Le Joker sous les verrous, Gotham City respire. Mais le Croisé à la Cape se fait vieux et son corps commence à montrer d’inquiétants signes de faiblesse. Et la relève n’apparaît pas encore prête : si les techniques du jeune Jason Todd donnent toute satisfaction, sa fougue confine parfois à la précipitation. Surtout, il y a en lui un goût malsain pour la violence qui trouble et inquiète son mentor.
Déjà associés sur Master Race, récente troisième saga du Dark Knight, Frank Miller et Brian Azzarello en profite pour creuser un autre pan de la mythologie du Dark Knight. Si l’on peut s’interroger sur les motivations profondes du projet [1], sa portée au sein du Batverse selon Franck Miller est réelle puisqu’il s’agit de revenir sur l’implicite qui préside au début de cette œuvre au noir qu’est The Dark Knight Returns.
En effet, les premières pages du comics de 1986 font allusion au retrait de Batman, dix ans auparavant, consécutif à un malheur arrivé à Jason Todd. Une idée de Frank Miller antérieure donc au grand récit Un deuil dans la famille, de Jim Starmin et Jim Aparo, paru lui en 1988.
Et nous voilà, avec The Last Crusade, plongés dix ans plus tôt, en compagnie d’un Batman sur le déclin et d’un Robin qui tient davantage du chien fou que du jeune prodige. De quoi enchanter les fans donc, d’autant que la construction du récit s’avère habile, qui fait mine de reléguer à l’arrière-plan le développement que le lecteur attend et craint à la fois tout au long de cet épisode. Pour mieux nous saisir au final.
Mais il y a de quoi être frustré également. Car au delà de la bonne idée et du montage narratif malin, nous n’aurons guère davantage. L’ensemble de l’histoire tient à peine en une soixantaine de pages, ce qui ne laisse guère de temps pour travailler l’ambiance et surtout les personnages. Vaguement croqués en quelques scènes plus informatives que poétiques, Bruce se contente d’être plaintif, Selina lascive, Alfred statique et Jason mutique.
Pas de quoi creuser le personnage qui devrait être au cœur de l’intrigue donc, et rien ou presque pour créer un lien entre lui et le lecteur, qui se trouve au final bien faiblement affecté par ce qui arrive au jeune héros. D’autant que le peu qui nous est donné ne rend vraiment pas sympathique ce Robin. Voilà qui pose problème.
Reste, sur le plan graphique, des planches de grande qualité signées John Romita Jr, dont on retrouve les crayonnés dans les bonus de l’ouvrage, véritable autre moitié du volume. Et cette relecture immédiate de The Last Crusade, muette et comme fragile, confère une autre portée au projet, aussi précieuse qu’inattendue.
(par Aurélien Pigeat)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Dark Knight : The Last Crusade. Par Frank Miller et Brian Azzarello (scénario) et John Romita Jr. (dessin). Traduction Jérôme Wicky. Urban Comics, collection "DC Essentiels". Sortie le 27 janvier 2017. 128 pages. 14 euros.
Sur ActuaBD, lire les chroniques de :
The Dark Knight Returns
The Dark Knight III T1
The Dark Knight III T2
Commander ce livre chez Amazon ou à la FNAC
[1] Explicitons cette interrogation. À la lecture nous est venue une étrange idée, peut-être fondée sur l’impression d’une relative carence de signification de ce projet. On a cru voir dans le tandem constitué par Bruce Wayne et Jason Todd, dans cet épisode, une métaphore du tandem de scénaristes : Frank Miller et Brian Azzarello. Avec une vieille gloire qui s’accroche et un jeune successeur en train de récupérer l’héritage. Et pour tout dire, les dernières pages de The Last Crusade résonnent étrangement avec cette idée en tête.