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Dernières nouvelles du Moyen Âge en bande dessinée

Par Tristan MARTINE le 28 juillet 2017                      Lien  
Les albums de BD prenant pour cadre une période médiévale plus ou moins historique se multiplient ces derniers temps et révèlent les usages possibles de l’histoire par le neuvième art.

On a vu ces dernières années se multiplier les albums de bande dessinée historique, genre en vogue auprès du public et qui a connu un développement éditorial exponentiel. Nous avons déjà fait le point sur le traitement de quelques thématiques, de la guerre d’Algérie à la préhistoire. Intéressons-nous maintenant au Moyen Âge, parent pauvre de la bande dessinée historique. Dites gallo-romain à un enfant, et il pensera Astérix, voire Alix ou Murena, dites époque moderne, il imaginera Barbe-Rouge ou l’Épervier, évoquez la guerre de 14, des images de Tardi lui viendront en tête, tout comme la Shoah avec Maus, ces albums étant étudiés en classe. Quid du Moyen Âge ? Pas grand-chose dans le neuvième art. La culture populaire a retenu quelques épisodes d’Indiana Jones et surtout le Nom de la Rose, qui a beaucoup fait pour l’image crépusculaire du Moyen Âge souvent véhiculée.

Un ouvrage a récemment fait le point sur la question, en montrant l’évolution de l’utilisation du Moyen Âge tout au long du XXe siècle dans la bande dessinée, en lien notamment avec des problématiques politiques (Robin des Bois comme figure communiste ? ; quel Islam médiéval en BD ? ; le Moyen Âge comme période écolo ?). Profitons de cette pause estivale pour revenir, outre le récent Gent rebelle, sur quelques albums récents qui montrent bien la diversité des utilisations possibles du Moyen Âge en bande dessinée.

Un Moyen Âge de fantaisie plus vrai que nature

Commençons avec un récit très rafraichissant que publient les éditions 2024. En 1457, Célestin Mulet, benêt patenté, a vexé le roi par un de ses poèmes maladroits. Sa mission, et il a accepté avec joie cette punition sans comprendre que c’en était une : commander un navire et aller toujours tout droit, suivre le soleil vers une mort certaine. Il découvre une île inconnue, et s’autoproclame roi de cette terre qu’il nomme Fonculotte. Non loin du cœur de son royaume, il tombe, avec tous ses ducs et comtes (son équipage qu’il a anobli), sur un village probablement peuplé d’Atlantes. Arrêtés par ces individus armés qui disent agir au nom du roi de France, on les envoie se faire brûler à Bordeaux… À croire que son île inconnue ne l’était pas tant que cela, mais notre capitaine Mulet décide de se venger et de tuer le roi, qui a, facteur aggravant, pris sa femme !

Dernières nouvelles du Moyen Âge en bande dessinée

La suite du récit n’est qu’aventures loufoques. Accompagné de Bienvenu, tout aussi naïf que lui, et qui lui sert de Sancho Panza, notre capitaine vit nombre d’expériences insensées, mais qui, dans son esprit simplet et imaginatif, se transforment en épopées homériques.

L’auteure, Sophie Guerrive, arrive à nous amuser tout au long de son épais roman graphique de plus de 200 pages, grâce à une mise en page très fluide et des dialogues finement ciselés, qui peuvent faire penser à ceux des Monty Python dans Sacré Graal !. S’inspirant des miniatures médiévales, son dessin, fuyant tout réalisme et s’amusant de l’absence de perspective et de profondeur, est très intéressant, son trait noir et blanc est très expressif et peut faire penser par moments au travail de David B.

L’album, imprimé sur un beau papier épais, avec un marque-page intégré, est un bel objet en lui-même. Le récit est poétique et malgré l’aspect délirant du propos, on sent poindre une vraie recherche documentaire, avec une inspiration, à la fois graphique et thématique, évident par les récits d’explorateurs de cette toute fin de la période médiévale, au tournant de la Renaissance (par exemple le Livre des merveilles du monde de Jean Mandeville). Et voilà comment on peut dire le Moyen Âge sans passer par le truchement du réalisme et du pédagogique.

