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TRIBUNE LIBRE À Damien Boone (chercheur à l’Université de Lille) : « Le livre d’Antoine Buéno sur les Schtroumpfs n’est pas un travail scientifique. »

Par Damien Boone le 13 juillet 2011                      Lien  
Né en 1984, Damien Boone réalise actuellement une thèse en science politique à Lille sur la socialisation politique des enfants. Il a travaillé sur les Schtroumpfs lors de son année de Master 2 (2006-2007), au cours de laquelle il lui fallait réaliser un mémoire de recherche. Pour ce faire, son mémoire était centré sur, d'une part, les conditions de production de l'œuvre et, d'autre part, sur les multiples réceptions qu'elle connait, avec une étude approfondie des rapports entre contextes social et politique de production et de réception, biographies des scénaristes et de lecteurs, et mêlait divers entretiens réalisés avec les producteurs (archives d'interviews de Peyo et réalisation d'un long entretien avec son fils Thierry Culliford en 2007) et des lecteurs aux profils sociaux variés. Il a lu le livre d’Antoine Buéno et nous en livre sa critique.

TRIBUNE LIBRE À Damien Boone (chercheur à l'Université de Lille) : « Le livre d'Antoine Buéno sur les Schtroumpfs n'est pas un travail scientifique. »
Une analyse critique et politique de la société des Schtroumpfs
Editions Hors Collection

« Laissez-moi deviner, je connais l’histoire depuis longtemps ! Les Schtroumpfs sont communistes, homosexuels et racistes, etc. (..) Je n’ai pas lu, ni rencontré Antoine Buéno. Il peut éplucher les albums comme il le veut tant qu’il ne s’attaque pas à mon père ».

Ainsi réagissait Thierry Culliford, fils de Peyo, quand une journaliste de L’Express le joint le 6 mai dernier pour lui annoncer la sortie du livre d’Antoine Buéno, Le Petit Livre bleu (Éditions Hors Collection). La large couverture médiatique dont a bénéficié l’ouvrage a mis en lumière l’extrême réticence avec laquelle sont accueillies les approches scientifiques des œuvres populaires. Il est vrai que les sciences sociales et l’art ne font pas bon ménage : cela tient aux artistes qui supportent mal tout ce qui attente à l’idée qu’ils ont d’eux-mêmes, mais aussi à leurs lecteurs ; l’irruption du sociologue, qui veut comprendre, expliquer, rendre raison, fait scandale : désenchantement, réductionnisme, en un mot grossièreté ou, ce qui revient au même, sacrilège.

Ainsi, Antoine Buéno prétend dans son livre « analyser » (p. 7) la société des Schtroumpfs sous l’angle « de la science et de la sociologie politique » (p. 13), réalisant ainsi « la première tentative rigoureuse d’analyse de l’œuvre sous un angle de science politique » (p. 23) en usant du titre ronflant de « maitre de conférences à Sciences-Po Paris », ainsi que l’indiquent le quatrième de couverture et les nombreux articles qui lui ont été consacrés.

Première apparition des Schtroumpfs dans Johan & Pirlouit (1958)
(C) Peyo & éditions Dupuis.

Un travail rigoureux ?

Cependant, ne nous y trompons pas : en dépit des apparences et du discours revendiqué par l’auteur, l’approche adoptée par Antoine Buéno n’est pas une démarche scientifique. Signalons que le titre de « maitre de conférences » à Sciences-Po Paris, s’il apparait de prime abord légitimer une hypothétique scientificité de l’ouvrage, est en réalité attribué à tout intervenant extérieur, même ponctuel, de l’établissement. Autrement dit, il n’est pas nécessaire d’être docteur en science politique ni d’être chercheur pour s’en enorgueillir ; en l’occurrence, Antoine Buéno est titulaire d’un DEA en droit public (équivalent du master 2).

Cela ne l’empêche bien sûr pas de s’essayer à chercher, par les moyens qui sont les siens et dont nous dévoilerons quelques éléments ci-après, quel régime politique gouverne les Schtroumpfs. Il est en effet pertinent de partir du postulat que les bandes dessinées, aussi ludiques et innocentes paraissent-elles, ne sont pas que des objets culturels purement récréatifs, mais peuvent révéler davantage d’éléments que le discours officiel qui les promeut ne le soutient, et pourquoi pas en termes politiques. D’ailleurs, il est des bandes dessinées pour lesquelles cette posture est assez répandue, Tintin par exemple. Il est vrai que l’œuvre d’Hergé met en scène de façon tellement flagrante les acteurs des relations internationales qu’elle est plus facilement considérée comme le reflet d’une époque, propice à la réflexion. En moindre intensité, le contexte gallo-romain d’Astérix, peut se prêter à un témoignage historique, bien que celui-ci, mettant en scène des Gaulois belliqueux, avalant des sangliers, habitant des cahutes misérables, excellents artisans mais piètres agriculteurs, soit assez peu conforme à la réalité.

