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Dany ("Les Guerrières de Troy") (3/3) : « Les différents caractères des Guerrières de Troy se sont imposés malgré nous ! »

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) Charles-Louis Detournay le 6 mars 2014                      Lien  
Suite et fin de la suite d'entretiens que nous avons menés avec le grand dessinateur belge Dany. Cette fois, il nous parle de la série qu'il a réalisée avec Christophe Arleston, parle du marché des originaux, et évoque son prochain défi : dessiner pour Yann une nouvelle aventure de Spirou et Fantasio !

Dans une période particulièrement mouvementée qui a vu à la fois le triomphe du marché de l’album et des séries dans les années 1970, la chute sinon l’extinction des grands hebdomadaires pour la jeunesse dans les années 1980, l’émergence de la bande dessinée d’auteur et du roman graphique dans les années 1990, enfin l’arrivée de l’Internet dans les années 2000, un auteur comme Dany a su rester constant à la fois dans la qualité de son travail mais aussi dans la cohérence de son univers.

Dany ("Les Guerrières de Troy") (3/3) : « Les différents caractères des Guerrières de Troy se sont imposés malgré nous ! »
Transylvania, de Dany sur un scénario de Yves H
Ed. Casterman

Son dessin classique, d’une technique irréprochable, est immédiatement reconnaissable. De la même façon qu’un Paul Gillon a pu traverser les décennies sans prendre une ride, le dessin de Dany est finalement assez peu daté. L’éternel féminin, selon l’expression consacrée, y est sans doute pour quelque chose, mais pas seulement : il y a derrière l’apparente futilité de son travail une armature solide, comme chez quelques-uns de ses contemporains Vance, Hermann, Rosinski dans le domaine du dessin ou Van Hamme dans le domaine du scénario. Ce sont des pros, capables d’aborder n’importe univers, n’importe quel thème avec une aisance sans pareille.

Il le prouve encore en contribuant au projet Transylvania qu’il dessine pour Yves H, le fils de son copain Hermann (Casterman, 2006). "Dany, campant avec son habituelle aisance des personnages souples et nerveux, nous offre un album époustouflant aux décors savamment travaillés, aux ambiances intimement reconstituées, où l’on sent le brouillard nous envahir ou la dureté de la lumière agresser nos yeux" écrivait Sophie Flamand dans nos pages.

Arleston et Dany, mais aussi les éditions Soleil, sont depuis toujours sur les mêmes fondamentaux, leur carrière en témoigne : le goût pour l’aventure et pour les jolies créatures, l’humour et la séduction. Comment ne se sont-ils pas rencontrés plus avant ? Si leur collaboration avait débuté il y a vingt ans, qui sait s’ils n’auraient pas bâti ensemble une saga incomparable ? C’est sur ce regret que nous abordons Les Guerrières de Troy qui s’inscrivent logiquement dans la carrière du dessinateur belge. Elles lui confèrent un souffle inédit dont la dynamique, nous l’espérons, continuera de nous séduire encore longtemps.

Dany en août 2013 à Solliès-Ville avec un original des Guerrières de Troy.
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)
Projet de couverture pour le Tome 2 de Guerrières de Troy
© Soleil, Dany, Melanÿn et Arleston

Par rapport au premier tome, il ressort de ce second opus une dimension psychologique plus marquée des personnages. Était-ce volontaire de leur donner plus de consistance ?

Sans vouloir me lancer des fleurs, ces trois ou quatre jeunes femmes sont à la fois facilement reconnaissables entre elles, mais on peut aussi aisément s’y identifier. D’un bref coup d’œil, on comprend à qui on a affaire, et Attakus peut d’ailleurs les réaliser en résine sans problème. Avec cette consistance graphique, Arleston s’est alors attaché à leur donner un passé, un présent bien entendu et sans doute un avenir, et il s’est amusé à développer leurs personnalités propres.

Comment vous êtes-vous retrouvé dans la psychologie de ces femmes-guerrières ?

