Au Far West, en ce début de XXe siècle, la loi des armes est toujours de mise. Un homme approche d’une maison, concentré et sombre, il a une tâche à accomplir. Un acte qu’il médite depuis près de cinquante ans. Un demi-siècle d’une haine accumulée et d’une vengeance tout entière dirigée vers un seul homme.
La Guerre de sécession rythme la vie des États-Unis d’Amérique. Unis, ils ne le sont plus vraiment, et, en leur centre, un immense charnier s’ouvre engloutissant toute une génération de jeunes gens. Entre Confédérés et Yankees, pas de pitié, et pour ceux qui ne trouvent pas la mort sur les champs de bataille, c’est dans les bagnes, antichambres de l’enfer, qu’ils finissent.
C’est dans l’une d’elles que Louis Paugham, enrôlé de force dans l’armée sécessionniste, va découvrir la « deadline », cette ligne interdite de franchissement aux prisonniers sous peine de mort. Gardien de la prison militaire d’Andersonville, en Géorgie, il affronte la réalité d’un monde coupé en deux. Son destin va se partager entre fascination et répulsion. Amour pour ce soldat nordiste noir croisé au cœur d’une nuit de garde, qui le subjugue, et que seule cette simple ligne de mort isole. Haine pour son supérieur, John C. Lester, esclavagiste forcené, qui sera l’un des fondateurs du Ku-Klux-Klan.
Laurent-Frédéric Bollée (scénariste de l’excellent Terra Australis) fait une entrée remarquable dans le monde du western. Pas d’indiens ou de cow-boys ici, juste une histoire de vengeance obsessionnelle.
Dans un environnement historique très précis, se côtoient fantasmes, doutes et peurs. Cette atmosphère éternellement pleine de tension relègue son principal protagoniste dans une spirale de la perte de tout repère. Alors qu’il a vu ses parents tués par des esclaves en fuite, son mentor exécuté par des tueurs confédérés, il embrasse d’un mouvement des yeux cet homme, figure éternelle de son amour. Mais que peut-il face à l’abomination qui le borde chaque nuit ?
Dessinateur de W.E.S.T., Christian Rossi est brillantissime. Réalisé en couleur directe, l’album est dense avec ses ambiances tout à la fois étouffantes voire sordides, mais aussi éloquentes et grandioses. Son trait illumine des visages marqués par la violence, des regards qui confinent à la folie.
Combinée à un découpage graphique sans faille, la mise en scène, pleinement efficiente, s’accompagne d’une voix off perpétuellement présente et qui, lancinante, accompagne les pérégrinations du héros.
Intimiste et expressionniste, cette histoire de vengeance jusqu’au boutiste est secouée d’ellipses temporelles qui tordent la narration et compriment l’atmosphère du récit pour la rendre sensible à la moindre étincelle. Toute la noirceur du monde tombe sur le héros de notre histoire et son manque de charisme l’empêche d’influencer réellement les événements par ses choix. C’est exclusivement dans la conclusion qu’il leur donne, dans cette seule et unique libération finale dans laquelle il semble gagner sa liberté.
Une belle réussite pour ce western, cousin du Django de Quentin Tarantino, et qui entraîne son lecteur dans les pas de ce jeune homme dans son périple cauchemardesque.
(par Vincent GAUTHIER)
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