Peyo et son épouse Nine. Elle est responsable de la couleur bleue des Schtroumpfs
Photo DR

En revanche, comment imaginer qu’aux Schtroumpfs, si liés à "l’univers merveilleux" de Peyo, puisse être calquée une démarche similaire ? Ne représentent-ils pas la bande dessinée enfantine et innocente par excellence ? Ses auteurs, Peyo, et, depuis sa disparition, son fils Thierry Culliford, ont toujours nié en bloc toute velléité politique dans leur œuvre. Ce qui n’a jamais empêché de nombreuses personnes d’appliquer aux Schtroumpfs une grille de lecture politique, les uns estimant qu’ils étaient communistes, d’autres les voyant comme nazis, Antoine Buéno étant parvenu à soutenir qu’ils étaient les deux à la fois, en l’occurrence, « un archétype d’utopie totalitaire empreint de stalinisme et de nazisme »(p. 7)

L’annonce de la sortie du Petit Livre bleu, en mai, avait déjà suscité une vague d’articles sur Internet, accompagnée d’une rafale de commentaires ; sa parution en juin provoqua quant à elle un déferlement de réactions passionnées, soit pour approuver l’auteur, soit pour le condamner. Il est hors de question de discuter ici la pertinence de l’interprétation avancée par A. Buéno ou d’abonder dans un sens ou dans l’autre. Dans la mesure où Le Petit Livre bleu a eu une publicité médiatique importante et uniquement sur ses éléments les plus polémiques, c’est à dire les moins scientifiques, je souhaite, en tant que chercheur ayant travaillé il y a quatre ans sur les Schtroumpfs, apporter une contribution proprement scientifique à la problématique qu’il a posée.

Antoine Buéno prétend user de la science politique pour étayer son propos, c’est à dire qu’il estime faire une étude scientifique des faits politiques, définition grossière de la science politique.
Encore faut-il prouver que les Schtroumpfs ont une dimension politique, et le piège dans lequel il tombe est d’aller chercher cette dimension politique dans l’œuvre même, à partir d’une interprétation personnelle. En revanche, ce qui mérite d’être étudié et qu’on peut effectivement objectiver sans tomber dans l’écueil interprétatif, ce sont les réceptions socio-politiques de la bande dessinée.

Un illustration pour l’album "La Flûte à Six Schtroumpfs" (1959)
(C) Peyo & Dupuis

Des Schtroumpfs dépouillés de leur contexte de production

Certes, on ne peut nier que « les Schtroumpfs sont un peu un miroir de notre société », ainsi que l’admettait Thierry Culliford sur France-info le 9 juin. Du temps de Peyo, les liens entre fiction et monde réel étaient parfois assez évidents, et certaines aventures sont encore largement applicables à des situations contemporaines (Le Schtroumpfissime, Schtroumpf Vert et Vert Schtroumpf, Le Schtroumpf Financier). On pourra même avancer que depuis le décès de son créateur, les parallèles entre le village des Schtroumpfs et la société contemporaine se sont renforcés, Thierry Culliford étant davantage dans une démarche visant à susciter la réflexion chez les enfants, premiers lecteurs des Schtroumpfs.

Mais, précisément, une étude rigoureuse serait allée à la rencontre des auteurs, de leurs visions du monde, de la façon dont ils articulent leurs convictions personnelles avec leur création artistique, ou de la façon dont ils considèrent leur lectorat.

Or, Le Petit Livre bleu ne propose aucune enquête de terrain proprement dite, et, s’il est un critère par lequel se définit avant tout une science, c’est bien par ses méthodes. Traiter les Schtroumpfs par le biais de la science politique, et dans le cas d’Antoine Buéno, affirmer qu’ils sont le résultat d’un conditionnement social, cela revient à faire le double pari que le social obéit à des causes, et que ces causes se trouvent dans la société elle-même.

Toutes les sciences sociales reposent de fait sur le postulat fondamental que le social est déterminé et qu’en conséquence, il présente des régularités. Pour cette raison, le principal objectif de la recherche doit être d’identifier ces régularités et de les expliquer.

Rien dans l’ouvrage ne permet d’avancer qu’il y a là une démonstration scientifique : il ne suffit pas d’affirmer que « ce que produit une société dit beaucoup sur cette société » pour en arriver à la conclusion d’Antoine Buéno. Le Petit Livre bleu est en réalité une interprétation personnelle issue d’une étude purement interne de l’œuvre de Peyo, c’est à dire qu’elle ne prend en considération ni son contexte de production (en termes d’organisation du travail notamment), ni les aléas biographiques de ses auteurs. Or, il semble difficile d’en faire l’économie pour comprendre les Schtroumpfs.

