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Didier Convard : "Le Triangle secret n’aurait jamais dû paraître en BD."

Par Charles-Louis Detournay le 27 avril 2007                      Lien  
L’auteur du Triangle Secret, dont le quatrième et dernier tome d’INRI vient de sortir, nous fait découvrir les débuts de la célèbre aventure ésotérique. Une interview-confession, où BD, philologie, philosophie, et théologie se mélangent pour révéler certains secrets de ce thriller, mais surtout pour ouvrir les portes de la tolérance face à la franc-maçonnerie.

Comment a débuté cette aventure du Triangle Secret ?

Didier Convard : "Le Triangle secret n'aurait jamais dû paraître en BD."Il y a une quinzaine d’années, bien avant la mode de l’ésotérisme, j’ai commencé un roman dans laquelle je condensais tout ce qui me tenait à cœur : ma passion, mes fantasmes, mes angoisses. Le but de la quête aurait pu être un trésor, mais j’ai voulu être plus provocateur, et le héros y cherche donc le Christ. Autour d’un repas, j’en ai parlé à Jacques Glénat, qui a souhaité lire la mouture inachevée : il l’a adoré et a voulu l’adapter en BD. Je n’y avais au départ pas du tout pensé. Le roman n’est enfin paru que dernièrement sous son aspect originel.

Avez-vous eu des difficultés pour adapter cette histoire qui vous tenait tant à cœur, à un format que pourtant vous maîtrisiez ?

Oui, il y a eu pas mal de choix difficiles, les constructions étant radicalement différentes.
Le livre était écrit dans une unité de temps (3 jours, comme la mort et la résurrection du Christ) et de lieu (le bureau de Hertz) : Francis Farlane venait d’être assassiné, et Mosèle venait chercher conseil chez son mentor. S’en suivait un dialogue qui développait de nombreux flash-backs, et au bout de ces trois jours, Mosèle se rendait compte qu’il était manipulé, et qu’il devait trouver ce trésor, la tombe du christ. Un choix demeurait : la mort ou la survie du héros. C’était le dernier chapitre inachevé à la lecture de Jacques Glénat, et en écrivant la BD, j’ai scellé son destin.

Si cette construction fonctionne bien pour le livre, elle était trop statique pour l’adaptation en bande dessinée ?

Il fallait utiliser les codes de la BD d’aventure. La trame du livre s’en ressent pourtant car on les voit souvent dans le bureau de Martin Hertz, ce sont les moments de pseudo-explications, entrecoupés d’actions : des visites de la forêt d’Orient, des tentatives d’assassinat, etc. J’ai donc coupé dans les flash-backs car cela allait faire une série trop longue, et nous étions dans un moment où les lecteurs étaient fort zappeurs. J’ai dit à Jacques Glénat et à Denis Falque qu’on se garderait le chapitre d’INRI pour la bonne bouche. Le succès étant au rendez-vous, Glénat m’a alors donné le feu vert tant qu’on ne trichait pas avec le lecteur, en faisant revivre des personnages. Dès la fin du Triangle, nous avons alors entamé cette tétralogie, et puis on avait aussi envie de faire deux hors séries sur Hertz et Montespa



Les aviez-vous envisagés dès la parution du Triangle Secret ?

Oui, pour donner plus de corps aux personnages. Pour moi, ils sont incomplets avec leur description dans le Triangle, et il faut expliquer ce qui les a amenés à réaliser certains choix d’action dans leurs aventures. Si on devait conseiller un ordre de lecture, il est préférable de commence par Hertz, puis Montespa, ensuite les 7 tomes du Triangle, pour conclure avec INRI.

INRI qui était donc un des chapitres à part entière du Triangle Secret ?

Oui, le roman comportait de nombreux flask-backs traitant des inquisiteurs, des Cathares, des Esséniens et un autre sur Hughes de Payns, fondateur de l’ordre des Templiers et personnage central d’INRI. On s’approche sûrement plus de la vérité historique que dans le Triangle, car de Payns avaient bien réalisé deux voyages au temple de Jérusalem, même si ces compagnons étaient alors plus nombreux.

On a pas mal disserté sur le nombre d’albums du Triangle, qu’est-ce qui a en définitive imposé ce choix : le nombre de dessinateurs, ou le sens des chiffres ?

Il y a bien entendu une raison symbolique [1]. De plus, j’avais la matière pour faire 12 tomes, mais pour éviter un phénomène de lassitude, on voulait publier un album tous les 6 mois. Ce rythme imposait plusieurs dessinateurs. On a alors tenté un pari fou en mélangeant des styles forts différents : des couvertures de Juillard, Gine pour les scènes bibliques ; Chaillet, Jusseaume, Kraehn et Eric Stalner pour les aspects historiques ; et le contemporain étant confié à Wachs et à un jeune auteur, Falque. C’était diamétralement opposé à la tendance, et cela a formidablement fonctionné alors que tout le monde nous avait prédit qu’on allait se casser la figure. Chaque dessinateur a trouvé naturellement sa place, se prenant à l’intrigue et au jeu de cette collaboration hors norme. Ils se sont lancés dans l’aventure avec gentillesse et humilité. Je croyais très fort au principe d’une série réalisée en confrérie, ce qui collait au thème.



Mais vous auriez tout de même pu intégrer INRI directement au Triangle, sans vraiment rallonger le délai de publication ?

12 tomes signifiaient 5 autres dessinateurs, ce qui devenait une gageure à trouver et à coordonner. Il m’aurait alors fallu un an d’écriture en plus, et donc reporter tout le projet, alors que les scenarii était déjà dans les mains des premiers dessinateurs. Je persiste à penser que c’était le bon choix, car par après, tout le monde a pris la mode de l’ésotérisme. On a innové en créant un univers avec des paramètres pas vraiment évidents : de long textes, beaucoup de dialogues et de références historiques, avec du suspens pour seule action, sous le crayon de plusieurs auteurs.