On m’a longtemps reproché de ne présenter qu’un seul type de femme : la petite blonde un peu facile...

C’est très réducteur ! Outre Colombe, vous avez effectivement présenté un stéréotype dans vos albums de blagues coquines, mais le but était plus d’incarner une situation humoristique que de développer un personnage. Ce serait faire l’impasse sur tous vos autres albums !

Guerrières de Troy. Détail.
© Soleil, Dany, Melanÿn et Arleston

Tout-à-fait ! Dans le cas des Guerrières de Troy, je voulais que le lecteur puisse les différencier rapidement. J’ai donc bien entendu joué sur la couleur des cheveux, mais aussi sur leurs caractères. Après avoir vu les dessins des personnages, Arleston a ainsi basculé des séquences d’une héroïne vers une autre, car cela correspondait plus à sa psychologie. Nous avons donc bien défini les rôles après avoir personnifié ces trois filles, ce qui leur donne plus de consistance. Lynche vit presque comme un garçon, en se servant parfois des autres. Tandis que Raya est plus candide.

Dans ce volume, le lecteur découvre mieux le personnage d’Issan, plus retorse que ses comparses.

Disons, qu’elle est arriviste, elle estime que la fin justifie les moyens. Elle prend effectivement une part plus importante dans ce tome, jusqu’à ce qu’on découvre de quel côté elle penche finalement. Christophe a directement cerné le personnage tel que je l’avais dessiné et lui a donné un caractère plus indépendant, à la limite de la trahison. Le personnage s’est imposé, autant à lui qu’à moi, presque malgré nous !

Vous n’aviez pas assez de trois femmes à dessiner : une quatrième se rajoute pour compléter le trio !

Ah, c’est le syndrome des Trois Mousquetaires à qui il manquait une petite D’Artagnan ! Une petite Colombe d’ailleurs ! Arleston a l’habitude de place des personnages dans son scénario, et parfois d’en faire évoluer l’un ou l’autre, en fonction de ce que le dessinateur a pu révéler. Contrairement à Van Hamme, il ne remet jamais un scénario clé sur porte. Il l’envoie par tranche de huit planches et il adapte perpétuellement son histoire.

Outre les guerrières, un autre personnage savoureux de ce diptyque est l’enjôleur Yquem, qui charme les donateurs naïfs, afin de reconstituer le trésor de son patron. Je trouve qu’il a la tête d’un présentateur télé des années 1970 !

J’étais parti au départ vers un profil de David Bowie, puis je m’en suis échappé car je n’aime rester prisonnier d’une figure identifiable, même si cela reste une bonne technique de départ. Pourquoi Bowie ? Parce que je voulais que le personnage soit charismatique, mais aussi bipolaire, en lien avec le rôle qu’il tient dans le récit.

Variante de couverture du T2 de Guerrières de Troy
© Soleil, Dany, Melanÿn et Arleston

On ressent une bien meilleure entente entre vous et les scénaristes sur ce deuxième tome, alors que si des éléments étaient intéressants dans le premier opus, les ingrédients apportés séparément par chacune des parties ne semblaient pas coller dans une synergie commune.

Effectivement, il a fallu le temps qu’on trouve notre rythme. Je pense que c’est aussi ma faute : malgré tous les scénaristes avec qui j’ai travaillés (Greg, Van Hamme, etc.) je n’ai jamais beaucoup respecté leurs mises en pages, voire parfois le bon nombre de pages. Cela m’arrivait régulièrement de les appeler pour leur dire que j’avais eu besoin de deux pages de plus pour décrire une certaine scène et qu’il faudrait sans doute modifier des choses par la suite si on voulait coller à la contraire de la pagination de l’album. J’ai toujours besoin de plus de place et de plans pour les scènes d’action, sinon je sens physiquement que cette mise en scène et mon dessin ne permettront pas de bien servir le scénario. Je pense que j’ai beaucoup chamboulé Christophe sur ce point de vue, peu habitué qu’il était à recevoir ce type de coup de fil. Heureusement, nous avons maintenant pu trouver une façon commune de travailler.