Par exemple, Antoine Buéno expose en introduction les bornes matérielles de son travail : « Notre analyse ne portera que sur les albums cartonnés grand format. Et encore, en leur sein, principalement sur ceux qui sont parus du vivant de Peyo. Soit dix-sept albums publiés de 1963 à 1992 [1] » (p. 13).

Plus loin, il affirme que les albums de Thierry Culliford s’efforcent de rester fidèles à l’univers originel, mais « en revanche, tel n’est pas suffisamment le cas des autres publications et des adaptations dont les Schtroumpfs ont fait l’objet en marge des albums cartonnés. Elles sont donc exclues du cadre de cette étude » (p. 19).

Etude préparatoire à la création des Schtroumpfs (1958)
(C) Peyo & IMPS

Ainsi, « l’analyse » n’est censée porter -car en réalité, il est également largement fait mention des albums postérieurs à Peyo- que sur les albums « grand public », publiés chez Dupuis puis au Lombard. Mais comment peut-on justifier au simple détour d’une phrase une équivalence entre l’ensemble des albums des Schtroumpfs, au seul motif qu’ils sont parus en format cartonné ? On trouve là l’une des principales limites de l’ouvrage : la non-prise en compte de facteurs déterminants dans la production de l’œuvre.

Les albums des Schtroumpfs n’ont pas le même cheminement de production : ils ne sont pas tous nés de l’imagination de Peyo. D’une part, certains sont parfois co-scénarisés (avec Gos ou Yvan Delporte), d’autre part, les albums parus dans les années 1980 n’ont rien à voir avec la volonté de Peyo : quand, en 1981, les studios Hanna-Barbera débutent la production des Schtroumpfs en dessins animés, seule une quinzaine d’aventure ont été publiées, si bien que les américains vont eux-même apporter des personnages et des scénarios originaux, qui seront ensuite en partie adaptés en bande dessinée.

Ainsi, le transfert médiatique des Schtroumpfs n’est pas pensable sans le replacer dans une étude de l’organisation du travail de production en amont. Au fonctionnement originel, familial voire paternel, du studio de graphisme bruxellois, va se substituer une logique industrielle imposée par les studios Hanna-Barbera face à laquelle Peyo, peu préparé au triomphe commercial de ses personnages, puis de plus en plus diminué physiquement, perd progressivement le monopole de leur création.

Le Bébé Schtroumpf (1984)
(C) Peyo / Hanna-Barbera

Apparaissent de nouveaux personnages comme les p’tits schtroumpfs ou le bébé Schtroumpf, qui sont ensuite adaptés en bande dessinée car Peyo se devait d’honorer son contrat avec Dupuis. Paraissent ainsi Les Schtroumpfs olympiques en 1983, Le Bébé Schtroumpf en 1984, Les P’tits Schtroumpfs en 1988, L’Aéroschtroumpf en 1990 et L’Étrange Réveil du Schtroumpf Paresseux en 1991, albums regroupant jusqu’à cinq épisodes des Schtroumpfs, tous adaptés du dessin animé, car, selon Daniel Desorgher, assistant de Peyo à l’époque, « Peyo tenait à ce que les Schtroumpfs ne soient pas oubliés sur le plan éditorial. Il ne voulait pas abandonner la bande dessinée « traditionnelle » -c’était son expression- parce qu’il estimait qu’il y avait un marché pour les albums, que le public avait d’abord connu les Schtroumpfs au travers de la bande dessinée, et qu’il ne fallait pas sacrifier cet aspect-là [2] ».

Or, ces albums sont mobilisés à des degrés équivalents que d’autres albums intégralement inventés par Peyo dans Le Petit Livre bleu pour justifier l’influence qu’aurait subi Peyo. Il semble assez difficile de chercher des influences dans une œuvre que l’on n’ a pas produite... De la même façon, prêter à Peyo de la misogynie dans le cas de Sasette est fort peu probant dans la mesure où elle est apparue en dessin animé, aux États-Unis (p. 134).

Des références scientifiques contestables et approximatives

Outre une certaine méconnaissance de l’œuvre, ou en tout cas une volonté de ne pas prendre en compte certains facteurs décisifs de sa production, on remarque au fil de l’ouvrage une volonté de se calquer sur les canons universitaires, avec un abondant recours aux notes de bas de page et la citation de références scientifiques. Encore une fois, les apparences sont trompeuses puisque les références en questions et les concepts mobilisés sont extrêmement contestables.

