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Didier Convard ("Lacrima Christi") : "La franc-maçonnerie n’est pas un ordre secret, c’est un ordre discret."

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 11 novembre 2015                      Lien  
Alors que paraît ces jours-ci le nouveau cycle du Triangle Secret, "Lacrima Christi" (Éditions Glénat), Didier Convard nous parle de la série. Nous l'avons rencontré au sein même du Musée de la Franc-Maçonnerie au Grand Orient de France à Paris.
Didier Convard ("Lacrima Christi") : "La franc-maçonnerie n'est pas un ordre secret, c'est un ordre discret."
"Lacrima Christi" T. 1 de Didier Convard et Denis Falque - Ed. Glénat.

Quel est le sujet de Lacrima Christi ?

C’est une réflexion sur le mal absolu. Elle est illustrée par l’histoire d’un alchimiste, le plus grand de l’époque, qui va aider le pape à prendre Saint-Jean d’Acre en synthétisant le bacille de la peste d’une virulence épouvantable, qu’il va mettre dans deux ampoules de verre surnommées "les larmes du Christ" en référence à certaines légendes qui veulent que le Christ a pleuré sur la croix des larmes de sang. Et puis il se propose d’aller à Saint-Jean d’Acre et de les faire jeter au-dessus de la forteresse. La peste va se répandre, elle sera foudroyante. et n’aura d’effet que très peu de temps. Au bout d’une quarantaine de jours, les croisés pourront entrer dans la ville et brûler les cadavres. La ville sera à eux.

Le malheur veut que la nef de l’alchimiste fasse naufrage à quelques milles d’Haïfa. Il se passe de nombreux siècles jusqu’à ce qu’aujourd’hui, un état terroriste parvient à s’en emparer. Ils vont la monnayer en la vendant à la Corée du Nord, l’état le plus dangereux qui soit.

Les deux forces qui étaient en présence dans Le Triangle secret, à savoir d’un côté le Vatican et de l’autre, le côté maçonnique, la Loge Première et le triumvirat, qui étaient des ennemis, vont être obligés de s’unir pour combattre le diable.

Quand je dis le diable, ce n’est pas tout à fait faux, parce que l’alchimiste, la nuit quand il a créé "les larmes du Christ", a été aidé par un personnage qui lui a donné des formules. Et il semblerait que le diable soit entré dans mon histoire. Je réfléchis au mal sur terre et je trouve que plus nous progressons, plus le mal se développe et est en train même de gagner. C’est comme une espèce de cancer qui gangrène le monde. C’est flagrant.

Cette saison n’est pas du tout redondante, c’est un miroir du Triangle secret où, pendant sept tomes, j’ai cherché à parler de la fraternité, de l’amour, de la réconciliation entre des forces qui étaient opposées. Je pensais avoir trouvé la solution mais je réfléchis de plus en plus sur le côté négatif, sur le mal lui-même. J’avais parlé du Christ, maintenant je parle du mal.

Didier Convard dans le Musée de la Franc-Maçonnerie au Grand Orient de France.
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Tout cela est assez mystique. Quel est le rapport entre la Franc-maçonnerie et ces éléments qui ressortent de la religion ?

Ce qui me gêne dans la religion -que je respecte, il n’y a aucune critique- c’est que l’on est dans l’obligation de croire en un dieu révélé, alors que dans la franc-maçonnerie, on a le choix : tu peux être franc-maçon et croire et l’être en ne croyant pas en un dieu révélé, considérer que c’est le hasard, la science, tout ce que tu veux, qui explique les choses. La franc-maçonnerie est une religion athée, "religion" dans le sens étymologique de "religare", relier les hommes entre eux. C’est ce qui m’intéresse car cela me permet de confronter mes idées, ma philosophie avec quelqu’un qui sera de religion juive, musulmane, catholique, protestante ou qui sera complètement athée. Du coup, cela m’enrichit, dans la concorde. C’est pourquoi la maison des maçons s’appelle un temple parce qu’il réunit tous les hommes. Je trouve désolant que l’on ait plusieurs dieux alors que l’on est issu du monothéisme. La différence que je fais, c’est que je n’ai pas de dieu révélé, ce qui ne m’empêche pas d’avoir la foi : je n’ai pas besoin de pratiquer un culte pour vivre ma foi.

Pourquoi alors y-a-t-il dans la franc-maçonnerie, un tel "culte" du secret ?

