Mai 1876, le Royaume-Uni connaît une vague de disparitions inquiétantes. Les communautés intellectuelles et scientifiques en sont les premières victimes. Nulle rançon n’est demandée et les autorités n’ont pas l’ombre d’une piste sur les motivations des ravisseurs.
S’il arrive à Sherlock Holmes de prêter concours anonymement à Scotland Yard, il n’est pas encore officiellement détective. Mais l’enlèvement de son colocataire, un jeune violoniste virtuose, conduit Holmes à se confronter au crime organisé à l’insoupçonnable noirceur, dont les Moriarty, père et fils....
D’emblée, nous avions salué l’excellente réussite de Sherlock Holmes & Les Vampires de Londres ! Sylvain Cordurié était parvenu à dépoussiérer le détective de Conan Doyle tout en suivant globalement ses traits les plus caractéristiques. Le dessin d’Alessandro Nespolino respectait l’atmosphère victorienne et apportait un dynamisme bienvenu dans des planches globalement bluffantes.
Dans la deuxième mini-série, Sherlock Holmes & le Nécronomicon, l’action cédait quelque peu le pas à une passionnante introspection au cœur de la personnalité du héros de Conan Doyle, ce qui expliquait les digressions que s’étaient autorisées le duo d’auteurs. La qualité était toujours au rendez-vous. C’est dire si ce troisième cycle était attendu.
Pourtant, le bilan du début de Sherlock Holmes - Crime Alleys est mitigé. La part fantastique ultra-présente dans les quatre premiers tomes est latent, comme si les auteurs avaient oublié que le but de la Collection 1800 était de mélanger deux thématiques littéraires fortes.
Certes, après avoir exploré la période mystérieuse qui suivit l’épisode des chutes de Reichenbach, l’autre grande période qui devait attirer n’importe quel scénariste était celle des premières enquêtes d’Holmes, située entre le Gloria Scott et L’Étude en rouge, ainsi que nous l’évoquions dans notre chronique du comics Sherlock Holmes : Les Origines. C’est aussi la seconde période où Holmes ’joue’ sans Watson.
C’est pourtant la personnalité de Holmes qui est la plus dérangeante dans cette adaptation. Sylvain Cordurié ose laisser le héros s’honorer de son ’sadisme latent’. Et c’est vrai que si Conan Doyle avait doté Holmes d’une fierté exacerbée, Cordurié en fait ici un être arrogant, qui semble traiter tout autre personne avec dédain. Là où la distance d’Holmes était contrebalancée dans les nouvelles par ses performances de déduction, cette adaptation créée une distance dérangeante avec le lecteur. Enfin, l’allusion aux nombreuses compagnes du jeune homme tombe à plat car elle est trop loin des considérations évoquées lors l’épisode d’Irène Adler. Bref, on peut se permettre de jouer avec le personnage le plus adapté de la littérature populaire à la condition d’une raison légitime à ces détournements.
Mais cet épisode a pourtant le mérite de présenter une nouvelle facette du fameux Professeur Moriarty. Certes, Conan Doyle avait créé ce super-méchant le temps d’une nouvelle afin de trouver un personnage assez charismatique pour provoquer la mort de son héros. Mais jamais un anti-héros au parcours aussi bref n’aurait vécu autant d’aventures dans les différentes adaptations.
Ce premier tome de Crime Alleys présente le père du personnage, le cadre dans lequel il a évolué, ce qui donne une réelle densité au personnage. On voit comment Cordurié pourra le transformer en professeur de mathématiques, comme l’avait imaginé Conan Doyle, mais sur ce coup-ci, cette digression vaut le sacrifice. Une fois de plus, on s’amuse bien plus avec le méchant que le ’héros’.
Côté dessin, Nespolino a mis tout son art dans ses personnages ainsi que dans un ou deux lieux plus ou moins mal famés. Avec son manque de fantastique dans ce premier tome, on regrettera sans doute que le scénario de Cordurié n’ait pas envisagé de décors suffisamment emblématiques : ses sous-sols tout en brique, ses bureaux sobres, et ses ports et ruelles un peu trop propres, tout cela manque un peu de renouvèlement.
Sherlock Holmes - Crime Alleys reste donc un sérieux cran en-dessous des opus précédents, mais il reste suffisamment de bons ingrédients pour que ces auteurs confirment leur talent dans une seconde, voire une troisième partie.
(par Charles-Louis Detournay)
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