Prenons l’exemple du chapitre 4, consacré au totalitarisme. L’auteur écrit :« Ainsi, le monde des Schtroumpfs serait-il empreint de stalinisme et de nazisme. Or, en science politique, la réunion de ces contraires apparents ne peut s’expliquer que par référence à une seule notion, celle du totalitarisme. » (p. 149)

Sassette (1987)
(C) Peyo & Hanna-Barbera

La notion de totalitarisme est certes pratique mais très problématique en science politique. Antoine Buéno reprend à son compte l’approche philosophique de Hannah Arendt, qui permet un rapprochement de l’Allemagne nazie et de l’URSS stalinienne sur la base d’une simple comparaison du phénomène, statique, descriptive, jamais étudiée à partir de la genèse et de la dynamique de ces régimes.
Ainsi, on aboutit à une « déshistorisation » du fait totalitaire, étudié dans ses manifestations et ses conséquences, réduit à l’incarnation d’une idée, et pas comme le résultat d’un processus social et politique.

De plus, la volonté de l’auteur de classifier absolument les Schtroumpfs dans tel ou tel type de régime politique est la négation même de la notion de régime politique, les régimes politiques ne constituant pas des réalités statiques, figées, mais au contraire des phénomènes en permanente évolution, dont il s’agit précisément d’identifier les dynamiques, et non leurs caractéristiques figées.

Comment donner l’impression de faire de la science...

Au détour de ce chapitre, on voit apparaitre quelques éléments censés caractériser ce qu’est le totalitarisme, sans que ces affirmations ne renvoient à des références théoriques précises :« La désobéissance comme forme efficace d’une contestation larvée et le maintien d’une opposition d’opérette : telles sont les deux faces de la remise en cause du pouvoir en pays totalitaire » (p. 158) ; « avec le capitalisme, c’est l’individualisme « bourgeois » que le communisme en général et le stalinisme en particulier condamnent » (p. 109)

Si le totalitarisme est avant tout un mouvement et une dynamique de destruction de la réalité et des structures sociales, plus qu’un régime fixe et bien déterminé, les systèmes totalitaires présentent une homogénéité toute relative, et toute l’approche d’Antoine Buéno incite justement à définir, en dehors de toute dynamique, les critères permettant d’identifier les régimes totalitaires, vus comme interchangeables.

Enfin, relevons que Le Petit Livre bleu fait d’abondantes références à mon propre travail -c’est bien le moins- mais parfois à mauvais escient, ce qui, en plus de porter un certain préjudice à son auteur, révèle surtout les limites de l’utilisation de la science par des non-scientifiques.
Antoine Buéno reprend ainsi à son compte la grille de lecture wéberienne appliquée au grand Schtroumpf : en substance, mon propos était de dire que l’exercice de la domination du Grand Schtroumpf se faisait selon un mélange entre les trois idéaux-types qu’a défini le sociologue allemand (dominations charismatique, traditionnelle et légale-rationnelle), ce qui est globalement le cas de la plupart des formes de dominations, les idéaux-types, par définition, n’ayant pas vocation à exister comme tels dans la réalité. Antoine Buéno détourne mes propos -sans doute sans intention malveillante- pour affirmer que ce mélange est en fait une accumulation de pouvoirs expliquant la mainmise supposée qu’il aurait sur le village et ses habitants...

Outre les quelques extraits déjà cités, relevons également que le livre regorge d’expressions toutes faites qui ne sont jamais explicitées ou référencées, derrière lesquelles le lecteur peut sans doute y mettre ce qu’il souhaite, pour peu qu’il les comprenne. Au delà du flou qui les entoure, elles servent davantage à donner l’impression que l’auteur maitrise des références -peut-être est-ce le cas-, et que le lecteur peut lui faire confiance : « Processus dialectique de marchandisation du réel tout debordien » (p. 11) ; « Collectivisation des moyens de production et vie en collectivité caractérisent le nazisme » (p. 113) ; « Le nazisme a émergé d’un terreau réactionnaire et s’est incarné dans un modèle corporatiste et l’esthétique "volkish" » (p. 122) ; « Dans une optique judéo-chrétienne, donc aujourd’hui purement réactionnaire (...) » (p. 135) ; « Les régimes fascistes et nazi ont entretenu un rapport ambivalent avec les intellectuels » (p. 142) ; « L’esthétique culturelle du nazisme, qui plonge ses racines esthétiques, spirituelles et intellectuelles dans un joyeux cloaque de croyances mystiques et de sentiments romantiques (...) » (p. 144) ; « La pensée "volkish", magnifiée par Hitler, est sortie d’un maelström de superpositions païennes et de hautes aspirations chevaleresques » (p. 145). On ne saurait tolérer d’un vrai travail scientifique des références aussi peu claires.

