général. La violence de la guerre fut immortalisée par Pablo Picasso avec son terrible Guernica. Mais les réfugiés furent longtemps oubliés, du moins des gouvernements.
Fuyant la menace franquiste, non par lâcheté mais simplement pour sauver leur vie, une partie des républicains traversèrent les Pyrénées. Tous n’y parvinrent pas et ceux qui le purent ne furent pas accueillis à bras ouverts. Néanmoins, bon gré mal gré, ils s’installèrent en France, espérant un hypothétique retour. Certaines familles ont obtenu la nationalité française mais continuent de se sentir "d’ailleurs", non par rejet de la France mais par attachement à une histoire et une mémoire.
Cette histoire et cette mémoire, le dessinateur Alain Munoz nous les transmet en peu de traits et peu de mots. Son ouvrage D’ailleurs, édité par Vide Cocagne dans la collection Soudain, met en images la lettre d’un grand-oncle, réfugié espagnol, à son petit-neveu. Il y retrace, en quelques scènes fortes, l’instauration de la République, le déclenchement de la guerre civile, la violence du conflit, l’exode et l’arrivée en France. Il y fait ressentir l’amertume et la nostalgie du réfugié, la tristesse du révolu et le chagrin des disparus.
D’ailleurs est un livre sur la mémoire, ou plutôt les mémoires et leur transmission. Ce grand-oncle qui raconte, peut-être un membre de la famille de l’auteur, se fait le porte-parole à la fois des combattants républicains tombés dans la lutte, des réfugiés épargnés par le sort mais non par les épreuves, et de leurs familles installées en France. Mémoire individuelle et collective, familiale et politique, son récit redonne vie à des destins singuliers en rappelant ce qu’ils ont aussi d’intemporel. Cette "question" des réfugiés est évidemment encore d’actualité et D’ailleurs nous invite à un renversement de perspective, empathique et nécessaire.
Le dessin d’Alain Munoz, qui rappelle un peu celui d’Edmond Baudoin, est d’une grande sobriété. Son noir profond, ses traits - presque des traces, comme celles laissées par les souvenirs dans la mémoire - et ses grandes cases donnent au récit le temps d’imprégner le lecteur. Quelques touches donnent forme aux mots du grand-oncle ou font apparaître un reflet dans un cours d’eau tel un souvenir, encore, qui remonte à la surface. Une émotion contenue, pudique, comme souvent dans les histoires narrées par les anciens, affleure au fil des pages.
D’ailleurs est un récit assez bref. Pourquoi en rajouter quand quelques pages suffisent à faire ressentir l’essentiel ? Il est néanmoins complété par deux autres histoires, plus courtes encore, L’opinel et L’aspic, où nous retrouvons une même tonalité. L’ensemble forme un ouvrage à la sensibilité toute en retenue, qui vient enrichir l’une des plus belles collections de Vide Cocagne [1].
Voir en ligne : Le site de l’auteur
(par Frédéric HOJLO)
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D’ailleurs - Par Alain Munoz - Vide Cocagne - 16 x 24 cm - 80 pages en noir & blanc - couverture cartonnée, relié - collection Soudain - parution le 22 novembre 2017 - commander ce livre chez Amazon ou à la FNAC.
Consulter le site de l’auteur & lire les premières pages de l’ouvrage.
L’opinel (2011), L’aspic (2011) et D’ailleurs (2015) ont auparavant été publiées sous forme de fanzines par le label Habeas Corpus, dont Alain Munoz est l’un des fondateurs.
[1] Nous y trouvons par exemple El Mesias de Mark Bellido et Wauter Mannaert ou Comme un frisson d’Aniss El Hamouri.
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