Vasco continue !

Autre style, autre genre, voici le premier Vasco non-scénarisé par le créateur de la série : Gilles Chaillet, décédé en 2011. Le passage du flambeau a été assuré sans problème, sa veuve, Chantal Chaillet, assurant les couleurs et jouant le rôle de gardienne du temple, tandis que le scénario est revenu à Luc Révillon, qui fut un ami proche de Gilles Chaillet.

Cet historien qui a publié différents ouvrages consacrés à Giacomo C. ou au Décalogue, est également un des plus fins connaisseurs de Vasco. Il est ainsi l’auteur d’un Petit Vasco illustré, analysant dans le détail l’historicité des personnages et des faits de la série, ainsi que des Mémoires secrets de Vasco, un album illustré par Chaillet dans lequel il resituait les aventures de notre héros italien dans leur contexte politique, social et culturel de la fin du XIVe siècle. C’est donc à cet intime du père de Vasco qu’est revenue la lourde charge de continuer à faire vivre la série, et le résultat s’inscrit pleinement dans l’héritage de celui qui fut lui-même le disciple de Jacques Martin.

Cette nouvelle aventure, qui se passe en 1367, envoie Vasco au Maroc, où son oncle, le vieux banquier Tolomeo, a demandé à son neveu de retrouver son frère aîné Lorenzo pour le convaincre de revenir à Sienne reprendre les affaires familiales. Vasco arrive au beau milieu d’une poudrière, Lorenzo s’étant allié au rebelle Abou Saïd pour détrôner le sultan en place et commandant désormais la garnison militaire de Marrakech, tout en luttant contre une bande de pilleurs de caravanes qui nuit gravement au commerce local.

Le dessin est un peu plus figé, et par moments plus maladroit, notamment dans la représentation des corps en mouvement, que celui de Gilles Chaillet, mais, globalement, Dominique Rousseau a su adopter les codes graphiques du créateur de la série et les applique avec grand respect, comme il le faisait déjà dans les tomes 25 et 26, sur un scénario de Chaillet.

L’album ravira les connaisseurs de la série, avec ses multiples références à d’anciennes aventures : on sent la connaissance encyclopédique qu’a Luc Révillon de l’œuvre de Chaillet. On sent également la patte de l’enseignant, comme dans ce passage où Ibn Bettûta explique avoir confondu le fleuve Niger avec les sources du Nil jusqu’à ce que la lecture de l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien ne lui fasse comprendre sa méprise et discute bibliophilie avec Vasco.

Tout en étant très documenté et intéressant, le scénario de Luc Révillon est fluide et l’album se lit avec le même plaisir que l’on ressent depuis 1980 devant chaque Vasco. Cette reprise est une réussite et perpétue le ton, mi-pédagogique mi-aventureux, de la série originale.

Dire le Moyen Âge pour parler d’aujourd’hui

Au-delà de la fiction, Moyen Âge est bien souvent utilisé pour parler avant tout d’aujourd’hui, cette période jugée extrême devant permettre de mieux réfléchir aux maux de notre temps. C’est le cas de l’album de Juliette Mancini intitulé De la chevalerie, mais qui parle davantage de revendications sociales et du rapport des puissants au pouvoir que de chevaliers.

Il s’agit du premier livre de l’auteure, instigatrice du fanzine Bien, Monsieur et qui reçut le deuxième prix Jeunes Talents à Angoulême en 2014. Le Moyen Âge qu’elle met en scène n’est absolument pas ancré historiquement, ni géographiquement, ni chronologiquement. Des hommes y chassent les autruches à dos de cochons et le réalisme historique est le dernier souci de Juliette Mancini, au propos à la fois poétique et engagé.