Je pense qu’il n’y a pas vraiment de secret. Il y a une confusion entre le secret et la discrétion. Nous sommes plutôt un ordre discret. Expliquer le rituel peut paraître ridicule. C’est comme quand on est scout, on le vit, le rituel. Quand on le voit, on trouve cela un peu nunuche. Tous les rituels sont un peu nunuches si l’on ne considère pas l’essence même du rituel, à savoir pourquoi on fait ces gestes-là, on prononce ces paroles-là. Le secret, il est romanesque. J’ai fabriqué des secrets autour de la franc-maçonnerie, mais ces secrets n’y sont pas. C’est un univers qui travaille la discrétion. Je crois que l’on est victimes de toutes les rumeurs qui sont nées pendant la Seconde Guerre mondiale parce qu’on a voulu abattre les juifs ou d’autres entités sociales. Le secret n’existe pas, il n’y a pas de secret.

"Lacrima Christi" T. 1 de Didier Convard et Denis Falque
(c) Glénat

Les réseaux sociaux ont cependant donné de nos jours une nouvelle jeunesse aux thèses complotistes. Est-ce que la franc-maçonnerie est un lieu de complot ?

Cela fait trente ans que je suis franc-maçon. Je n’ai jamais participé à un complot, je n’ai jamais vu de complot. Il n’y a pas de complot. S’il y en avait un, on est très médiocres, car nous existons depuis plusieurs siècles et si l’on avait pris le pouvoir, comme le fait la finance, on n’a pas réussi.

Pourtant, dit-on, beaucoup d’hommes politiques sont francs-maçons... Dans le Musée de la franc-maçonnerie, on découvre que Winston Churchill ou Pierre Mendès-France étaient maçons.

Ce sont plutôt de jolis noms, comme celui d’artistes comme Mozart, je suis assez fier de ces noms-là. Il n’y a pas d’Hitler ou d’autres salopards de cet ordre en franc-maçonnerie. La maçonnerie n’a pas créé l’inquisition, n’a pas fait de guerres de religion, elle n’a pas de sang sur les mains. Qu’il y ait eu des maçons véreux, je le concède, c’est comme dans toutes les sociétés. Dans un groupe, il y a de temps en temps un connard qui va faire des affaires avec un autre connard. Je ne rejette pas le clergé sous prétexte qu’il y a un prêtre pédophile. Virez le pédophile, mais respectez les autres qui font leur boulot. La maçonnerie est une société comme une autre, pas mieux, pas pire que les autres.

"Lacrima Christi" T. 1 de Didier Convard et Denis Falque
(c) Glénat

Les Illuminati ont l’air d’intriguer beaucoup les jeunes...

Peut-être. je ne connais rien sur ces sujets. Je ne m’y intéresse absolument pas. Je travaille sur la franc-maçonnerie. Tous ces satellites sont pour moi plutôt de l’ordre du romanesque.

Comment un scénariste peut-il employer la franc-maçonnerie pour faire de la fiction, sans pour autant brouiller les cartes ?

Cela a été la difficulté à l’origine du Triangle secret, une grosse difficulté parce que je voulais vraiment pénétrer dans la franc-maçonnerie comme jamais on ne l’avait fait auparavant dans un univers romanesque. Je voulais pour autant ne pas dire ce que je n’avais pas le droit de dire, parce qu’il y a des choses qu’il ne faut pas dire. Ce n’est pas de l’ordre du secret mais du rituel, de notre petite cuisine. J’ai pris le décorum et les grands thèmes de la franc-maçonnerie : la recherche de la fraternité, la recherche de la parole perdue, des choses très symboliques. C’est comme cela que j’ai construit mon histoire en mobilisant les grands thèmes de la franc-maçonnerie qui a évolué avec les siècles. Les religions ont tendance à ne pas évoluer, la franc-maçonnerie évolue en permanence dans son siècle et dans son époque.

C’est une secte ?

Elle n’a rien d’une secte parce que d’une secte, on ne peut pas sortir. De la franc-maçonnerie comme d’une religion, on sort du jour au lendemain. Ensuite, tu n’as pas de gourou à respecter. Tu es libre de tes choix, de tes pensées, de tes actions.

Vos bandes dessinées sont-elles les instruments d’un prosélytisme ?

Non. Pas du tout. Mais depuis quinze ans, j’ai rencontré en dédicace des lecteurs qui sont entrés en maçonnerie grâce au Triangle secret. Cela les a rendus curieux, ils ont acheté des bouquins. Et ils sont nombreux, c’est au delà de plusieurs dizaines ! Peut être parce que j’ai suscité de la curiosité, j’ai parlé enfin de la maçonnerie de façon profane, c’est à dire simple, quotidienne, sans faire des super-héros, sans parler de magie. Ce sont des gens comme vous et moi, qui ont des doutes, qui trahissent parfois. Je n’ai pas fait de prosélytisme ou alors je ne l’ai pas fait exprès.

Propos recueillis par Didier Pasamonik.

Le dessinateur Denis Falque et son scénariste Didier Convard
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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- Lire aussi la critique de "Lacrima Christi" sur ActuaBD.com par Charles-Louis Detournay
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Concernant le Triangle secret :
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