Illustration pour les Guerrières de Troy
© Soleil, Dany, Melanÿn et Arleston

Arleston a pour principe d’avoir toujours le même lettreur et de modifier possiblement le contenu des dialogues lorsqu’il reçoit les planches finalisées par les dessinateurs.

En effet, et c’est pour cela que mes petites modifications ont parfois créé de longues discussions pour qu’on puisse retomber sur nos pattes : réécriture des dialogues sur base de ce que j’avais imaginé ou non, placement des bulles au bon endroit sur les planches, etc. Mais je vais maintenant travailler autrement avec lui : nous discuterons âprement de ces possibles suggestions de ma part autour de bonnes bouteilles de vin, afin de trouver le juste milieu avant que je n’attaque les planches ! Une grande amitié nous lie, nous apprécions travailler ensemble et c’est le plus important !

La recette fonctionne beaucoup mieux dans le tome 2. On est cependant étonné de découvrir en page de titre « D’après un scénario d’Arleston et Melanÿn » !

Ah, mais c’est une private joke entre nous ! Par exemple, j’ai demandé de modifier l’ordre des décès des méchants du récit, car je trouvais que cela collait mieux à l’intrigue de l’histoire. Mais cette petite vanne est dans l’esprit de la dédicace que j’ai également réalisée en l’honneur de Jean-Louis Mourier, le dessinateur de Trolls de Troy, qui m’a une fois de plus donné un gros coup de main sur les effets.

Guerrières de Troy. Détail.
© Soleil, Dany, Melanÿn et Arleston

Ce tome 2 vous a peut-être réconcilié avec les amateurs d’Heroic Fantasy qui n’avaient peut-être pas toujours compris les anachronismes que vous aviez placés dans le premier opus.

Effectivement, quand Lynche descend du bateau avec son sac de sport, c’est le mien que je dessine. Lorsqu’elle passe la soirée à picoler à la terrasse d’un café, elles sont assises sur des chaises de jardin en plastique. Je dois admettre que cela me fait rire, car je ne voulais pas qu’on prenne cet univers trop au sérieux. Mais dans le même temps, on présente des personnages qui ont vécu et vivent des expériences fortes et dures : la relation avec le père, l’affrontement, la trahison. Et c’est vrai que ce n’est pas toujours évident de trouver le juste milieu lorsqu’on navigue entre cet aspect sérieux et l’humour sous-jacent de l’ensemble. C’est donc de l’Heroic Fantasy, mais avec beaucoup de fantaisie !

Avez-vous la volonté de prolonger votre effort en proposant une suite ?

Ce cycle est réellement terminé avec ce deuxième tome, mais Christophe Arleston a déjà des idées pour un troisième tome avec un développement plus psychologique des personnages. Et comme je m’intéresse principalement à dessiner ces jeunes femmes, le fait que cela soit plus psychologique ne gâche rien à mon plaisir ! (rires) Je lui avais proposé la trame de la première aventure, à savoir l’arnaque à l’humanitaire jouée par de belles guerrières, mais pour ce troisième tome, je ne lui demande plus rien, et je serai heureux de ce qu’il écrira pour moi ! En réalité, il a déjà partagé avec moi ce qu’il voulait présenter et cela me convient très bien ! Cet aspect psychologique sera donc renforcé, mais il y aura aussi plus de dérision : tout ce qu’il me faut !

Illustration pour les Guerrières de Troy
pour les 10 ans de dBD. © Soleil, Dany, Melanÿn et Arleston

Et comment s’est réalisée votre collaboration avec Jean-Louis Mourier ?

Je travaille toujours de manière traditionnelle, en couleur directe, avec des encres de couleur rehaussées de gouache. Puis je scanne la planche afin qu’on y rajoute ensuite les effets spéciaux. Et comme cela n’était pas ma spécialité, j’ai travaillé avec Jean-Louis qui m’a bluffé dans sa façon de travailler ! J’avais passé une semaine chez lui pour le premier tome, nous avons remis le couvert pour le second, et sans lui arriver à la cheville, je crois que je commence à bien percevoir comment il parvient à donner de la puissance au dessin avec des calques successifs.