Ajoutons enfin que les « démonstrations » avancées sont faites à l’aune d’outils scientifiques assez peu reconnus, tels que le syllogisme (« majeure : la propagande national-socialiste présente "le juif" comme le pire ennemi du peuple allemand, mineure : Gargamel est présenté par Peyo comme le pire ennemi du peuple Schtroumpf, conclusion : Gargamel est juif », p. 127), l’interpellation du lecteur (« Cela ne rappelle -t-il rien ? » p. 123), l’affirmation péremptoire (« CQFD » p. 109) ou le raccourci sonore (« D’Azraël à Israël, le chemin n’est pas long », p. 109).

Pour ce dernier exemple, Thierry Culliford nous avait rapporté que les noms de personnages étaient souvent avancés par Yvan Delporte : « Yvan Delporte était un personnage extrêmement érudit, qui avait une culture générale assez vaste et assez profonde...je crois que c’est même lui qui a suggéré la salsepareille. Mon père disait qu’il fallait absolument que les Schtroumpfs mangent quelque chose qui leur soit propre ! Et Yvan lui, dans ses bouquins, dans ses encyclopédies, a trouvé la salsepareille. C’est lui qui a trouvé aussi le nom du chat, Azraël, qui est un ange déchu, je crois. Et donc... oui, tous ces noms un peu bizarres, c’était Yvan qui les apportait. Mon père trouvait ça rigolo ».

Illustration issue du site Club de l’Europe
http://clubdeleurope.wordpress.com

Au final, l’impression donnée par Le Petit Livre bleu est celle d’un sens commun vernis de culture savante, avec des définitions du nazisme et du stalinisme réduites à leurs plus visibles et évidentes caractéristiques (« Qu’est-ce le nazisme ? C’est le fascisme + le racisme » affirme l’auteur sur actuaBD), au sein d’une sorte d’étude "à froid", peu soucieuse de restitution des mécanismes complexes de production d’une œuvre.
À aucun moment une biographie de l’auteur n’est proposée, pas plus que l’histoire de la genèse des Schtroumpfs et de leur succès, en dehors de quelques dates qui ne sont que des repères temporels.
Pas un mot non plus sur la logique commerciale qui se met progressivement en place et qui vient influencer la production des Schtroumpfs, notamment avec les transformations induites par le dessin animé.
Ainsi, Le Petit Livre bleu, avec son titre vendeur et sa commercialisation au moment où les Schtroumpfs s’apprêtent à revenir au cinéma, semble davantage guidé par la volonté d’être vendu que par le souci scientifique.

Antoine Buéno semble profiter des difficultés particulières qui se posent aux chercheurs en sciences sociales, qui travaillent sur des objets parfois familiers du plus grand nombre d’individus : en sciences sociales, la séparation entre l’opinion commune et le discours scientifique est bien moins nette que dans les sciences de la nature, où par exemple, seuls les initiés peuvent clairement expliquer ce qu’est la loi de la gravité, à propos de laquelle les physiciens seront unanimes. La difficulté particulière du chercheur en science politique est d’avoir affaire à des objets qui, parfois, parlent, mais qui surtout suscitent quantité d’autres discours face auxquels il est difficile d’être audible, dans la mesure où chacun peut se positionner par rapport à eux. Autrement dit, davantage en sciences sociales qu’en sciences exactes, de nombreux individus produisent des discours concurrents à celui du scientifique.

... en maquillant une interprétation

Nous le répétons, la démarche d’Antoine Buéno serait tout à fait défendable si elle était réalisée de façon rigoureuse. « Les Schtroumpfs seraient un cas typique de dissociation entre les intentions de l’auteur et les représentations et idées réellement déployées au fil de sa BD » (p. 9). En fait, ils sont plutôt un cas typique de dissociation entre les intentions de l’auteur et la façon dont les lecteurs le reçoivent. D’ailleurs, si Antoine Buéno prend soin de ne pas impliquer Peyo dans son interprétation en énonçant que les convictions d’un auteur importent peu, c’est peut-être pour mieux imposer sa propre lecture.

La lecture des Schtroumpfs, comme celle de toute littérature, ne résulte pas forcément de la manière dont elle est produite. Donner un tel pouvoir à un auteur semble exagéré : d’une part, il ne suffit pas d’énoncer une idée, un sens à une histoire, ou un message, pour que le processus de communication ne soit pas parasité par d’autres facteurs de sorte que le message soit reçu tel qu’émis, dans les mêmes termes, du départ à l’arrivée, et, d’autre part, la seule volonté de ne pas faire passer un message ne suffit pas à ne pas le faire passer. Ainsi, la réception des Schtroumpfs ne suit pas toujours le code émis par ses auteurs : si la plupart des lecteurs les voient en effet comme des personnages divertissants, d’autres lectures apparaissent politisées, comme celle d’Antoine Buéno.

