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Daniel Kox : « L’Agent 212 n’a pas été créé pour durer ! »

Par Nicolas Anspach le 7 janvier 2010                      Lien  
Depuis 1975, Daniel Kox dessine les mésaventures humoristiques du matricule 212. Elles auraient pu ne pas exister si Peyo avait été plus rapide dans l’adaptation audiovisuelle de "La Flûte à Six Schtroumpfs". Depuis, 27 albums signés Daniel Kox et Raoul Cauvin ont paru en librairie. Le style rond et caricatural de Daniel Kox est grandement responsable de son succès.
Daniel Kox : « L'Agent 212 n'a pas été créé pour durer ! »

Plusieurs auteurs ont compté dans votre carrière alors que vous étiez débutant. Vous avez présenté vos dessins à Jidéhem, l’auteur de Sophie en 1967.

Effectivement. Je lui ai montré mes dessins à cette époque sans penser que la bande dessinée était un métier à part entière. Je m’amusais alors à dessiner le soir. Jidéhem m’a encouragé à continuer, et je suis retourné le voir pendant des années. En 1970, j’ai commencé à publier les histoires de Vladimir et Firmin pour le mensuel belge Samedi Jeunesse.
Ensuite, j’ai rencontré Peyo et je lui ai présenté les gags d’une nouvelle série, Les Indésirables. Il appréciait mon travail. Ma visite chez lui n’était pas dénuée d’intérêt. J’espérais pouvoir travailler chez lui et l’assister dans la création de ses différentes séries. Malheureusement, il travaillait d’arrache-pied sur le dessin-animé de La Flute à six Schtroumpfs et je tombais plutôt mal ! Il n’avait pas le temps nécessaire pour former un nouvel assistant. Je voulais également qu’il convainque Thierry Martens, le rédacteur en chef de Spirou de l’époque, de publier Les Indésirables. Mais Martens détestait mon travail !
J’ai quand même accompagné Peyo chez Dupuis. Il m’a présenté à Raoul Cauvin. Ce dernier n’avait alors pas encore la renommée actuelle et il m’a proposé deux histoires. L’une qui se passait dans un train, l’autre mettant en scène un agent de police. J’ai choisi l’agent de police. Un autre dessinateur a pris l’autre. Je devais dessiner deux ou trois gags de l’agent pour m’occuper en attendant que Peyo ait plus de temps ! Mais le créateur des Schtroumpfs traînait avec son dessin animé et il me poussait à dessiner quelques gags supplémentaire de l’Agent. Ce personnage n’était vraiment pas fait pour durer. J’ai donc continué à illustrer les scénarios de Raoul Cauvin. Et puis, on s’est aperçu que le personnage commençait à intéresser les lecteurs.
Thierry Martens était un rédacteur en chef assez rude. Il n’était pas question, pour lui, de faire un album avec les gags de l’Agent 212. Personne chez Dupuis n’y croyait ! En 1981, je pense, le journal de Spirou a réalisé un référendum. Et l’Agent 212 s’est retrouvé en cinquième position, derrière Gaston, Yoko Tsuno, Les Tuniques Bleues et Boule & Bill.

Les débuts de Daniel Kox, les indésirables
(c) Daniel Kox.

C’était valorisant !

Oui. D’autant plus qu’il y avait quand même une cinquantaine de séries dans le journal. C’est étrange car ce projet n’avait pas été réalisé pour durer. Or, aujourd’hui, les lecteurs lisent L’Agent 212 depuis 35 ans ! En 1981 donc, suite aux résultats du référendum, Martens a poussé l’équipe de Dupuis a faire un album tout en nous prévenant : « Il ne faudra pas vous faire d’illusion, on risque de le solder dans six mois ! ». Le tirage devait être de 15.000 exemplaires en français et de 10.000 en néerlandais. Il a été épuisé en quelques mois.