Poétique par son trait, quasiment enfantin, délibérément naïf, et par son propos, quasi-surréaliste, partant dans tous les sens, dont l’intrigue est impossible à résumer, et qui se place en marge du champ habituel de la bande dessinée, jouant avec la planche. L’auteure, sortie de l’École des Arts Déco, s’amuse avec les codes du récit illustré, mettant en scène, dans cet album de grand format (30x24cm) une succession de saynètes, sans décors, chacune dotée d’un titre, dont on cherche parfois le lien avec le propos. L’ensemble ressemblerait presque à un cahier de coloriage, et l’on pourrait s’amuser à remplir de couleurs les grandes planches sans cases ou la litanie de timbres postes que l’on trouve entre chaque scène.

Engagé par son propos, car derrière cette naïveté déconcertante du dessin se cache une évidente parabole sur notre monde contemporain, à coup d’allusions politiques (« je vous ai compris » déclare le roi). On trouve, pêle-mêle, une dénonciation du regard négatif sur les étrangers, du rapport des puissants à la religion, des riches aux travailleurs, des femmes au pouvoir, etc. Si certaines scènes sont bien trouvées (le dialogue entre le roi qui doute de Dieu et son curé qui lui explique son intérêt social et politique à ne pas trop douter), si certaines situations sont bien senties (notamment les dialogues montrant la stupidité profonde du roi), la majeure partie des scènes reste un peu… naïve. L’ensemble est néanmoins intéressant et montre bien comment le Moyen Age sert souvent de creuset à nos interrogations actuelles.

Un autre album, plus classique, peut se lire de la même manière. Il s’agit de 999, à l’aube de rien du tout, qui vient de sortir chez Glénat. Il s’agit de l’adaptation du roman du même nom de Claude Daubercies, sorti en l’an 2000, et l’auteur entend clairement dresser un parallèle entre deux millénarismes, entre les (supposées) peurs de la fin du Xe siècle et celles de la fin du XXe siècle. L’objectif de ce roman, qui se voulait un Nom de la rose oulipien, était également de comparer la violence médiévale et celle du XXe siècle, tout particulièrement de la Seconde Guerre mondiale. Cela aboutit forcément à une vision très sombre du Moyen Âge, que l’on retrouve de plus en plus dans la bande dessinée depuis les années 1970. La France de l’an mil est un bon terreau pour y développer nos craintes sur notre société contemporaine, ce que cet album illustre bien.

Ce récit présente les aventures de trois frères et sœur, aux pouvoirs étonnants, et d’un chat qui parle, il est censé être le chroniqueur des bas faits des histoires de l’homme, de Babylone à la Shoah en passant par la violence crasse des hommes d’Église d’une France médiévale nimbée de fantastique. Même si cette adaptation souffre d’une trop grande place accordée aux textes récitatifs qui alourdissent le récit, le dessin semi-réaliste de Marco Bianchini fonctionne bien et l’on attend le second volume pour juger définitivement de l’intérêt de l’épopée naissante de Titèn, l’homme-poisson, de Sylvain l’ami des arbres et de la belle Séretta qui communique avec le félin Turolde.

S’amuser avec le Moyen Âge

Finissons par un Moyen Âge qui ne se pique pas de réalisme, mais qu’il ne faudrait pourtant pas mépriser : celui de l’Heroic Fantasy, genre qui est actuellement celui qui est le plus dynamique dans le champ éditorial français (et international). Le médiéval a en effet servi, à partir du milieu des années 1970, de terreau à l’imagination des auteurs de médiéval-fantastique, tendance accentuée depuis le milieu des années 1990. Tous ces albums mêlent des légendes très diverses et intègrent des éléments de fantastiques, soit dans des univers d’aventure au premier degré, soit dans des histoires sur un mode humoristique. C’est le cas avec Miss Barbare, album qui ne peut manquer de rappeler le Petit Barbare de Midam.

