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TRIBUNE LIBRE À Didier Pasamonik : L’Affaire Charlie Hebdo ou la censure mondialisée

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 6 novembre 2011                      Lien  
Certaines manifestations de soutien à Charlie Hebdo laissaient entendre que le journal satirique « y est allé un peu fort », qu'il diffuse un discours « islamophobe » et « antichrétien ». On veut oublier le combat qu’il mène : celui de la liberté d’opinion, et le fait que la censure qui le frappe est désormais mondialisée.

Expliquer le combat pour la liberté d’opinion, c’est un peu le Mythe de Sisyphe : à chaque fois, il faut remonter le rocher vers le sommet de la montagne, lequel retombe, indéfiniment. Les commentaires sur l’attentat contre Charlie Hebdo se focalisent sur la Une caricaturant Mahomet, avec comme sous-titre « Charia Hebdo ». Ils laissent supposer que les responsables seraient des extrémistes islamistes. C’est probable, mais cela reste à prouver : comme dit le dessinateur Luz, « C’est peut-être deux mecs bourrés. »

Là où la responsabilité islamiste est bien établie, c’est l’attaque parallèle du Site Internet du journal satirique. Dans le Journal du Dimanche (6/11/2011), un jeune Turc de 20 ans se réclamant du groupe islamiste Akincilar, se vante d’avoir piraté le site de Charlie : « C’est une protestation contre une insulte à nos valeurs et nos croyances », justifie-t-il. Le même groupe aurait piraté le site Internet de Penguen, l’un des grands journaux satiriques turcs traditionnels, laïque et de gauche.

Arrêtons-nous un instant sur ce que signifie cette action.

TRIBUNE LIBRE À Didier Pasamonik : L'Affaire Charlie Hebdo ou la censure mondialisée
La Une "incendiaire" de Charlie Hebdo
DR

Une tradition anticléricale

Charlie Hebdo commente l’actualité et, cela n’a échappé à personne, celle-ci est occupée depuis le printemps dernier par les révolutions arabes lesquelles proposent à leurs peuples un nouvel horizon que se disputent les factions en place.

Or, ces peuples portent au pouvoir des partis dont l’idéologie est clairement religieuse : au-delà de 42% en Tunisie, tandis que le Conseil National de Transition lybien annonce que la Charia, ce code de normes doctrinales, sociales, culturelles qui régit les aspects publics de la vie d’un musulman, sera la matrice de leur prochaine constitution.

Nous n’avons rien à redire à cela : bon nombre de gouvernements européens ont été ou sont encore dans les mains de partis « démocrates chrétiens » et la laïcité n’est pas un certificat de vertu démocratique, rappelons-le : le parti nazi ou le Parti communiste d’URSS n’étaient pas des partis religieux.

Là où c’est plus inquiétant, c’est lorsque ces mêmes discours annoncent l’irruption de la religion dans la vie privée du citoyen, lorsqu’une vraie menace pèse sur les autres minorités, religieuses ou non-croyantes

Une république égalitaire et respectueuse

L’anticléricalisme d’un Charlie Hebdo, rappelons-le, est issu d’une tradition qui n’entretient pas à proprement parler une haine de la religion. Le vocable « anticlérical » désigne l’opposition de l’empiètement du spirituel sur le temporel ; il exprime aussi une certaine hostilité envers le clergé, le « parti prêtre » ; si le sens commun désigne sous ce mot un ensemble d’attitudes et de productions antireligieuses, il ne faut pas oublier le message historique et politique de son programme, synthétisé par Gambetta dans son discours à l’Assemblée Nationale de 1877, alors que les Républicains arrivent enfin au pouvoir : « Le cléricalisme, voilà l’ennemi ! »

Dans le Programme de Belleville de 1869, Gambetta rappelait quelques-uns des principes fondamentaux de son combat :

-  L’application radicale du Suffrage universel
-  Une liberté individuelle placée sous l’égide des lois et non sous une autorité arbitraire
-  Une liberté de la presse « dans toute sa plénitude »
-  La liberté de réunion sans entrave et sans piège avec la faculté de discuter toute matière religieuse, philosophique, politique ou sociale
-  L’abolition de l’arrestation et la déportation sans jugement d’un individu condamné pour délit politique
-  La liberté d’association pleine et entière
-  La suppression du budget des cultes et la séparation de l’Eglise et de l’Etat
-  L’instruction primaire laïque, gratuite et obligatoire pour tous
-  L’abolition des privilèges et monopoles

Des préoccupations et des demandes qui sont communes aux espoirs des citoyens arabes d’aujourd’hui.