Vous avez donc laissé tombé Les Indésirables

De 1978 à 1981, j’ai dessiné cette série. Elle avait un bon accueil, mais je n’arrivais pas à cumuler Les Indésirables et L’Agent 212. J’ai envie, un jour, de les reprendre et de réaliser un one-shot pour m’amuser. Tant pis si je ne gagne pas d’argent là-dessus. Ce sera juste pour le plaisir ! Les Indésirables racontaient les mésaventures de deux malfrats contrebandiers qui vivaient en montagne. Ces histoires étaient découpées en gags d’une demi-page. J’en ai fait près de 110 gags. Je réalisais les scénarios moi-même…

Pour en revenir à cette époque, j’ai également travaillé pour Francis. Pas longtemps : pendant deux mois ! Je ne parvenais pas à travailler en studio. Je ne savais pas à rester deux heures assis à dessiner. Encore maintenant, je reste hyperactif. J’aime bouger. Après avoir travaillé pendant deux heures, je vais faire du vélo, tondre mon jardin, tailler ma haie, etc. Cela explique en partie les retards de publication de L’Agent 212. Et puis, je suis également un laborieux. J’ai dû mal à retranscrire dans un dessin ce que je souhaite. Je recommence donc souvent une attitude, un dessin. J’ai beaucoup de chance de dessiner une série best-seller, mais j’ai conscience de mes limites graphiques !

Daniel Kox réalisait les scénarios des gags des Indésirables
(c) Daniel Kox

Pourtant votre trait rond, caricatural et expressif est reconnaissable …

Heureusement. Je suis plutôt habile pour représenter les personnages. Ils sont de bons acteurs. J’éprouve beaucoup de plaisir à dessiner des mimiques, des expressions. Mon objectif est de m’améliorer. Mais j’ai l’impression que des auteurs comme Binet, ont plus d’aisance que moi. J’ai découvert Les Bidochons sur le tard. C’est l’une des rares BD qui me fasse réellement rire !

Comment décririez-vous Raoul Cauvin ?

C’est presque un second père pour moi ! Nous nous téléphonons trois fois par semaine. Nous rigolons alors de tout et de rien, et ne parlons même pas du métier ou de notre série. Je suis admiratif. Raoul a dépassé les 70 ans et a toujours une énergie débordante ! C’est un homme généreux, envers qui on peut avoir confiance. Je râle parfois sur lui, comme un adolescent qui peste sur son père. Raoul reste modeste et a le sens de l’amitié. Il fera tout pour défendre ses collaborateurs.

Extrait de l’Agent 212
(c) Kox, Cauvin & Dupuis

Comment vivez-vous le succès de votre série ?

On tourne à soixante mille exemplaires à la nouveauté. Je le vis bien et humblement. Je sais que beaucoup de dessinateurs, plus talentueux que moi, n’ont pas le même succès.

Vous parliez de Binet. Quels sont vos maîtres mis à part lui ?

Les anciens : Peyo, Franquin et Tillieux. Sinon, j’apprécie énormément Gordon Bess, le dessinateur de la Tribu Terrible. Sans compter les auteurs plus jeunes : Gibrat, Frank Pé ou Loisel. Marc Hardy, aussi ! C’est un virtuose, qui n’est pas du tout prétentieux ! Mon livre de chevet reste l’Aventure en Jaune de Conrad et Yann. Et dans la jeune génération actuelle, j’aime beaucoup Renaud Collin (Le Monde Selon François), Delaf & Dubuc (Les Nombrils) ou encore Julien Neel (Lou !).

La série s’ancre de plus en plus dans la vie quotidienne de votre agent …

J’apprécie les gags qui ont pour cadre la vie privée de l’agent. Cela me permet de me ressourcer. Je peux le dessiner chez lui ou à la plage par exemple. Après tant d’année à animer L’Agent 212, j’en avais marre de le dessiner avec son uniforme, collant des procès-verbaux à tout-va. J’aimerais d’ailleurs changer son uniforme, mais mes amis auteurs me disent de ne pas franchir cette étape. Heureusement qu’il évolue quand même en fonction de son environnement.

Extrait de l’Agent 212
(c) Kox, Cauvin & Dupuis

Vous avez fait appel à Malik, le dessinateur de Cupidon, pour dessiner un personnage dans le dernier tome de l’Agent 212…

Oui. Il a dessiné une nana sexy. C’est le seul qui a dessiné et encré un personnage dans ma série. D’autres copains comme Louis-Michel Carpentier ou Marc Hardy m’ont déjà donné des coups de main. Mais je passais derrière car leur jeux d’acteur et leur style diffère du mien.