Le travail que j’avais effectué visait à repérer ces interprétations, les définir, les analyser, et voir les modalités de leur diffusion et de leur réception. Pourquoi donc les Schtroumpfs suscitent-ils des grilles de lectures politiques ? La tentation la plus courante est d’en chercher les raisons dans l’œuvre seule, comme le fait Antoine Buéno. Mais en raisonnant systématiquement de la sorte, on ne comprendrait plus pourquoi une même œuvre peut parler à une époque et rester muette à une autre, ni pourquoi, à une même époque, elle peut à la fois parler aux uns et ne rien dire aux autres, comme cela se produit ici avec les différentes interprétations des Schtroumpfs d’une aire/ère à l’autre.

Dans la mesure où toute œuvre symbolique étant un message culturellement codé, son appropriation symbolique (tant intellectuelle qu’émotionnelle) par le récepteur, suppose que celui-ci maîtrise les codes socialement institués qui ont servi à l’élaboration de l’œuvre. Ce qui contribue à masquer cette évidence, c’est l’existence d’œuvres supposément « universelles » ou « magiques », de « grandes œuvres » dont la signification et la valeur intrinsèques s’imposeraient d’elles-mêmes, toujours et partout.

Quand nous lisons, page 18, que « la seule question à laquelle le présent essai tend à répondre est bien : quelle est la nature de la société des Schtroumpfs ? Plus précisément, quel régime les gouverne ? », cela révèle aussi qu’il ne s’agit pas d’un travail scientifique, car aucun travail scientifique n’adopterait la démarche d’aller chercher une « vérité » sur l’œuvre, qui s’imposerait toujours et partout. En réalité, les œuvres, mais plus globalement toute production, suscitent des effets cognitifs et affectifs divers. En fait, les œuvres n’appartiennent pas exclusivement à leurs auteurs : ce sont tout autant ses lecteurs qui, par leur regard, la construisent et l’actualisent, en fonction de leurs propres références politiques, culturelles, sociales, de leurs propres sensibilités et préférences. Ainsi, en science politique, ce n’est pas tant le sens intrinsèque supposé d’une production qui compte, mais l’écho de ce sens, car le sens n’est pertinent que par l’effet qu’il suscite au sein de son lectorat.

Il y a aussi une lecture « américaine » des Schtroumpfs

Prenons un exemple récent : la maison d’éditions américaine Papercutz a décidé en 2010 de traduire les Schtroumpfs Noirs en anglais, pour des albums destinés au marché américain. Comme cela avait été le cas 30 ans plus tôt pour le dessin animé, Les Schtroumpfs Noirs sont devenus... violets ! Le rédacteur en chef, Jim Salicrup, s’en explique en toute transparence dans une postface, tout en dédouanant Peyo de toute arrière-pensée. Il écrit : « Cette aventure n’avait jamais été publiée en anglais jusqu’alors, car on craignait d’éventuelles mauvaises interprétations et des offenses envers les afro-américains. Bien que nous pensions qu’il n’y ait rien de raciste dans cet épisode, nous pouvons aisément admettre qu’il puisse être reçu de la mauvaise façon, en particulier par les enfants [3] ».

En anglais, les Schtroumpfs Noirs deviennent des Purple Smurfs (Schtroumpfs Violets)
(C) Peyo & éditions Dupuis

Comment expliquer que la même aventure connaisse aux États-Unis des réticences inexistantes dans l’espace francophone ? Tout simplement parce que les États-Unis ont un rapport aux "races" très différent de la conception européenne. Les Schtroumpfs violets étaient déjà arrivés aux États-Unis dans un contexte d’émeutes raciales encore récentes, ce qui avait expliqué leur transformation.

Ainsi, ce n’est pas l’œuvre qui porte en elle-même un caractère politique, c’est le contexte de réception qui, à une période donné ou dans un lieu donné, la politise.

De la même façon, l’interprétation communiste des Schtroumpfs est bien plus présente aux Etats-Unis qu’en Europe, sans doute parce que « les États-Unis » étaient les plus farouches opposants à cette idéologie, et étaient donc bien plus soucieux des effets, forcément négatifs, que la série pouvait avoir sur les enfants. Ainsi, c’est bien un souci d’insertion dans un contexte politique et culturel fort différent qui crée aussi le sens de la bande dessinée. Et une rapide recherche sur Internet vous guidera très rapidement vers des sites politiques, soit qu’ils soient à tendance communiste et se réjouissent dès lors de la bande dessinée, soit qu’ils soient plutôt de droite et s’inquiètent alors des Schtroumpfs, vus alors comme une menace, ce qui tend aussi à montrer que les mêmes interprétations peuvent connaître divers usages.