Le discours se terminait par ces mots : « Les réformes économiques, qui touchent au problème social dont la solution, quoique subordonnée à la transformation politique, doit être constamment étudiée et recherchée au nom du principe de justice et d’égalité sociale. Ce principe généralisé et appliqué peut seul, en effet, faire disparaître l’antagonisme social et réaliser complètement notre formule : LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ. »

Il fallut attendre les lois Jules Ferry de 1881 et 1882, soit plus de dix ans, pour que l’école primaire devienne gratuite, obligatoire et laïque ; la loi sur la Liberté de la presse de 1881 pour que celle-ci soit libérée de parole ; celle sur les associations de 1901 pour que les partis politiques et les syndicats puissent avoir pignon sur rue ; la Loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de L’État, pour que le culte sorte de la sphère publique, etc. Savez-vous que le marquage au fer rouge des condamnés était encore dans le code pénal (mais plus appliqué depuis longtemps) jusqu’en 1994 en France ? La Loi de 1949 pou la protection de la jeunesse, un outil liberticide, est encore en vigueur et ne demande, pour être appliquée, qu’un procureur zélé… Ceci pour dire que la Liberté, l’Égalité et la Fraternité sont un combat et non un acquis.

L’attentat contre Charlie vient nous le rappeler.

Le combat entre la République et l’Eglise par le dessinateur italien Galantara.
Dessin extrait de La République et l’Église, les Images d’une querelle par Michel Dixmier, Jacqueline Lalouette et Didier Pasamonik (Ed. La Martinière)

Une mondialisation du délit de blasphème

Ce qu’a apporté Internet et la mondialisation de l’information, c’est qu’un islamiste de Turquie est maintenant susceptible de venir dicter sa loi à un journal français, comme dans une croisade à l’envers.

Notre Hacker ne ravale pas ses invectives. Son groupe qui a attaqué des centaines de sites israéliens, des sites arméniens et des sites kurdes, de même que des sites « satanistes et pornographiques », même s’il se désolidarise, pour la forme, de l’attaque aux cocktails Molotov, menace maintenant clairement Libération qui a hébergé les trublions du dessin d’humour : « Si Libération continue à publier ces dessins, nous nous occuperons d’eux aussi. »

Ainsi donc, cette censure imbécile qui, pendant longtemps, venait d’états ou de groupes de pression nationaux est en train de devenir le fait de groupes organisés mondialement capables d’agglutiner les convergences d’intérêt les plus hétéroclites : de l’extrême-droite catholique à Al Quaïda, par exemple.

Le dessinateur israélien Uri Fink désigne ces fous de Dieu comme des « foudémentalistes » qui prennent prétexte des Saintes Écritures pour imposer leur foi, tout en se détestant cordialement les unes, les autres.

Pour notre part, nous revendiquons la croyance à « la religion de l’humour », appelant, là aussi, puisqu’il le faut bien, à sa radicalisation.

Hardi les gars, vive Charlie Hebdo, vive l’humour libre !

"Ils sont fous, ils sont déments, ce sont les foudémentalistes" par le dessinateur israélien Uri Fink
DR

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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12 Messages :
  • Didier, les gens qui incendient Charlie ne censurent pas Charlie. Ils incendient.

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    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 6 novembre 2011 à  19:46 :

      Sergio, quand ils font tomber le site de Charlie, ils le censurent. Pour l’incendie, attendons l’enquête.

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      • Répondu par Sergio Salma le 8 novembre 2011 à  11:23 :

        Les mots sont très importants surtout dans ce cas justement où les frontières sont si fragiles entre humour noir et humour vache. Non, ils ne censurent pas. Ils s’attaquent à la liberté d’expression oui évidemment. Mais ne peut censurer qu’un pouvoir. Etymologiquement la censure est le fait d’une autorité. En quoi leur accordes-tu une quelconque autorité ? Ils ont ce moyen stupide pour répondre à ce qu’ils pensent être une attaque de leurs convictions. Je ne comprends pas la levée de boucliers, dans ce cas-ci, la liberté d’expression n’est aucunement en danger, les gens du président sont même allés soutenir le journal c’est dire s’ils ne risquent rien. On parle de censure à mauvais escient et c’est grave aussi. Un éditeur qui refuse de publier un auteur ne le censure pas. Une radio qui empêche un humoriste de dire certaines choses voilà un exemple de censure. Charlie joue sans arrêt avec le feu donc forcément ça brûle parfois.