Si ces deux albums présentent ben des similarités, celui de Loran est à la fois plus trash, plus féminin et plus drôle ! Nous suivons les aventures d’Ermeline, une jeune noble à marier, qui n’a aucune envie d’attendre en haut de sa tour en brodant, et préfère suivre les cours de son maître d’armes, Gûnter von Kriegger, un nain analphabète, développant un « antielfisme primaire ». Loran, créateur de personnages comme le Captain Caca, Bouyoul (dont l’intégrale est publiée également aux éditions Lapin) ou les Rangers de l’espace, dans Anus Horibilis, un fanzine qu’il avait créé avec les frères Marco, se joue des codes de l’Heroic Fantasy et s’amuse des clichés sur le Moyen Âge autant que de ceux sur les adolescentes contemporaines.

Malgré quelques répétitions, cet album, prépublié en partie dans Lanfeust Mag’, est franchement réussi et l’on s’amuse beaucoup, grâce à un dessin dynamique et un découpage très rythmé. Les dialogues de l’auteur palois sont complètement décalés, et l’humour second degré, aussi sanguinolent que fécal, marche à merveille. Les éditions, maison d’édition de l’humour noir et absurde, ont eu raison de miser sur cette série, dont ce premier tome est très prometteur et pourrait devenir un classique de ce type d’humour.

Cela montre également la plasticité du sujet. « La loi a un nez de cire et le roi a une main de fer assez longue pour pouvoir le tordre dans le sens qui lui plaît  », aurait dit l’empereur salien Henri III salien (selon le chroniqueur Cosmas de Prague). Le Moyen Âge semble lui aussi très souple, loin d’être figé dans l’esprit des lecteurs, pour qui il reste mystérieux, et tous les auteurs de bande dessinée le tordent à loisir et y trouvent la matière nécessaire pour y développer leurs intérêts, du pédagogique au métaphorique, en passant par l’humoristique. Que les jeunes auteurs n’hésitent pas à plonger dans le beau bain du médiéval afin de faire enfin naître le personnage de bande dessinée qui saura incarner (positivement) le Moyen Âge aux yeux du grand public de demain !

(par Tristan MARTINE)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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5 Messages :
  • Et Jhen ?....sûrement la meilleure série moyenâgeuse....

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    • Répondu le 29 juillet 2017 à  13:46 :

      Et Johan & Pirlouit ?

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      • Répondu par Tristan Martine le 29 juillet 2017 à  14:19 :

        Nous avons ici surtout pris en compte les bandes dessinées se déroulant dans un univers plus ou moins réaliste, et Johann et Pirlouit, surtout à partir de l’arrivée des Schtroumpfs, ne rentre pas tout à fait dans cette catégorie.
        Quant à Jhen, c’est aussi une bonne série, bien sûr, mais force est de constater que dans l’esprit du lecteur lambda, Jacques Martin est davantage associé à Alix qu’à Jhen !

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        • Répondu par Lusabets le 29 juillet 2017 à  18:59 :

          Bonsoir Tristan Martine.
          Voui, "Miss Barbare" a tout à fait le sérieux exigé comme vous le dites si bien en parlant de Johann et Pirlouit.
          Sacré farceur.
          Ce qu’il y a de bien avec Johann et Pirlouit, c’est que cela vieillit bien, malgré que cela a été écrit il y a 40 ou 50 ans, c’est toujours plaisant actuellement. Les récits de la miss barbare, avec des trucs qui plaisent aux ados d’aujourd’hui, me laisseront rêveur dans dix ou quinze ans.

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          • Répondu par BAD le 16 août 2017 à  13:32 :

            N’oublions pas non plus, les "Tours de Bois-Maury" d’Herman, série médiévale sublimissime, qui est pour moi à la bd sur le Moyen-Âge ce qu’est "Murena" à l’Antiquité ; une série culte !!!

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