Quelle est votre relation avec votre éditeur ?

Bonne. Cela se passe bien. Je suis heureux chez Dupuis. Même si la rédaction de Spirou n’a plus la même ambiance qu’auparavant. Du temps de Thierry Tinlot, il y avait une sacrée atmosphère dans les bureaux...

Daniel Kox, dans son atelier
(c) Nicolas Anspach

(par Nicolas Anspach)

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Lire une interview de Raoul Cauvin : "Je sers le café chez Dupuis, cela m’inspire ! » (Août 2009).

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Photos (c) Nicolas Anspach

 
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6 Messages :
  • Je suis un grand fan de l’agent 212. Je les lis depuis leur début dans Spirou. Il me fait toujours aussi rire.

    Un grand bravo à l’auteur et à Cauvin et surtout au site Actuabd pour cet interview.

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    • Répondu par Oncle Francois le 14 janvier 2010 à  00:01 :

      L’Agent 212 est en effet une bonne série d’humour tout public, pas trop contestataire, mais tout à fait efficace, comme la plupart des séries écrites par Cauvin. Merci à actuaBD d’avoir eu l’idée de proposer cette interview que nous ne sommes pas préts de trouver dans les pages de Télédrama, les zozos du rock, le Monstre ou l’Aberration. Ni d’ailleurs dans les pages de DBD ou CaseMate, revues de BD qui à la limite parlent des vrais auteurs populaires (ceux qui enchantent le public et permettent aux libraires de payer le loyer !!)quand ils viennent à decèder. J’imagine déjà le prochain DBD où Monsieur Filippini fera sans doute un "je me souviens" larmoyant sur son ami Tibet.

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      • Répondu par Domonkos le 8 décembre 2010 à  10:27 :

        Je ne peux que souscrire à ce jugement, et pourtant c’est un ancien fidèle de "télédrama" ou de "l’aberration" qui vous le dit ! j’ai mis très longtemps avant de "reconnaître" le talent de ces auteurs populaires, dont la simplicité n’exclut pas le talent (pour autant, je ne renie pas forcément les auteurs plus "intellos" lorsqu’ils sont intelligents et talentueux, je ne rejette que ceux qui confondent l’intelligent avec l’emm... ou la laideur : l’infantilisme, sous sa forme "rebelle", me paraît être plutôt de leur côté).
        Je remercie MM. KOX et CAUVIN pour la joie de vivre qu’ils dispensent (même et surtout lorsque les gags sont acides...)

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  • Daniel Kox : « L’Agent 212
    3 juin 2011 11:53, par nani974

    bonjour ! monsieur Kox !
    voilà ! ma fille à presque toute vos bd ! elle est fan de vos bd, moi aussi, elles sont très très drôle !

    elle comme moi nous aimerions bien savoir, c’est pour quand de mettre les bd en dessin animée ! j’en suis sûre que çà fera du tonnerre !!!(nous habitons à l’ile de la réunion)

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  • "Et puis, on s’est aperçu que le personnage commençait à intéresser les lecteurs.
    (...)
    Personne chez Dupuis n’y croyait ! En 1981, je pense, le journal de Spirou a réalisé un référendum. Et l’Agent 212 s’est retrouvé en cinquième position
    (...)
    Le tirage devait être de 15.000 (...) Il a été épuisé en quelques mois."

    Qu’on ne vienne pas me dire qu’il s’agit là de marketing manipulateur !

    (éventuellement de ce coup de génie qui consiste à profiter de la propension publique à se moquer des forces de l’ordre, ce que Bamboo poussera encore plus loin avec les Gendarmes... sauf que Cauvin, lui, n’avait certainement pas fait une analyse aussi poussée).

    Je ne suis pas un fan de cette série, mais j’aime l’idée que les éditeurs proposent et que le grand-public dispose
    (ce qui exclue le principe de lancements largement marketisés !).

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    • Répondu le 3 juin 2011 à  15:25 :

      Il y avait ça bien avant dans Quick et Flupke, dans Pim Pam Poum, dans Gaston, ce n’est pas nouveau de se moquer des forces de l’ordre.

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