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        • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 8 novembre 2011 à  13:27 :

          Arrête de tourner autour du pot, Sergio.

          Ces gens formulent une menace à l’encontre de Libé les enjoignant à ne pas publier ces dessinateurs et ce ne serait pas de la censure ?

          Appelons un Shah un Shah, comme on dit en Iran...

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  • QUI SEME LE VENT RECOLTE LA TEMPETE dit l’adage

    Rien ne justifie de mettre le feu à une rédaction ni à attaquer un site internet. C’est une preuve d’agressivité voire la mise en évidence d’un manque d’arguments.

    La liberté de la presse, la liberté d’opinion et le fameux 4e pouvoir font partie des fondements d’une Démocratie. Rappelons peut-être aussi que la liberté des uns s’arrête où commence celle des autres.

    Discuter, argumenter, dénoncer des abus et la bêtise, aider à la réflexion, à faire avancer des idées, à sortir d’une naïveté, à mettre en exergue un comportement, d’éviter l’abrutissement induis par une forme de passivité, par une anesthésie intellectuelle... c’est faire avancer d’une façon ou d’une autre un débat et c’est positif.

    Par contre la forme importe autant que le fonds et le faire de façon irrévérencieuse, irrespectueuse et agressive entraîne -et c’est parfois fait sciemment- une réaction. Souvent proportionnelle voire exponentielle. C’est l’escalade de la violence.

    Il faut parler, mais dépassionner le débât. Pas l’arrêter.

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    • Répondu par Lo le 7 novembre 2011 à  15:14 :

      En l’occurrence, en quoi la couverture de Charlie empiète sur la liberté d’autrui ?

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    • Répondu par Vincent S le 7 novembre 2011 à  17:05 :

      Je ne partage pas du tout ce que vous dites : critiquer "de façon irrévérencieuse, irrespectueuse et agressive" (agressive ? Vraiment ?) c’est le début de la violence.
      Doit-on comprendre : "bien fait pour Charlie Hebdo, ils l’ont bien cherché" ?

      Mais enfin, bien sûr qu’il faut être irrévérencieux et irrespectueux !

      Il faut se reposer la question du blasphème : ce qui est blasphématoire pour untel ne l’est pas forcément pour quelqu’un d’autre. Représenter Mahomet n’est pas un blasphème pour moi, ni souiller la figure de Jésus Christ ni pisser sur la Torah.
      Si on commence par se soucier des sensibilités de tout de monde, on ne s’en sort plus. S’interdire de caricaturer Sarkozy parce que ça ferait de la peine à sa maman, c’est idiot.

      Et puis rappelons-nous que le judaisme et l’islam sont blasphématoires vis-à-vis du christianisme (ils ne reconnaissent pas Jésus comme fils de Dieu), que le christianisme et l’islam sont blasphématoires vis-à-vis du judaisme etc.

      Vous dites : "la liberté des uns s’arrête où commence celle des autres". Charlie hebdo entraverait la liberté de quelqu’un ? Ils n’empêchent personne de croire en dieu, que je sache. On est libre de ne pas le lire, on est libre de ne pas être d’accord, mais hacker un site et brûler des locaux, c’est enfreindre la liberté de la presse, non ?

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      • Répondu le 8 novembre 2011 à  11:41 :

        En l’occurrence, en quoi la couverture de Charlie empiète sur la liberté d’autrui ?

        Pour rappel, si vous n’aviez pas lu cette Tribune de façon attentive, elle ne concerne pas exclusivement Charlie Hebdo puisqu’elle élève le débat à la censure vue au travers du prisme de celle liée aux articles sur les religions. Cette remarque est tout autant générale.

        Mais enfin, bien sûr qu’il faut être irrévérencieux et irrespectueux !

        je doute (non en fait je ne doute pas...) que si on vous "crache" moralement à la figure, qu’on vous méprise publiquement en trainant dans la boue les valeurs (religieuses ou pas d’ailleurs) auquel vous croyez vous souriez béatement en encourageant cette démarche par son aspect distrayant et humoristique pour ceux qui le font ?!...

        Je doute tout autant que le mépris et l’insulte fasse progresser qui que ce soit et quel que sujet que ce soit

        Doit-on comprendre : "bien fait pour Charlie Hebdo, ils l’ont bien cherché" ?

        Non, j’ai bien dit que rien ne justifie le feu de la rédaction ni le piratage du site. Ils se sont contentés une nouvelle fois de provoquer une population qu’ils savent sensible sur ce sujet.