Au final, les interprétations en disent souvent bien plus sur ceux qui les font que sur l’œuvre qui est interprétée. Ainsi, l’analyse des logiques d’appropriation des productions littéraires permet d’appréhender plus subtilement les processus sociaux de formation des « messages » et de leur « valeur » -évolutive dans le temps, dans l’espace, les contextes de réception...- mais aussi les déterminants multiples de leurs réceptions, les usages sociaux et politiques qui en sont faits par les différents publics, comme les effets de ces usages, considérés non seulement comme une forme de consommation ou de pratique interprétative du récepteur, mais aussi comme créateurs de sens. On peut alors examiner les divers investissements dont les pratiques lectorales sont le lieu en fonction des propriétés sociales, culturelles et politiques spécifiques dont les lecteurs sont dotés.

Une œuvre n’appartient pas qu’à son auteur

L’interprétation d’Antoine Buéno illustre ce processus selon lequel les Schtroumpfs ne suscitent pas une lecture univoque capable de s’imposer par sa simple nature à toutes les sensibilités. Au contraire, ils peuvent être l’objet, au fil du temps, d’une diversité d’interprétations orthodoxes voire parfois hérétiques et créatrices qui conditionnent à chaque époque et dans chaque milieu le sens de l’œuvre.

Les réactions des Internautes à la sortie du Petit Livre bleu illustraient d’ailleurs cette actualisation permanente des œuvres en fonction du contexte actuel : le Schtroumpfissime était assimilé à Nicolas Sarkozy, les Schtroumpfs étaient considérés comme écologistes avant l’heure...

Qu’importent la véracité ou la fantaisie des rapprochements politiques effectués : un message n’est pas « mal interprété » : il est interprété. Ces interprétations illustrent le fait que les interprétateurs appartiennent à une communauté d’interprétation, variable selon les lieux et les époques. Thierry Culliford nous disait que « les gens qui ont disséqué ça, ces personnes-là, elles ont trouvé ce qu’elles avaient envie d’y trouver ».
Ce n’est ni complètement vrai, ni complètement faux. Des lecteurs ont effectivement une interprétation de leurs lectures qui correspond à leurs propres sensibilités, mais ce processus n’est pas forcément conscient car les individus ne sont pas nécessairement clairvoyants sur leur position sociale et les déterminismes sociaux qui pèsent sur eux. C’est donc certainement de bonne foi qu’ils interprètent, quitte à froisser de nombreuses autres personnes.

Le Petit Livre bleu révèle l’illusion qu’a Antoine Buéno de faire une analyse elle-même exempte de toute détermination. Ses propos, comme d’autres que nous avions interrogés, relèvent d’un discours de l’évidence, dont la véracité du contenu paraît incontestable, comme si le constat qu’il faisait devait s’imposer naturellement à quiconque y serait confronté, et comme si les liens intellectuels qui étaient faits dans son esprit étaient universellement transposables.

Il ne s’agit donc pas d’aller chercher une « vérité » sur le régime politique des Schtroumpfs ou d’abonder dans un sens ou l’autre quand on se réclame de la science politique, mais de comprendre comment diverses opérations sociales permettent d’expliquer la complexité des mécanismes de production et de réception d’une œuvre. Voilà ce qu’est un travail de science politique sur les Schtroumpfs. Toute autre démarche doit être prise pour ce qu’elle est : une interprétation.

« Nous espérons vous avoir convaincu que les productions à première vue les plus futiles sont bien plus souvent porteuses de plus de sens qu’elles n’en ont l’air » écrit Antoine Buéno en conclusion (p. 177). J’espère pour ma part vous avoir convaincu qu’il était vain de chercher à caractériser le régime politique des Schtroumpfs, car les lecteurs/interprétateurs contribuent tout autant à construire et à actualiser le sens à leur donner, à l’aune de références nombreuses et renouvelées. Ce qui tend à souligner, une fois de plus, la richesse de l’œuvre de Peyo.

Un dessin de Plantu, paru en Une du Monde le 9 mai 2007 (3 jours après l’élection de Sarkozy) : Il montre que les Schtroumpfs peuvent toujours faire l’objet d’applications contemporaines.
A ce propos, Plantu nous indiqua qu’il voulait assimiler Sarkozy au Schtroumpfissime.
Dans une émission sur France Inter, le 7 mai, il déclara : " C’est quand même le traître, hein... Il est quand même arrivé à ce qu’il désirait depuis 35 ans en trahissant ses amis... Je pense à Pasqua, je pense à Chirac, je pense aux autres.. Donc, il a trahi beaucoup de gens, donc le Iznogoud, ça tenait la route [...] A l’époque de Balladur, quand il était à Bercy, je l’avais dessiné en Schtroumpf et je me demande si je ne devrais pas le dessiner en Schtroumpf Ier, Liberté-Égalité-Schtroumpf Ier, un truc comme ça. Comme il a schtroumpfé les Français, je me dis que c’est peut-être le bon schtroumpf."
(C) Plantu / Le Monde

(par Damien Boone)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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« Pierre Culliford, dit Peyo : La vie et l’œuvre d’un conteur merveilleux »
Exposition à Paris – Hôtel Marcel Dassault
7 Rond-Point des Champs-Elysées
75008 Paris
M° Champs-Elysées - Clémenceau.
Du 7 juillet au 30 août 2011, du lundi au dimanche de 11 à 19 heures.