Quels sont les artifices dont vous jouez avec l’informatique ?

Tout d’abord, je corrige les quelques taches qui pourraient subsister. Si on veut rattraper cela en couleurs directes, cela prendrait beaucoup de temps pour un résultat très peu satisfaisant. Avec l’informatique, vous corrigez cela en quelques clics et c’est impeccable, ce qui permet un beau confort de lecture. Même chose avec les bords des cases, afin que la planche reste propre. Puis je travaille les effets de lumières pour les scènes de nuit, autour d’un feu de camp par exemple. Je joue aussi sur les contrastes afin de donner de la profondeur de champ en travaillant différemment l’avant-plan de l’arrière-plan. Cela donne beaucoup de relief et de vie à l’ensemble ! Je suis ravi d’avoir travaillé avec Jean-Louis, car c’est un cador du dessin, dans la lignée de Jijé et de Franz !

Ce tome 3, c’est pour bientôt ?

On va se donner tout de même un peu d’air. Arleston doit travailler sur le reste de sa production. Puis pour ma part, j’attaque un spin-off contemporain de Spirou et Fantasio, scénarisé par Yann ! Je suis un tel fan de Franquin que j’ai un peu de mal de me débarrasser du look des personnages dans La Mauvaise Tête ou Le Prisonnier du Bouddha. Je n’en suis donc qu’au début, je m’approprie les personnages...

Comme vous devez respecter le cahier des charges, j’imagine que vous ne dessinerez pas de pulpeuses femmes à toutes les pages ?

Effectivement, mais je ne vous étonnerai pas en dévoilant que Seccotine prendra un rôle à sa mesure ! La magie s’est directement installée avec Yann. Nous avons énormément de références communes. même si je suis moins passionné par l’aviation que lui ! (rires) Cela ne l’a pas empêché de me concocter un scénario du tonnerre ! Tout en travaillant sur les personnages, je suis en train de terminer différents travaux pour des portfolios et autres, et je dois avouer que je n’ai jamais été aussi impatient de pouvoir m’attaquer à un album : c’est enthousiasmant !

Vous parlez de travaux complémentaires, j’imagine que la vente d’originaux vous apporte également des revenus. Vous aviez d’ailleurs réalisé une grosse vente chez Daniel Maghen en 2011 ?

Une grosse vente ? Daniel m’a dit qu’à chaque vente qu’il avait organisée autour de mon univers, cela faisait partie de ses meilleurs résultats de l’année, mais j’ai bien entendu repris tout ce qui n’était pas parti. En définitive, peu de planches ont réellement été vendues. Vous trouvez des originaux dans certaines ventes aux enchères, mais il s’agit de planches que j’ai données ou vendues à l’époque ou qui ont été volées ! Il ne faut pas mettre trop de choses sur le marché si on veut maintenir sa cote. J’ai été récemment à une vente à Paris, et j’ai vu des planches de Greg, Dupa ou Craenhals partir à quelques centaines d’euros. Cela m’a fait de la peine pour tous ces grands auteurs que j’ai bien connus.

Propos recueillis par Charles-Louis Detournay. Introduction de Didier Pasamonik.

Illustration inédite
© Dany

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

(par Charles-Louis Detournay)

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- Lire aussi "Dany se découvre au Rouge Cloître"

L’expo Dany au Rouge Cloître se déroule jusqu’au 20 avril 2014. Elle sera suivie d’une exposition consacrée à René Hausman (à partir du 9 mai).

Rouge-Cloitre
Rue de Rouge-Cloître 4
1160 Auderghem (Bruxelles)
Tél. : + 32 2 660 55 97
info@rouge-cloitre.be

Ouvert du 14 février au 20 avril 2014, du mercredi au dimanche de 14 à 17h.
Entrée : 3 € - 2 € - gratuit < 12 ans.

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Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD)

 
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