Concernant le thème abordé, le Triangle et INRI sont diamétralement opposés. Autant le premier désacralise, autant le second touche au divin. Est-ce que vous vouliez renvoyer la balle dans le camp des lecteurs, les interpeller après les avoir bousculés ?

J’ai conçu ces deux histoires comme une initiation maçonnique du premier au dernier degré. Il y a une évolution dans la quête entreprise, et à un moment donné, on réfléchit sur le sens de la résurrection en pensant au message laissé par chaque homme : on ne meurt pas réellement, si on a laissé suffisamment de traces dans le cœur des vivants. Pour que le message soit perpétué, il fallait donc symboliquement que mon Christ revive. Mes détracteurs m’accusent d’attaquer Jésus, mais il faut y voir une pique contre l’Eglise, et pas envers la croyance. Personnellement, je suis persuadé que le Christ n’est pas mort, car il est en nous, et que son message est amour.

Qu’est-ce qui vous en heurte alors ?

C’est le dogme, car il ne nous est pas nécessaire pour vivre comme des gens biens, pour répandre l’amour autour de nous. Le message se suffit à lui-même, sans le rituel qu’on lui a attache. C’est plus difficile de croire quand on n’a pas de dogme, car on va plus vers l’humain. C’est trop facile de prétexter la rédemption pour se faire excuser. Tandis que si on n’a de compte à rendre qu’à soi-même, il faut alors s’arranger avec sa propre conscience. Et avec humilité, chacun choisit ses réponses, tout en sachant qu’il ne détient pas La Vérité.

Avant le Triangle, vous aviez déjà suggéré cette vision maçonnique ?

Destins parallèles de Northman et d’Hertz ...

Elle fait partie de moi, et donc de mes écrits. C’est plus le rapport qui lie l’initié à son mentor que j’ai développé au sein des Chats, ou des Héritiers du Soleil. Dans Neige, il s’agit d’allusions plus explicites car les Douze sont une loge à part entière, comme les initiés de la Feder, dans Finkel. Concernant le Triangle, les références autobiographiques sont nombreuses car le héros se prénomme également Didier, certains personnages comme Hertz existent réellement, ainsi que les coutumes des loges maçonniques.

C’est votre parcours qui vous porte, vous avez besoin d’en parler ?

J’en suis fier, et quand le sujet est traité actuellement, on en parle mal. C’est un marronnier dans la presse : chaque année, on a droit à un article caricatural et grotesque. La franc-maçonnerie est une société humaine qui a ses défauts et ses qualités, mais qui ne doit pas être systématiquement conspuée.

Mais est-ce que la culture du secret ne joue pas un mauvais tour aux francs-maçons ?

Oui, certainement. A une époque, le secret était obligatoire lors des chasses aux sorcières, le fameux complot "judéo-maçonnique" pour éviter d’assumer ses propres problèmes. Mais je suis partisan, comme beaucoup d’autres francs-maçons, d’une ouverture sur le monde, car en réalité, s’il y a des choses discrètes, il n’y a rien de secret. Un circuit initiatique, hors de son contexte, perd tous son sens. Les profanes n’en saisissent alors ni l’importance, ni la portée. Avec les clés données dans ce parcours, les cérémoniels s’expliquent, on en perçoit alors la symbolique, et les émotions, la charge sociale et politique. L’esprit de corps provient également de ce cheminement, comme la chevalerie. Tout est tendu vers le Bien, mais malheureusement, comme toute société humaine, on peut y trouver des personnes d’exception : des bons, comme des connards, même si je suis sûr que les premiers sont majoritaires.

Mais que pensent alors vos frères, de l’image que vous véhiculez avec vos bandes dessinées ?

Ils ont toujours apprécié Neige, ensuite, j’ai présenté le Triangle Secret en tant que thriller dans le paysage franc-maçonnique : il y aurait des bons maçons et des méchants, à l’image d’une microsociété. Initialement, ils étaient inquiets, surtout les vieux frères. Mais depuis le 3° et 4° tome du Triangle, tout le monde a été rassuré. On m’invite d’ailleurs avec beaucoup d’amitié dans des loges pour en parler. J’essuie parfois des critiques.

Quel est l’avis de l’Église catholique, parce que vous tirez quand même dans le tas ?

J’avais assez peur de leur réaction, mais en définitive, cela se passe très bien. J’ai fait également des conférences avec eux, en présence parfois d’évêques. J’ai surtout choqué les croyants en énonçant que le Christ n’était pas mort sur la Croix, qu’il s’agissait d’un imposteur. Mais cela n’enlève rien au caractère sacrificiel ! De plus, Jésus porte la mort de son frère, ce qui reste assez proche dans les grandes lignes. Mais j’ai voulu apporter au christianisme ce qui se trouve dans tous les grands mythes fondateurs : la fraternité. Il y avait déjà eu les trahisons de Pierre et Judas, j’ai rajouté alors ce frère qui le trompe. La fraternité brisée, c’est le mythe de la vie.

Pour finir, tout le monde a bien accueilli votre histoire ?

Sauf l’extrême-droite qui m’a violemment agressé et menacé en publiant des tissus d’âneries, d’insanités, de grossièretés, …

(par Charles-Louis Detournay)

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Photo en médaillon © Charles-Louis Detournay

[1Pour les Judéo-chrétiens, le nombre 7 est considéré comme le chiffre de la perfection, 4 représentant la Terre ou l’Homme.

 
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