        Je ne pense pas plus que se moquer gratuitement, ouvertement et publiquement de quelqu’un pour ce qu’il est ou ce en quoi il croit ne soit en rien justifié

        Il faut se reposer la question du blasphème : ce qui est blasphématoire pour untel ne l’est pas forcément pour quelqu’un d’autre.

        Est-ce que ce raisonnement vous autorise pour autant à insulter quelqu’un sous pretexte que cette insulte n’en n’est pas une pour vous ? Avec cette démarche on abboutit à l’anarchisme : "Ni dieu, ni maître" ! Aucune retenue puisqu’aucun respect de rien d’autre que ce qui ne nous importe. "Mes valeurs au pinacle, celles des autres au Gémonies" ?

        Bon courage à vous.......

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        • Répondu par Vincent S le 8 novembre 2011 à  13:05 :

          Mais de quelles insultes parlez-vous ? Où est-ce qu’il y a insulte dans ce qu’a fait Charlie Hebdo ?

          Si on "train(e) dans la boue les valeurs auxquelles (je crois)" (ce qui arrive) je vais faire la tronche et râler. Peut-être même écrire un truc sur mon blog. Mais en aucun cas je ne deviendrai violent. Et peut-être même ça peut me permettre de progresser dans ma pensée ou de la préciser (c’est fou, non ?)

          Et précisons : il ne s’agit pas de se moquer de quelqu’un pour "ce qu’il est" mais pour ce en quoi il croit. Ce qui est très différent. Comme on peut se moquer des communistes pour ce en quoi ils croient, comme on peut caricaturer des néo-conservateurs, comme on peut caricaturer des Tea-parties etc.

          Je ne crois pas en Dieu, je respecte les gens qui y croient, mais je n’ai aucune raison d’avoir un respect particulier pour leurs croyances et de me restreindre de dire quoi que ce soit qui puisse les offenser.

          Mais bon, nous ne sommes d’accord, c’est pas la fin du monde.

          Répondre à ce message

  • "le parti nazi ou le Parti communiste d’URSS n’étaient pas des partis religieux."

    Je dirai plutôt des partis religieux athés avec leurs processions, leurs rites... Des religions vidées de la spiritualité et uniquement remplies de l’idéologie politique. Adhérer à une idéologie ou à une religion, c’est sensiblement le même processus.

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    • Répondu par Paul le 8 novembre 2011 à  02:23 :

      Rien à voir avec la choucroute. Une religion vénère un dieu créateur, c’est à la fois spirituel, irrationnel, infantile et existentiel. Un parti politique, une association ou un syndicat n’a rien à voir avec ça.

      Répondre à ce message

  • Personnellement , je regarde la date à laquelle on évolue , 2011 , et je ne comprends pas que la croyance en une religion soit si importante dans la vie des gens à notre époque .C’est loin tout ça non , mais le meilleur exemple c’est les cinglés de créationnistes qui croient à un monde impossible alors que la science a démontré tellement de choses.

    Quand on regarde ce que tous partout en font de leur religion , je trouve ça presque pitoyable .
    Aujourd’hui on nous mets en garde contre l’irréverence qu’un journal a contre une religion , et demain ça sera quoi ?

    On ne pourra plus se moquer de rien , le politiquement correct va devenir la censure du monde .
    Mais sujet trop sacré pour être contre , la religion.

    Je vois surtout qu’au final on entend surtout parler des gens qui interprètent très mal leur foutu religion et en font des intégrismes , des actes d’intolérance , et ça dans toutes les religions de cette planète.On ne voit jamais le côté positif puisque ces foutues religions sont la source de bon nombre de problèmes.

    En somme l’avantage des religions c’est que cela révèle la nature profonde humaine dans sa connerie plutôt que dans sa bonté en fait .Alors qu’il parait que dans ces religions on nous parle d’humanisme ou je ne sais quoi .L’homme devrait se rattacher à autre chose il est temps !

    En fait c’est marrant car souvent les gens que je vois dans leur posture de prière , de croyance , finalement , sorti de leur état secondaire de culte sont souvent les pires dans le quotidien ...ça joue les prudes , et c’est les pires obsédés sexuels ...etc,etc...

    Alors les leçons de morale sur ce qu’il faut faire vis à vis des religions , faudrait déjà que chacun se regarde dans sa petite croyance et se demande s’il agit en fonction de ce qu’il croit ?? avant de la ramener et saouler les gens qui n’ont pas d’intérêt dans la religion .

    On est en 2011 , les histoires de vieux bouquins ça va quoi !
    La vérité est ailleurs !

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