Les grands héros européens ne veulent plus mourir. En cela, l’Europe rejoint les États-Unis : après une reprise inattendue d’Astérix et les palabres sibyllines sur l’hypothèse d’une continuation de Tintin, c’est au tour d’une autre icône de la bande dessinée européenne, Corto Maltese, le marin à rouflaquettes d’Hugo Pratt qui reprend du service. En effet, Cong S.A., la société qui gère les droits des œuvres de l’artiste ne pouvait se contenter d’un éternel repackaging de l’œuvre originale, même si, selon Benoît Mouchart, directeur éditorial de Casterman"la série n’a pas encore été lue et diffusée à la hauteur de cette notoriété.".
On se rappelle que d’autres personnages d’Hugo Pratt avaient déjà fait l’objet d’une relance sous d’autres plumes : que ce soit de son vivant, comme leCapitaine Cormorant, ou après son décès en 1995, avec deux nouvelles aventures des Scorpions du désert.
Mais la reprise d’un personnage aussi emblématique que Corto Maltese représente un défi de taille : une stature particulière, et un scénario qui devait évoquer l’aventure bien sûr, mais aussi de la poésie, le rêve et une certaine langueur spécifique aux récits du maître vénitien.
Plusieurs fois, on a cru que le candidat était choisi : on a frémi devant le dessin d’Enrico Marini, on a beaucoup parlé de Milo Manara, mais à chaque fois l’interrogation restait la même : "- Pourquoi pas, mais il faut avant tout un solide scénario pour charpenter le récit !"
Après des années de réflexion, il semble que le choix soit finalement porté sur un duo d’auteurs bien connu des lecteurs : le scénariste Juan Diaz Canales réputé notamment pour ses albums de Blacksad et le dessinateur Ruben Pellejero l’élégant créateur de Dieter Lumpen, du Silence de Malka ou de Loup de Pluie, etc.
Hugo Pratt n’a jamais été opposé à une reprise de son héros après sa disparition. La sortie de cette nouvelle création interviendra en octobre 2015, quasi jour pour jour vingt ans après sa disparition. On suppose que Casterman en profitera pour remettre le marin sous les feux de l’actualité.
Il y a quelques années, lors des précédents signes avant-coureurs de la reprise, Patrizia Zanotti, l’épouse et légataire universelle de Pratt, souhaitait que, chronologiquement, le nouvel album de Corto Maltese s’intercale entre La Jeunesse de Corto et La Ballade de la Mer Salée, soit entre 1905 et 1913. On verra si cette intention sera respectée.
En attendant Corto...
D’ici là, les fans du célèbre marin pourront tromper leur impatience avec un surprenant petit roman paru chez Favre Hugo Pratt : La Rencontre de Buenos Aires. Michel Rime a imaginé la rencontre du jeune auteur Hugo Pratt vivant en Argentine, avec un marin qui aurait servi de modèle aux récits bien connus.
Cette rencontre entre Pratt et Corto est à la fois l’occasion d’en savoir un peu plus sur la vie d’Hugo Pratt en Argentine, de ressentir poétiquement l’ambiance des rues de Buenos Aires, mais également de plonger dans les pensées d’un Corto vieillissant, toujours à la recherche de trésors perdus et bons moments passés entre amis, quand il n’est pas amené à rencontrer des personnages illustres comme Borges ou à se retrouver au cœur des rivalités atomiques entre grandes puissances.
Aussi improbable que cette rencontre en l’auteur et sa créature puisse paraître, elle touche au cœur l’amateur de Corto Maltese car elles font écho à ses grands aventures rappelées en filigrane du récit
Avec ce petit roman fort bien écrit, la preuve est administrée, s’il en état besoin, que Corto reste un personnage à part, auquel les lecteurs sont fort attachés. Nul ne doute que les passionnés regarderont cette future reprise avec un œil attentif et critique, mais peut-être également humide, gorgé de l’émotion des retrouvailles avec un vieil ami.
(par Charles-Louis Detournay)
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