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Lire aussi :

-  Thierry Culliford (Studio Peyo) : « Les Schtroumpfs doivent être lus au premier degré. » (13 juillet 2011)
-  L’été sera Schtroumpf ! (13 juillet 2011)
-  Antoine Bueno : « Le village des Schtroumpfs est un archétype d’utopie totalitaire emprunt de nazisme et de stalinisme. » (30 mai 2011)

[1Ça fait 16, en réalité

[2Cité par DAYEZ Hugues, Peyo l’enchanteur, Niffle, 2003, p. 170

[3Jim Salicrup, The Purple Smurfs, Papercutz, 2010, p. 53

 
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7 Messages :
  • Excellent article qui permet de relativiser l’intérêt du livre de Bueno.Merci pour tous les commentaires intéressants (notamment les adaptations Bd de DA Hanna-Barbera, ce qui permet de mieux comprendre la chute d’intéret de la série, à ce moment donné)

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    • Répondu par Rosse le 14 juillet 2011 à  00:35 :

      Il y a en ce moment même un débat en Finlande sur les relations de Moomin et de son ami Tuu-Tikki. Selon l’ouvrage d’un sociologue Moomin serait éperdument amoureux de ce libertaire. Et on ne manque pas au passage de noter l’homosexualité de Tove Jansonn -pour apporter un peu de sel à l’ensemble.Tuu-Tikki est à qq lettres près le nom de la compagne de Tove Jansonn. Je me demande ce que veulent nous "révêler" tous ces inventeurs du "fil à couper le beurre"... Shock value/Big money. Le point zéro de la biographie ou de la recherche sociologique.

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  • Je trouve également cet article intéressant.

    J’ai lu l’interview d’Antoine Buéno, qui est parue sur ce site. J’ai remarqué le nombre de polémiques que cela a déclenché. Je n’ai pas lu le livre d’Antoine Buéno, mais en parcourant l’interview faite par Actuabd, il m’a effectivement semblé que les propos d’Antoine Buéno traitant de son analyse ne reposaient pas sur une méthode scientifique rigoureuse.

    Il est intéressant et pertinent que Damien Boone intervienne, qu’une personne issue du cursus universitaire des sciences politiques et des sciences sociales, autre que l’auteur du Petit livre bleu, donne son analyse. Cela montre à l’ensemble des lecteurs que l’apport des sciences à l’art ne se résume pas à l’apporche d’Antoine Buéno, que les chercheurs ne sont pas forcément du même avis.

    Merci pour cette intervention, M. Boone !

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    • Répondu le 15 juillet 2011 à  12:39 :

      L’idée qu’un oeuvre n’ait pas de message politique est absurde. Aucun discours, et une création est un discours, n’en est exempte. Qu’elle ne le soit pas consciemment est un autre problème. "Nier en bloc" comme le fait la famille de Peyo ne témoigne pas d’une grande ouverture d’esprit. Il est important aussi de ré-insister que l’auteur et le lecteur sont actifs dans le processus. Pour rappel, lorsque TVA-DUPUIS a adapté les schtroumpfs, Eddy Ryssack avait mis un accent russe au grand schtroumpfs, il trouvait que ça collait parfaitement au personnage...c’était en 1960 (deux ans après la création des gnomes bleus).

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      • Répondu par Loic le 22 juillet 2011 à  08:44 :

        L’idée qu’un oeuvre n’ait pas de message politique est absurde. Aucun discours, et une création est un discours, n’en est exempte

        J’ai beau cherché, je ne perçois pas facilement le message politique des sketchs de Titoff ou des chansons de Bézu et Bernard Ménez. Peut-être est-ce mon manque d’ouverture d’esprit...

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  • Bonjour,

    La mairie du 13e arrondissement de Paris vous invite à rencontrer Antoine Buéno, auteur de "Le petit livre bleu" afin de répondre à la question : Sous quel régime vivent les Schtroumpfs ?

    Vous êtes le bienvenus dans ce débat ouvert pour poser toutes vos questions à l’auteur.

    Mercredi 19 octobre 2011 - 19h45

    Café La Place - 194 avenue de Choisy 75013 Paris

    Au plaisir de vous y rencontrer.

    Schtroumpfs dec

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